Les faux médicaments déferlent sur la Suisse
Les importations de médicaments illégaux ont bondi de 75% dans les six premiers mois de l’année. Le faux Viagra reste le plus populaire, mais on voit aussi une explosion des substances censées faire maigrir, dont certaines sont dangereuses. De quoi inquiéter les autorités sanitaires.
Mercredi, swissmedic, l’Institut suisse des produits thérapeutiques, a annoncé avoir eu connaissance de 992 cas suspects communiqués par les douanes dans les six premiers mois de l’année, dont la majorité étaient des médicaments normalement vendus sur ordonnance.
Par rapport à la même période de 2009, l’augmentation est ainsi de 75%.
«C’est une évolution globale, et elle est inquiétante, parce que ces médicaments illégaux et contrefaits mettent la santé de ceux qui les achètent en danger», explique Ruth Mosimann, qui dirige le contrôle des médicaments illégaux à swissmedic.
Déjà l’année dernière, les importations de ces faux médicaments avaient augmenté de 68%. On estime que quelque 50’000 de ces produits arrivent en Suisse chaque année.
«C’est une tendance. Les sites web qui vendent ces produits envoient de plus en plus de spam, et c’est cette explosion de l’offre qui cause en partie l’augmentation de la demande. Heureusement, les douanes suisses sont de plus en plus conscientes du problème et de nombreux cas sont découverts grâce à leur bon travail», ajoute Ruth Mosimann.
Préoccupant
Les économies à réaliser, ou même la gène de se présenter au comptoir d’une pharmacie, sont parmi les principales raisons qui poussent les gens à acheter en ligne. Mais Ruth Mosimann se dit surprise par certaines des autres raisons invoquées.
«Nous avons encore des réactions de gens qui se sont vu confisquer des produits et qui se disent surpris d’apprendre que ceux-ci sont dangereux. Ils disent qu’ils ne le savaient simplement pas et qu’ils avaient juste vu que c’était un bon produit, meilleur marché», explique-t-elle.
«De plus, ils sont souvent surpris d’apprendre que c’est interdit, poursuit Ruth Mosimann. La loi suisse est ainsi faite qu’il est interdit d’importer de grosses quantités de médicaments de l’étranger, afin de protéger les gens des produits douteux».
Dans les six derniers mois, la part des produits pour maigrir a passé de 14 à 26%. Il faut chercher la raison de cette hausse, que swissmedic qualifie de «préoccupante», notamment dans la demande accrue du LiDa Daidaihua, qui se fait passer pour un produit à base d’herbes et contient, sans la déclarer, de la sibutramine.
Or les médicaments qui contiennent cette substance active ont été retirés du circuit il y a peu en Suisse et dans l’Union européenne, à cause de risques de complication cardio-vasculaires. Pour les personnes souffrant de problèmes cardiaques, elle pourrait même représenter une menace de mort, d’autant, ajoute Ruth Mosimann, «que la sibutramine est surdosée dans le produit».
Ordonnances en ligne
Les experts le savent bien: il est très difficile pour les autorités d’attraper les criminels qui se trouvent derrière ces trafics de médicaments illégaux.
swissmedic est présente dans les groupes internationaux. En avril de cette année, par exemple, l’institut a adhéré à la convention Medicrime, premier instrument international pour criminaliser la contrefaçon de produits médicaux et les activités similaires.
La collaboration internationale a déjà débouché sur quelques succès. Ainsi, la Suisse et l’Autriche ont coopéré dans l’arrestation d’un docteur autrichien qui signait des ordonnances en ligne – pratique strictement illégale -, après la découverte de ces documents dans des paquets arrivant en Suisse.
Quant à savoir ce qu’il faudrait faire de plus, Ruth Mosimann pense que des amendes plus salées seraient efficaces. En Suisse comme à l’étranger.
«Rien d’autre que des rêves»
Ces chiffres inquiètent également Gert Printzen, médecin à l’Hôpital cantonal de Lucerne et responsable de la section médicaments à la Fédération des médecins suisses.
«En tant que médecin, je suis préoccupé de voir que les gens préfèrent la facilité et commandent des médicaments en quelques clics de souris. Et surtout qu’ils croient ce que dit la publicité, sans rien savoir des conséquences possibles», explique-t-il.
Gert Printzen insiste sur le rôle du médecin, qui peut prescrire un ensemble de traitements qui tienne compte de l’état de santé des gens, de leur régime et de leurs habitudes de vie. Et ajoute que les gens qui vendent ces médicaments contrefaits comme les produits pour maigrir ne vendent en fait rien d’autre que des rêves.
«C’est très dangereux, et ce n’est pas loyal, parce qu’on abuse des gens qui croient aux vertus de ces produits, alors qu’ils ont simplement besoin qu’on les aide».
«Finalement, c’est peut-être une manière de nous secouer un peu, nous les médecins, pour que nous prenions les problèmes de modes de vie des gens plus au sérieux que nous ne le faisons actuellement», conclut Gert Printzen.
Isobel Leybold-Johnson, swissinfo.ch
(Traduction et adaptation de l’anglais: Marc-André Miserez)
Les faux médicaments saisis par les douanes suisses viennent à
45% d’Inde
35% d’Europe occidentale (Allemagne, Grande-Bretagne, Grèce, etc.)
6% d’Asie (sans l’Inde, Thaïlande, Chine, Pakistan, etc.)
3% d’archipels tropicaux (Vanuatu, Seychelles)
3% d’Europe de l’Est
(Source: swissmedic)
Les catégories les plus fréquentes:
31% Stimulants de l’érection
26% Produits amincissants
6% Stimulants de la croissance des cheveux, vendus légalement seulement sur ordonnance
5% Anabolisants
5% Médicaments potentiellement addictifs, somnifères
(Source: swissmedic)
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