Les mères suisses sous le plafond de verre
Concilier une carrière et l’éducation de ses enfants. Cette question a provoqué un vif débat cet été aux Etats-Unis, suite à un article d’une femme de premier plan déclarant les deux activités inconciliables. La discussion s’est prolongée en Suisse.
Le respect, le pouvoir, l’influence et la maternité. Anne-Marie Slaughter semblait tout avoir. Mais la directrice du centre de prospective du département d’Etat de Hillary Clinton a démissionné de ce poste prestigieux et important car elle n’arrivait plus à concilier ses responsabilités familiales et professionnelles.
Cette universitaire de haut vol a raconté son expérience dans les colonnes du magazine américain The Atlantic. Dans un article qui a fait grand bruit, Anne-Marie Slaughter, 53 ans, plaide pour un changement fondamental de l’organisation du travail: plus de liberté pour travailler hors du bureau, des horaires qui correspondent à ceux de l’école ainsi qu’un changement de rythme entre les années de forte productivité et celles qui demandent un fort engagement parental.
Face aux nombreuses réactions soulevées par son témoignage, Anne-Marie Slaughter s’est montrée très surprise. «Pourquoi les femmes ne peuvent-elles toujours pas tout avoir?» a en effet reçu plus d’un million de visites, a été traduit dans plusieurs pays et a fait couler beaucoup d’encre dans le monde entier.
«Les réactions ont varié selon les pays, réagit-elle. L’article est un test pour chaque pays et les obstacles qu’il rencontre pour réaliser une égalité totale entre les hommes et les femmes.»
En Suisse, le quotidien de centre gauche Tages-Anzeiger relève que le débat est également explosif en Europe autour du talon d’Achille du féminisme en matière de maternité. Son concurrent de droite, la Neue Zurcher Zeitung, assure que les propos d’Anne-Marie Slaughter n’ont guère fait bouger les lignes car ni les femmes ni les hommes ne pouvaient tout concilier.
Changement de culture
Le travail à temps partiel est la norme en Suisse pour les mères en emploi et 61% des femmes ayant des enfants de moins de 25 ans choisissent cette solution. Près d’une sur quatre est mère au foyer, alors que 16 % seulement des mères travaillent à plein temps.
S’agit-il d’un choix ou d’une contrainte? La politologue Regula Stämpfli assure qu’il s’agit d’une contrainte extérieure: «Je trouve ridicule de parler de choix, alors que nous n’avons ni vraiment le choix, ni une organisation du travail viable, que l’on soit femme ou homme.»
Dans son article, Anne-Marie Slaughter écrit qu’il faudrait inciter les hommes à partager les tâches domestiques. Actuellement, seuls 7,6 % des pères suisses travaillent à temps partiel.
Objectif louable, répond Regula Stämpfli. «A long terme, nous devrons avoir de sérieuses discussions sur la famille, la maternité, la paternité, le marché du travail et la manière d’organiser nos sociétés.»
Tout en renonçant à sa position de pouvoir, Anne-Marie Slaughter fait pourtant valoir qu’un plus grand nombre de femmes au pouvoir est une nécessité pour remodeler la société. «Ce n’est que lorsque les femmes exerceront le pouvoir dans une proportion significative que nous créerons une société qui fonctionne vraiment pour toutes les femmes … ce sera une société qui fonctionne pour tout le monde.»
Regula Stämpfli trouve, elle, regrettable que les femmes doivent se comporter comme des hommes, en termes de calendrier et de dévouement familial pour arriver à une position de pouvoir.
Unique chroniqueuse politique en Suisse alémanique, Regula Stämpfli est sceptique quant à l’influence réelle des femmes en Suisse. «Plus il y a du pouvoir, moins vous y trouvez de femmes. Regardez les banques, les médias, les rédacteurs en chef.»
Parité gouvernementale
Le Conseil fédéral (gouvernement) affiche pourtant une quasi parité, avec trois ministres femme sur sept. Au Parlement, les chiffres sont moins impressionnants, mais respectables dans un pays où les femmes n’ont obtenu le droit de vote qu’en 1971. Le Conseil national compte 29% de femmes, tandis que le Conseil des Etats n’atteint que 19%.
Un niveau dont sont très loin les directions d’entreprises. En 2010, 4% des postes de direction étaient occupés par des femmes et 8,3 % dans les conseils d’administration. Des chiffres qui n’ont guère varié depuis dix ans, selon le Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco).
Pourtant, la mixité au sein des équipes de direction est aujourd’hui considérée comme un plus en matière de rendement. Les actions des sociétés ayant au moins une femme dans leur conseil d’administration ont surpassé de 26% celles dont les conseils d’administration sont exclusivement masculins, selon un récent rapport de l’institut de recherche de Crédit Suisse.
De son côté, le Seco a publié en 2011 un ensemble de bonnes pratiques pour encourager les entreprises à nommer davantage de femmes à des postes élevés. Et ce avec le soutien de deux associations d’employeurs. Mais il manque encore la volonté politique d’introduire des quotas féminins.
La présence de femmes au sein des conseils d’administration améliore la performance des entreprises. Le rapport de Crédit Suisse en donne 6 raisons:
1. Le signal d’une «meilleure» entreprise: un certain nombre d’études laissent supposer que la nomination de femmes au conseil d’administration indique que l’entreprise va bien.
2. Plus d’efforts au conseil d’administration: certains faits indiquent qu’une équipe diversifiée (y compris en termes de genres) peut mener à une meilleure performance moyenne.
3. Meilleure combinaison de talents de direction: McKinsey et la NASA ont réalisé des études sur les talents de direction, montrant que les femmes étaient particulièrement douées pour définir des responsabilités claires ainsi que pour former et coacher les collaborateurs.
4. Accès à un plus grand pool de talents: les données de l’UNESCO montrent qu’en 2010, la proportion de femmes diplômées a atteint une moyenne médiane de 54% dans le monde, contre 51% en 2000.
5. Un reflet plus fiable des consommateurs: dans la mesure où les femmes ont la responsabilité des achats ménagers, il est logique qu’un conseil d’administration mixte améliore la compréhension des préférences des consommateurs.
6. Amélioration de la gouvernance d’entreprise: il existe un consensus inhabituellement fort dans la recherche académique selon lequel un plus grand nombre de femmes au sein du conseil d’administration améliore la performance en termes de gouvernance d’entreprise et sociale.
Source: Institut de recherche du Crédit Suisse
(Traduction de l’anglais: Frédéric Burnand)
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