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Le retour des vieux poncifs de l’antisémitisme

Bruno Lévy, avocat et président de la CICAD. Pascal Frautschi/Tribune de Genève

Le 27 janvier marque la date anniversaire de la libération en 1945 du camp d’Auschwitz par les troupes soviétiques. Une journée consacrée à la mémoire de la Shoah. L’antisémitisme, lui, refait surface, selon Alain Bruno Lévy, président de la CICAD.

«Ceux d’entre nous qui croyaient naïvement que la défaite du fascisme et la chute du communisme mèneraient à la disparition de l’antisémitisme, du racisme et de l’intolérance avaient tort», constate le Prix Nobel Elie Wiesel dans un texte publié par l’ONU dans un dossier pédagogique à l’occasion de la Journée internationale dédiée à la mémoire des victimes de la Shoah fixée le 27 janvier, soit le jour où, en 1945, les troupes soviétiques ont libéré les rescapés du camp d’extermination d’Auschwitz en Pologne.

«L’antisémitisme revient en force, les racistes sont toujours actifs et se font toujours entendre, et l’intolérance connaît une véritable résurrection. Et elle n’a rien de neuf. De nature religieuse, elle envahit les informations quotidiennes tout comme elle dominait le Moyen-âge à l’époque des Croisades et de l’Inquisition», écrit encore Elie Wiesel, un des derniers survivants d’Auschwitz.

Ressentir l’indicible, l’exposition sur la Shoah montée à Genève par la Coordination Intercommunautaire Contre l’Antisémitisme et la Diffamation (CICAD) va dans le même sens en rappelant que l’horreur et le sursaut suscités par la destruction industrielle de plus de 6 millions de Juifs par les nazis n’a pas empêché d’autres génocides comme au Cambodge ou au Rwanda.

Les explications d’Alain Bruno Lévy, le nouveau président de la CICAD.

swissinfo.ch: A l’occasion de cette journée internationale de commémoration, la CICAD présente une exposition basée sur les cinq sens. Pourquoi une telle démarche?

Alain Bruno Lévy: Auschwitz n’a pas seulement été un camp d’extermination. Les victimes de la Shoah ont également vécu dans leur chair cette agression extrêmement paroxystique marquée par la déportation, la détention, la torture et l’extermination.

Nous avons voulu évoquer la nature de la Shoah en faisant percevoir ce qu’ont pu ressentir les victimes, ce que les rescapés des camps ont pu dire de leur vécu.

swissinfo.ch: 65 ans après la libération du camp d’extermination d’Auschwitz, quel est l’enjeu de la commémoration de la Shoah?

A. B. L. : L’enjeu est double. D’une part, il s’agit de rendre hommage aux victimes et d’autre part de tirer les leçons sur les conséquences possibles d’un régime totalitaire, soit l’extermination et le génocide.

Cela fait partie de notre lutte contre toute forme de discrimination et en faveur des droits de l’homme, l’objectif étant que plus jamais des génocides ne soient perpétrés. Et ce alors qu’il continue de s’en produire.

Raison pour laquelle notre exposition montre aussi que ces leçons n’ont pas été tirées, que le monde n’a pas encore appris et qu’il y a encore de nos jours des génocides.

Nous avons donc un devoir impérieux de mémoire, d’alerte au monde et de dénonciation des crimes contre l’humanité et des violations des droits de l’homme.

swissinfo.ch: Le philosophe Adorno se demandait s’il était possible de penser après Auschwitz. Le monde tel qu’il évolue aujourd’hui ne confirme-t-il au moins que l’humanisme européen est mort à Auschwitz?

A. B. L. : La Shoah a été l’expression d’une volonté d’en finir avec l’humanisme. L’inhumain paroxystique qu’a été la Shoah doit nous conduire à plus d’humain. C’est pourquoi le témoignage des rescapés est si important.

swissinfo.ch: D’autant que l’antisémitisme gagne à nouveau du terrain.

A. B. L. : En effet, les vieux poncifs de l’antisémitisme ressortent indépendamment du conflit du Moyen-Orient. Et les termes utilisés dans le cadre de ce conflit font parfois référence à de veilles rengaines antisémites.

swissinfo.ch: Que ce soit en Suisse avec la votation sur les minarets ou en France avec le débat sur l’identité nationale, n’assistons-nous pas à une libération de la parole raciste?

A. B. L. : J’ai l’impression que le frein qu’avait constitué la honte d’Auschwitz avait étouffé un peu les propos, mais pas les pensées racistes. Aujourd’hui, par une volonté aussi de libre expression, on ose tenir des propos imprononçables durant l’Après-guerre. Nous assistons à une banalisation de l’antisémitisme et du racisme.

Voyez les conséquences du vote sur les minarets. Un politicien a remis en question les cimetières confessionnels. Un autre s’est demandé si certains actes religieux, comme la circoncision, ne sont pas des pratiques barbares.

Nous assistons donc aussi à une montée du sentiment antireligieux et d’un manque de respect à l’égard des pratiques religieuses.

swissinfo.ch: La mémoire de la Shoah et le rôle de la Suisse durant la 2e Guerre mondiale sont-ils bien diffusés en Suisse, en particulier dans les écoles?

A. B. L. : Le rapport Bergier (sur l’attitude de la Suisse durant la 2e Guerre mondiale) n’a peut-être pas eu tout l’écho que l’on aurait pu souhaiter. Jean-François Bergier relevait d’ailleurs qu’il n’y a pas eu de véritable débat autour de son rapport.

Nous voulons avant tout éviter que s’instaure un climat favorable à la discrimination. Dans cette perspective, il est clair que l’éducation est essentielle.

Or je dois dire que nous avons un très bon écho des départements de l’instruction publique des divers cantons. Cette année, ils ont par exemple envoyé de nombreux élèves à notre exposition. Nous en attendons en effet plus de 1000 durant les trois jours que dure l’exposition.

Chaque année, nous organisons un voyage à Auschwitz pour les enseignants. Cette année, je les ai accompagnés et ce fut une expérience extrêmement enrichissante. On ne ressort pas indemne d’un tel voyage.

swissinfo.ch: Vous venez de prendre la direction de la CICAD. Quels sont vos objectifs?

A. B. L. : Je vais poursuivre la mission de mes prédécesseurs. La CICAD a pour but principal de lutter contre l’antisémitisme. Elle s’est également donnée pour mission de rappeler la mémoire de la Shoah.

La CICAD prend aussi la défense d’Israël quand son existence est menacée. Ce qui a fait débat récemment dans la presse, d’aucuns nous reprochant de n’accepter aucune critique d’Israël. Ce qui est totalement inexact. Nous montons au créneau quand on attribue à l’ensemble du peuple juif toute la politique menée par Israël.

Nous avons le droit d’être solidaires d’Israël. Ce qui ne veut pas dire que nous nous empêchons d’avoir un regard critique sur la politique du gouvernement israélien, un exercice dont ne se privent pas les Israéliens eux-mêmes.

Frédéric Burnand, Genève, swissinfo.ch

Anéantis. «Dans quel monde vivrions-nous si la Seconde Guerre mondiale n’avait pas engendré ces millions de morts? Que seraient devenus tous ces enfants qui y ont laissé leur vie? Des adultes, qui auraient fondé une famille, appris un métier, montré leurs talents et construit une vie. Autant de projets, d’espoirs, d’histoires qui ont été brisés; autant d’humains qui ont été anéantis.

Dignité. Ne jugeons pas uniquement nos semblables à l’aune de leur force de travail parce que tout individu représente bien plus que cela: des valeurs, une dignité, une humanité et une histoire. Précisément tout ce qui fait l’humain.

Notre regard. Nous commémorons aujourd’hui le souvenir de toutes celles et ceux qui sont morts pour leur appartenance à une minorité ou qui ont été persécutés. Que ce jour du 27 janvier éclaire notre regard sur le dénuement et la détresse dans lesquels vivent tant de gens sur la planète et sur les inégalités dont nous sommes témoins. Rappelons-nous les principes d’humanité et continuons de les respecter.»

Extrait du message de la présidente de la Confédération à l’occasion de la journée de commémoration des victime de l’holocauste.

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