«Le vote du 9 février, un recul pour les droits humains»
Pour contrer la xénophobie, la Suisse a besoin de campagnes nationales de sensibilisation qui atteignent l’ensemble des régions du pays. C’est l’avis de la Commission fédérale contre le racisme, qui milite en faveur d’une attention particulière dans les régions rurales pour influer sur les perceptions négatives des étrangers.
Vice-présidente de la Commission fédérale contre le racisme, Sabine Simkhovitch-Dreyfus revient pour swissinfo.ch sur l’acceptation le 9 février dernier par les Suisses de l’initiative «contre l’immigration de masse» suivi de l’examen de la Suisse devant le Comité sur l’élimination de la discrimination raciale (CERD) à l’ONU.
swissinfo.ch: Le Comité des Nations unies sur l’élimination de la discrimination raciale (CERD) a déclaré que le message de l’initiative de l’UDC reflétait la rhétorique discriminatoire et xénophobe qui s’exprime en Europe. Quelles conséquences aura ce vote pour votre travail?
Sabine Simkhovitch-Dreyfus: Les raisons qui ont conduit à ce résultat sont multiples. Nous ne croyons pas que les partisans du oui sont tous xénophobes. Mais une partie l’est. Ce qui nous préoccupe.
L’impact exact du vote sur notre travail est difficile à prévoir, mais il signifie un échec. Cela complique beaucoup d’aspects pratiques et contribue à renforcer l’idée que les nouvelles personnes qui viennent en Suisse apportent plus de problèmes qu’autre chose.
Il est trop tôt pour dire si ce vote va donner un coup de pouce à des groupes d’extrême droite en Suisse. Ils ne sont pas aussi forts qu’il y a quelques années. Ils sont beaucoup plus faibles que dans les autres pays européens. Mais nous devons rester très prudents.
swissinfo.ch: Quelles sont désormais vos priorités?
S.S.-D.: La norme antiraciste (l’article 261 bis du Code pénal suisse), qui réprime la discrimination raciale est généralement bien mise en œuvre. Mais dans certaines régions, les autorités n’en sont pas forcément conscientes. Nous pensons aussi que les associations doivent pouvoir agir comme parties civiles dans les affaires de discrimination.
Il faut aussi accorder une plus grande attention à la prévention. Il faudrait en particulier lancer des campagnes de sensibilisation auprès des enfants. C’est du ressort des cantons. Mais rien n’empêche les autorités fédérales d’initier de telles campagnes et d’être plus actives.
Certains cantons ont beaucoup fait, d’autres presque rien. Dans plusieurs régions rurales, il y a d’avantage de préjugés à l’égard de ceux qui sont différents que dans les grandes villes. Or ces régiosn n’ont pas ou peu connu de campagne de prévention.
Lors du passage (tous les 4 ans) de la Suisse devant le Comité sur l’élimination de la discrimination raciale (CERD), Anastacia Crickley, rapporteur du CERD pour la Suisse a déclaré:
«Le Comité s’est félicité des réponses précises et honnêtes de la délégation suisse, mais a déclaré que les questions de stéréotypes dans les médias et les discours de haine par des politiciens n’avaient pas été directement visés. Bien que des mesures positives prises par la Suisse soient les bienvenues, une impression persiste que la discrimination raciale n’a pas été traitée au même niveau que celle touchant au sexe ou d’autres types de discrimination».
Il est vraiment nécessaire de montrer que nos différences culturelles et religieuses peuvent beaucoup apporter à ce pays. Alors qu’il y a eu de nombreuses campagnes politiques pointant les étrangers ou certaines minorités religieuses.
Il y a des étrangers – et bien sûr des Suisses – qui sont des criminels. Mais les campagnes politiques qui les visent tendent à mettre l’ensemble d’une communauté dans le même sac. Pour leurs campagnes, les partis politiques devraient avoir un plus grand sens de leurs responsabilités.
swissinfo.ch: Les ONG estiment que la plupart des recommandations du CERD en 2008 n’ont pas été appliquées. Peut-on vraiment parler de progrès dans la lutte contre le racisme en Suisse?
S.S.-D.: Le progrès est difficile à mesurer. Il y a eu des efforts pour mettre en œuvre un certain nombre de mesures antidiscriminatoires dans les cantons. Le nouveau Centre de compétences suisse en droits de l’homme a également fait du bon travail.
Mais au cours de la dernière décennie, il y a eu beaucoup de résistance à l’introduction d’une nouvelle législation anti-discrimination ou d’autres mesures de lutte contre le racisme. Nous avons toujours besoin de nous battre pour maintenir ce que nous avons pu accomplir.
Lors de l’examen de la Suisse, Jürg Lindenmann , Directeur adjoint de la Direction du droit international public au ministère des Affaires étrangères, a donné le point de vue du gouvernement:
«Préserver une société dans laquelle les membres peuvent vivre ensemble dans le respect mutuel est un processus continu et les autorités sont pleinement conscientes qu’il s’agit d’un effort soutenu».
swissinfo.ch: Le CERD pointe l’absence d’une loi fédérale définissant l’anti-discrimination. Les autorités affirment que les fondements juridiques existants offrent une protection suffisante. Mais le CERD estime que l’arsenal existant est insuffisant, couteux pour les plaignants et inefficace contre la discrimination dans le marché du travail ou celui du logement. Votre point de vue?
S.S.-D.: La Commission a adressé cette question en 2010 et a publié un rapport recommandant d’adopter une telle loi anti-discrimination, qui existe déjà dans de nombreux autres pays, en particulier dans l’Union européenne. Mais nous avons eu des résultats limités.
Mais comme le CERD, nous pensons qu’il n’y a pas d’obstacle constitutionnel. Une loi fédérale s’intégrerait dans notre système, comme ce fut le cas pour les lois sur la discrimination entre les sexes et la discrimination envers les personnes handicapées.
swissinfo.ch: La délégation suisse a fait valoir que les programmes d’intégration cantonaux de quatre ans mis en place en janvier 2014 devraient permettre d’améliorer la lutte contre la discrimination à l’échelle nationale. Mais le rapporteur spécial du CERD estime que ces programmes d’intégration ont été édulcorés dans ce domaine. Qu’en pensez-vous?
S.S.-D.: Les programmes d’intégration sont une chose positive, s’ils ne visent pas à l’assimilation. L’intégration peut aider à lutter contre le racisme, mais ne le vise pas en tant que tel. De plus, la discrimination en Suisse touche aussi des personnes très bien intégrées.
(Traduction de l’anglais: Frédéric Burnand)
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