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«Les victimes ne sont pas assez protégées»

Des activistes féministes manifestent contre la traite des êtres humains avant l'Eurofoot 2008. Keystone

La lutte contre la traite des femmes en Suisse a enregistré quelques succès ces dernières années: les condamnations sont par exemple plus nombreuses. Mais le durcissement des conditions d'accès au marché du travail et des lois de séjour précarise la situation des immigrées.

La pétition signée en Suisse par 72’000 personnes pendant l’Euro 2008 pour que la traite des être humains soit considérée comme une grave violation des droits de l’homme n’en finit pas de faire des vagues. Une journée nationale a réuni le 11 juin à Zurich quelque 150 spécialistes – ONG, autorités de poursuite, avocats ou encore chercheurs.

La plupart ont regretté l’échec, à la Chambre basse du Parlement le 28 mai dernier, à 3 voix près, de la motion de commission qui avait résulté de la pétition: le texte demandait un droit de séjour élargi pour les femmes victimes de trafic.

Dans des zones grises

Sans défaitisme, les intervenants ont débattu de nouveaux moyens de lutte à mettre en place, avec, en filigrane, une question: la législation suisse actuelle favorise-t-elle la traite des femmes? Dans un domaine si complexe, les réponses ne pouvaient qu’être marquées par l’ambivalence.

«Dans bien des cantons, il est plus facile d’avoir des autorisations pour ouvrir un cabaret qu’un restaurant», a ainsi déclaré Stella Jegher, de la section suisse d’Amnesty International. Selon elle, «l’Etat, sous prétexte de protéger la population contre l’immigration illégale, ne respecte pas son obligation de protéger les individus.»

L’avocat zurichois et expert en migrations Marc Spescha estime de son côté que les dispositions de la libre-circulation des personnes, avec sa préférence à une immigration «élitaire» – fortement qualifiée – et le faible nombre de permis accordé à la Bulgarie et à la Roumanie (500 par année environ), «encouragent l’immigration par mariage et les séjours clandestins».

«Je ne parle pas de mariages fictifs, mais d’épouses qui rejoignent leur mari en Suisse et qui sont structurellement dépendantes de leur conjoint. Sans accès au marché du travail légal, ces femmes se retrouvent vite dans des zones grises ou noires du marché du travail…»

Statut d’indépendant

Autre exemple: le statut d’indépendant, qui permet théoriquement de renouveler un permis de séjour pour autant qu’on puisse attester de son activité, est plus facilement reconnu aux travailleuses du sexe qu’aux infirmières étrangères, a indiqué Marc Spescha.

Là, encore, selon l’avocat, la législation peut pousser des femmes à qui on refuse l’exercice de leur profession – pourtant très demandée en ce qui concerne les soins – dans les structures illégales. Or, très souvent, ces structures sont liées aux métiers du sexe.

Anne Ansermet, directrice de l’association Fleur de Pavé à Lausanne, qui effectue un travail de prévention et de soins auprès des prostituées, n’est pas moins sévère. «La législation favorise la précarité», explique-t-elle.

Clandestinité

Dans le canton de Vaud, comme en Valais, l’abolition du permis de danseuse de cabaret a poussé les femmes originaires de l’Est dans la clandestinité. «Nous avons perdu le contact avec de nombreuses femmes», regrette Anne Ansermet.

Quant aux moyens de lutte, le constat est unanime: dans un premier temps, il s’agit de mieux protéger les victimes. La mesure la plus efficace serait de leur garantir une protection à long terme, ce qui passe forcément par un titre de séjour, a rappelé Doro Winkler, du Centre d’information pour femmes immigrées FIZ, à Zurich. Or, pour l’heure, cette protection n’existe pas.

La Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains, dont le Conseil fédéral devrait proposer la ratification dans le courant de 2009, prévoit cette protection – sans lui donner des contours concrets. En attendant, les cantons pourraient accorder des permis aux «cas de rigueur» ou des permis humanitaires, selon Doro Winkler.

Tables rondes

Autre instrument de lutte et d’enquête, les tables rondes réunissent représentants de la police et des organisations de protection des femmes. Or leur nombre reste faible: sept cantons en ont instauré une (seul Fribourg pour la Suisse romande) et six en préparent une.

Le bilan global reste mitigé, selon Anne Ansermet: «Il y a davantage de procès, avec des verdicts lourds que je salue, mais il y a de vastes pans d’activités illégales et de nombreuses personnes vivant dans des situations dramatiques que nous n’atteignons pas, notamment les femmes séquestrées qui, souvent, ne peuvent s’en sortir qu’avec l’aide de clients.»

Comme le dit Anne Ansermet, «la prostitution est légale, mais on continue à la moraliser par des lois aux accents parfois absurdes – les heures d’activités strictement limitées, l’obligation de tenue convenable dans la loi vaudoise – ce qui complique la vie des femmes. Or, ne l’oublions pas, ces femmes achètent, mangent, consomment… ce sont aussi des revenus qui restent en Suisse…»

Ariane Gigon, Zurich, swissinfo.ch

Fragilité. Selon Amnesty International, membre de la coalition organisatrice du colloque national «Traite des femmes en Suisse – stratégies pour l’avenir», qui s’est tenu à Zurich, le 11 juin 2009, quelque 100 millions de femmes sans emploi sont en déplacement dans le monde. Elles sont particulièrement fragiles et susceptibles d’être happées par des intermédiaires sur les marchés des métiers du sexe.

Exploitation. «Il sera difficile pour ces femmes de trouver un travail digne», affirme un rapport de mars 2009 du Bureau international du travail. Selon le rapport d’activité 2008 de la police fédérale, 52% des 412 dossiers traités en 2008 concernant la traite des êtres humains et le trafic des migrants (pour 2676 «communications») concernant le premier délit, aux fins d’exploitation sexuelle. 41% relève de trafic des migrants. Les 7% restant concernent des cas de trafic d’organe (1%), d’exploitation de la force de travail (1%), de mariages blancs (1%) et de traite des enfants (4%).

Provenance. Selon le rapport, la majorité des victimes de la traite des êtres humains (63%) sont roumaines, brésiliennes, bulgares ou hongroises. La majorité des enquêtes menées en 2008 pour traite des êtres humains visent des ressortissants suisses, roumains, brésiliens et bulgares. La forte présence de Suisses démontre leur implication dans le domaine de la prostitution et leur collaboration avec des groupes criminels d’autres pays.

Outre le Service de coordination contre la traite d’êtres humains et le trafic de migrants (SCOTT), créé en 2003 à l’Office fédéral de la police, certains cantons se sont dotés de «tables rondes» réunissant des représentants de la justice, de la police et des associations d’aide aux victimes.

Ces tables rondes ont «instauré un climat de confiance entre les différents acteurs de la lutte contre la traite des femmes – autorités et ONG notamment – et elles permettent la coordination et l’intervention concrète et l’élaboration de concepts de coopération», a expliqué Denise Efionayi, vice-directrice du Forum suisse des migrations.

Sept cantons se sont dotés de tables rondes: BE, BS, FR, LU, SG, SO et ZH. Six autres sont en train d’élaborer des dispositions: AG, BL, GE, SZ, TI et VD.

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