Les jeunes, de «mauvais pauvres»?
La précarisation des jeunes est une problématique qui inquiète. Dans le cadre d'un programme du Fonds national, une étude s'est attachée à analyser les critères de sélection des entreprises lorsqu'elles engagent un apprenti.
En Suisse, le manque de places d’apprentissage se fait régulièrement sentir. Et le problème des jeunes qui se retrouvent sans solution après la scolarité obligatoire préoccupe tant les politiciens que l’Office fédéral de la formation professionnelle et de la technologie (OFFT).
En avril dernier, l’OFFT soulignait ainsi une nouvelle fois que «les jeunes accusant un déficit scolaire ou socialement défavorisés ont toujours autant de difficultés à trouver une place d’apprentissage». Au niveau des chiffres, le taux de chômage des jeunes était de 2,8%, contre 2,6% pour l’ensemble des actifs.
Plus grave, l’aide sociale compte parmi ses bénéficiaires les plus nombreux les 18 et 25 ans (12,9% en 2006) et les 26-35 ans (16,8%). A ce propos, les spécialistes estiment qu’une entrée ratée dans le monde professionnel a souvent des répercussions à long terme.
Boursier du Fonds national de la recherche scientifique (FNS) et sociologue de la formation, Christian Imdorf s’est penché sur les critères des petites et moyennes entreprises (PME) lorsqu’elles engagent des apprentis. En Suisse, ce sont en effet elles qui mettent à disposition près de 90% des places d’apprentissage.
Une mosaïque de critères
Effectuée dans le cadre du Programme national de recherche PNR 51 «Intégration et exclusion», sa recherche avait pour but de comprendre pourquoi les candidats d’origine étrangère ont généralement plus de peine à trouver une place.
Contrairement à une idée reçue, ce ne sont pas nécessairement leurs résultats scolaires qui sont en cause. Mais cet argument est souvent invoqué par les PME pour justifier les mises à l’écart. D’autant, souligne le chercheur, qu’il est largement accepté par le public.
Aux yeux de Christian Imdorf, le processus de sélection peut en fait être comparé à un «funeste enchaînement d’exigences» pour certains jeunes. Et de comparer tous les facteurs qui entrent en ligne de compte à une mosaïque.
«La perception de la nationalité, du sexe, de l’environnement socio-familial des futurs apprentis joue un rôle très important», explique-t-il.
Par le biais de 80 entretiens menés avec des responsables de formation, l’équipe avec laquelle il a travaillé a ainsi constaté que les jeunes originaires des Balkans, de Turquie, d’Albanie ou d’Afrique du nord étaient souvent perçus comme pouvant perturber le fonctionnement de l’entreprise. Et ceci à un niveau dont ils ne sont pas forcément responsables.
«Certains garages sont par exemple réticents à engager des apprentis d’ex-Yougoslavie car on craint qu’ils n’amènent une clientèle non souhaitée. Les Suisses en effet ne sont pas toujours très regardants, alors que les personnes provenant de ces pays s’y connaissent mieux en mécanique et sont plus portés à contester les factures», exemplifie le sociologue.
Cercle vicieux
Bien que très hétérogènes, les critères d’évaluation peuvent en définitive se résumer en une formule: sera choisi le jeune dont on pense qu’il posera le moins de problème au fonctionnement établi de l’entreprise. Que cela soit en termes de hiérarchie, de logique de groupe, de langue ou encore d’image.
Christian Imdorf invite donc les entreprises à nommer des responsables de formation qui auraient eux-mêmes fait l’expérience de la discrimination et à créer des places de stage afin de se faire une idée des capacités réelles des candidats. Car «l’exclusion pratiquée par les entreprises peut mener les adolescents concernés à une auto-exclusion», avertit-il.
Un cercle vicieux qui peut aboutir à la précarisation. Même si les jeunes restent en général moins longtemps dans le filet social.
«L’arrivée dans la vie adulte est de toute façon un passage difficile. Certains ont seulement besoin d’un coup de pouce pour boucher les trous, par exemple lors d’une rupture d’apprentissage», relève Verena Keller, professeure à la Haute école de travail social de Lausanne.
Mauvais pauvres
Egalement dans le cadre du PNR 51, elle a pour sa part étudié l’évolution historique de l’assistance publique. Pour elle, l’inquiétude suscitée aujourd’hui dans l’opinion par la précarisation des jeunes, si elle est légitime, en dit aussi long sur les normes qui régissent la vie sociale.
Dans cette perspective, elle souligne le fait que les jeunes sont généralement considérés comme de «mauvais pauvres», ceci alors que les parcours de vie qui peuvent conduire à solliciter l’aide sociale sont très divers.
«Le tableau des jeunes qui sont à l’aide sociale est contrasté. On trouve des apprentis, mais aussi des universitaires. Des femmes seules avec enfant qui ne peuvent pas travailler à plein temps et des jeunes dont les parents étaient déjà à l’aide sociale. Il y a aussi ceux qui ont des problèmes psychiques ou de toxicomanie», précise-t-elle.
Verena Keller prône donc une approche plus nuancée de ce phénomène. «Le souci d’aider, mais de ne pas aider n’importe qui et n’importe comment, est présent dès les origines. De même, la question de l’abus est très ancienne, même si les mots changent, souligne-t-elle. Il y a un siècle, le soupçon portait sur les vagabonds ou les buveurs. Aujourd’hui, ce sont les jeunes ou les requérants d’asile qui en sont victimes.»
swissinfo, Carole Wälti
En 2006, le taux d’aide sociale suisse était de 3,3%. Cela signifie que sur l’ensemble de la population suisse, 33 personnes sur mille ont bénéficié d’une prestation d’aide sociale.
Avec un taux de 30,9% de bénéficiaires, les jeunes et les enfants de moins de 18 ans constituent le groupe le plus demandeur d’aide sociale. Ce taux élevé est lié aux difficultés financières encourues par les familles monoparentales et les familles nombreuses.
Viennent ensuite les 18-25 ans (12,9%) et les 26-35 ans (16,8%).
Le taux d’aide sociale tend à diminuer avec l’âge.
Dans sa statistique de l’aide sociale 2006, l’Office fédéral de la statistique constate que «les jeunes ayant interrompu leur formation ou apprentissage ou l’ayant terminé depuis peu rencontrent des difficultés à trouver un emploi stable».
Le programme national de recherche PNR 51 «Intégration et exclusion» a été mené sur les cinq dernières années.
Il s’est concentré sur des thèmes clés qui concernent les mécanismes sociaux, institutionnels, culturels et économiques de l’intégration et de l’exclusion en Suisse.
Plus de cent chercheurs en sciences humaines ont travaillé sur 37 projets différents.
Leur principale conclusion est que l’aide sociale helvétique doit être renforcée et réorientée.
Le PNR 51 a bénéficié d’un crédit cadre de 12 millions de francs.
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