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Lettres piégées marquées du sceau de l’anarchie

Lors du Forum économique mondial de Davos, les banques sont régulièrement taguées. Keystone

Ces derniers mois, des intérêts helvétiques ont été à plusieurs reprises la cible d’actions violentes revendiquées par des mouvements anarcho-révolutionnaires. Objectif: rappeler que trois anarcho-écologistes sont incarcérés en Suisse.

Les attentats (y compris ceux contre les ambassades de Grèce et du Chili à Rome ainsi que contre une caserne de Livourne) ont été revendiqués par la Fédération anarchiste informelle (FAI, à ne pas confondre avec la Fédération anarchiste italienne), qui s’est manifestée pour la première fois en 2003 en envoyant des lettres piégées à divers politiciens et organismes européens.

Pourquoi viser la Suisse? Dans ses lettres de revendication, la FAI exprime sa solidarité avec trois personnes détenues en Suisse: deux Italiens et un Tessinois arrêtés le 15 avril 2010 dans les environs de Zurich pour détention d’une importante quantité d’explosifs. Le trio est suspecté d’avoir voulu commettre un attentat contre un laboratoire de nanotechnologie d’IBM.

Tous trois sont liés au cercle anarcho-écologiste «Il Silvestre», né à Pise il y a une dizaine d’années et considéré comme l’un des plus extrémistes et les plus dynamiques d’Europe. Le groupe se réfère notamment à l’éco-terroriste grison Marco Camenisch, incarcéré depuis 1991 après dix ans de cavale passés en grande partie en Toscane. En 2002, Camenisch a été extradé en Suisse, où il a été condamné pour l’assassinat d’un garde-frontière suisse en 1989 ainsi que pour des attentats contre des pylônes électriques

Quant aux deux Italiens, ils s’étaient retrouvés plusieurs fois dans le collimateur de la police italienne ces dernières années pour divers attentats, comme par exemple celui qui a détruit le téléphérique de la station d’Abetone, le 21 janvier 2004, le jour de l’anniversaire de Camenisch.

Un phénomène en progression

Dans leur rapport 2010 sur la sécurité, les services secrets italiens ont souligné que les activités de la mouvance anarcho-révolutionnaire sont train de progresser. «Le modus operandi reste ‘classiquement’ l’action directe et des campagnes d’intimidation contre des cibles liées à la ‘répression’. (…) Par rapport au passé, cependant, on constate une tendance accentuée à la ‘personnalisation’ des menaces et à une internationalisation de la lutte. Cette dernière se constate soit par une attention soutenue portée aux activités des groupes homologues à l’étranger, avec la manifestation d’une solidarité militante envers ‘les camarades détenus’, soit par une tendance à déborder du cadre des frontières nationales.»

Cette évolution est confirmée aussi par l’Office européen de la police. Selon le rapport d’Europol, le nombre d’actes terroristes portant la signature de groupes d’extrême gauche ou anarchistes est en augmentation depuis quelques années. En 2009 ils ont augmenté de 40,43% par rapport à l’année précédente et le double par rapport à 2007.

En Suisse, 254 incidents imputables à l’extrême gauche ont été enregistrés en 2010, soit 34 de plus par rapport à 2009, selon le rapport annuel du Service de renseignement de la Confédération (SRC) publié le 2 mai.

Les idées chères à Kropotkine semblent donc faire encore des émules dans l’univers anarchiste, en particulier parmi les groupes écologistes et animalistes les plus extrémistes.

Un mouvement protéiforme

«En Europe il existe un mouvement anarchiste organisé qui s’exprime au sein des fédérations anarchistes des différents pays. Puis, dans chaque pays il y a une myriade de réalités qui se définissent comme anarchistes d’une façon ou d’une autre et qui opèrent selon d’autres perspectives, qui vont de l’écologie au communautarisme, ou alors qui s’identifient avec les mouvements de squatters, les centres autogérés, les groupes animalistes…», explique Peter Schrembs, membre du cercle anarchiste Carlo Vanza à Locarno.

Dans l’imaginaire collectif, l’anarchisme est souvent synonyme d’actions violentes, individuelles, comme en 1893, quand Auguste Vaillant fit exploser une bombe à l’Assemblée nationale française sans faire de victimes et, l’année suivante, quand Sante Caserio, pour venger le même Vaillant condamné à la peine capitale, blessa le président français Sadi Carnot. Ou encore le 29 juillet 1900 à Monza, quand Gaetano Bresci a tué le roi Umberto de Savoie, tenu pour responsable du massacre de plus de 100 personnes à Milan en 1898.

«C’est vrai que, dans l’histoire, il y a eu des gens qui se sont révoltés par n’importe quels moyens contre une situation qu’ils jugeaient inacceptable. Mais ce n’est pas propre aux seuls anarchistes, observe Peter Schremps. Pour nous, l’action directe signifie chercher à créer des coopératives, des projets d’autogestion, attirer l’attention de la population sur certains problèmes. Mais penser qu’en provocant l’amputation de la main d’un malheureux employé a quoi que soit à faire avec l’anarchisme et qu’on réussit à sensibiliser les gens à un problème déterminé avec ces méthodes dépasse toute logique.»

«Campagne de provocation»

La Fédération anarchiste italienne elle-même s’est aussi fermement distancée de ce qu’elle a qualifié d’«énième et misérable campagne de provocation ordinaire» qui n’a rien à voir avec l’anarchisme et qui ne fait que s’ajouter «aux provocations orchestrées par l’Etat pour criminaliser la protestation».

De nombreux sites Internet de la gauche radicale accusent en effet la Fédération anarchiste informelle d’être en substance une émanation des services secrets pour frapper toutes les sources de protestation. Cette lecture ne convainc pas Peter Schrembs: «Au vu des attentats de la Piazza Fontana de 1969 à Milan (16 morts et 88 blessés, Ndlr.), c’est normal que des doutes apparaissent. Mais dans ce cas, je crois que derrière ces actes, il y a une colère personnelle d’individus qui ne voient pas d’issue.»

Des individus qui peuvent compter sur un réseau étendu aussi au niveau international. Sur certains sites Internet et dans certains squatts fleurissent les «initiatives de solidarité» avec les trois anarchistes et les autres prisonniers.

En Suisse, par exemple, les Contributions à la lutte; lettres de prison des trois détenus et de Marco Camenisch ont été traduites en français par un membre de l’Espace autogéré de Lausanne.

De même, le tract distribué le 1er Mai par le Revolutionärer Aufbau Schweiz, considéré par les autorités comme «l’organisation d’extrême gauche la plus violente de Suisse», appelait à la liberté des quatre «prisonniers politiques». Selon le rapport du SRC, cette galaxie est numériquement modeste («environ 2000 extrémistes, dont 1000 sont violents»), mais son «potentiel de violence reste élevé». Au point que leur volonté est «de frapper encore plus fort», comme l’écrit le texte de la revendication de l’attentat contre l’ambassade de Suisse à Rome.

Tribunal pénal. L’acte d’accusation relatif à l’attentat déjoué contre IBM en avril 2010 a été transmis le 6 mai au Tribunal pénal fédéral à Bellinzone par le Ministère public de la Confédération (MPC).

Explosifs. Deux Italiens et un Suisse domicilié en Italie devront répondre de leurs actes. Ils sont soupçonnés d’avoir préparé un attentat à l’explosif contre le centre de recherche sur les nanotechnologies d’IBM à Rüschlikon (Zurich) et se trouvent en détention préventive depuis lors.

Revendication. Des explosifs et d’autres objets susceptibles d’être utilisés dans un attentat avaient été découverts dans leur voiture. Ainsi que 31 lettres de revendication manuscrites rédigées en langue allemande. Un groupe dénommé ‘ELF Switzerland Earth Liberation Front’ y revendiquait un attentat contre le centre de recherche sur les nanotechnologies IBM de Rüschlikon, alors en construction.

15 avril 2010: deux Italiens et un Suisse sont arrêtés dans les environs de Langnau am Albis (Zurich) en possession d’une importante quantité d’explosifs et suspectés de préparer un attentat contre le laboratoire de nanotechnologie d’IBM à Zurich.

5 octobre 2010: explosion d’une bombe de fabrication artisanale non explosée est retrouvée devant l’ambassade de Suisse à Rome. Un mur porte l’inscription «Libérez Costa, Silvia et Billy».

1-2 novembre 2010: l’ambassade de Suisse et d’autres missions diplomatiques à Athènes sont la cible d’attentats au colis piégé. Pas de victimes à déplorer.

23 décembre 2010: une lettre piégée blesse aux mains un employée de 53 ans de l’ambassade de suisse à Rome. Le même jour, un engin explose à l’ambassade du Chili de la capitale italienne. Un homme est gravement blessé au visage et aux mains. Dans son texte de revendication, la Fédération anarchiste informelle fait référence aux trois personnes arrêtées en avril en Suisse.

17 janvier 2011: des inconnus tentent sans succès de bouter le feu au Tribunal pénal fédéral de Bellinzone (Tessin), où trois jeunes anarchistes jeunes avaient été jugés quelque semaine auparavant. Un mur portait la signature d’un A entouré d’un cercle.

31 mars 2010: une lettre piégée explose dans les locaux de Swissnuclear à Olten, blessant deux femmes. Cette fois aussi, l’attentat est revendiqué par la Fédération anarchiste informelle. Le même jour, elle a prises pour cible la caserne d’une brigade italienne de parachutistes à Livourne (un officier est blessé) et la prison grecque de Koridallos (l’engin est désamorcé).

(Traduction de l’italien: Isabelle Eichenberger)

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