Malnutrition au Sud, excédent de nourriture au Nord
Des surplus de nourriture en Suisse, l’insécurité alimentaire à Madagascar. Comment ce profond fossé entre le Sud et le Nord est-il possible? Le journaliste Mamy Andriatiana s’est plongé dans la réalité quotidienne des deux pays.
Au sortir de Migros, l’une des grandes chaînes de distribution suisse, un mendiant étale à même le sol une nappe, un récipient et quelques effets personnels. La veste bien blanchie, coiffé d’un chapeau brillant feutré, chaussé d’un tennis de sport de marque Adidas, le clochard ne ressemble en rien à ceux qui se trouvent à dix mille lieux de lui, au Sud, comme à Madagascar. Son pair du Sud, pieds nus, la chemise froissée, a élu domicile au coin d’un dépotoir de la capitale malgache où il guette tous les débris domestiques pour récupérer de quoi tromper la faim au jour le jour.
La pauvreté est absolue à Madagascar, comme l’insécurité alimentaire et la malnutrition. La première préoccupation des ménages malgaches reste la nourriture. «Je n’ai encore rien mangé aujourd’hui», se lamente Totomaro, un enfant de la rue de la capitale Antananarivo. Selon Volana Rarivoson, responsable de communication du PAM (Programme alimentaire mondial), «deux tiers des dépenses familiales sont allouées à l’alimentation à Madagascar». Dans l’ensemble du pays, le taux de ménage touché par l’insécurité alimentaire s’élève à 50% en 2010.
Pour un mendiant suisse, aussi pauvre soit-il, la nourriture est loin d’être un souci. L’alimentation représente autour de 10% de la part du budget d’un ménage suisse. «L’accès à l’alimentation n’est plus un problème en Suisse, c’est plutôt la qualité des produits dans l’assiette du consommateur qui est source d’inquiétude», affirme Georges Wenger, célèbre restaurateur gastronomique du Jura.
Chaque année, la Suisse jette 250’000 tonnes de nourriture aux dépotoirs. Soit 14 à 36 kg par an et par habitant. Ce sont des aliments dont la date de vente a expiré. Les magasins de grande distribution sont donc contraints de les jeter. Face à cette triste réalité, la Suisse ne reste pas indifférente.
Du coup, des initiatives ont vu le jour. Objectif: établir un pont entre la surabondance et le besoin. A l’instar de l’association Table Suisse, qui aide directement les personnes nécessiteuses. Sa vision: récupérer les aliments excédentaires pour les personnes en difficulté, nourrir plutôt que jeter. Dans 12 régions du pays, de la nourriture excédentaire est collectée auprès de producteurs, grossistes et grandes surfaces, puis par la suite distribuée gratuitement à 500 institutions sociales qui s’occupent de personnes touchées par la pauvreté.
Depuis 2009, plus de 2700 tonnes de denrées alimentaires sont distribuées annuellement, pour une valeur de 17,9 millions de francs. Ceci correspond à environ 10,9 tonnes d’aliments par jour données aux nécessiteux de Suisse. Dignité oblige, les denrées alimentaires distribuées sont de qualité irréprochable. Toutes les marchandises dont la date de consommation expire sont systématiquement jetées aux ordures.
Ainsi, l’alimentation est sécurisée en Suisse. Sauf que la qualité est appelée à s’améliorer, comme le soulève le grand défenseur de terroir suisse, Georges Wenger: «La Suisse a intérêt à consommer sain et cultiver les valeurs locales».
Des classes désertées
La pauvreté a pris de l’ampleur à Madagascar, la crise politique aidant. Selon l’Instat (Institut national de la statistique), le ratio de pauvreté est passé de 70,1 en 1993 à 76,5 en 2010. La carence nutritive se répercute au niveau des familles et des individus. La ration alimentaire diminue: «Nous ne mangeons du riz plus qu’une seule fois par jour, contre trois fois auparavant», lâche Basile Ramaro, un paysan d’Ambohimalaza. Le riz étant l’aliment de base des malgaches.
Par ailleurs, les substances nourrissantes des mets s’appauvrissent en qualité. «Souvent, la viande et les légumes donnent place aux maniocs et patates douces», se console le paysan. Au sud du pays, quand la famine sévit à cause de l’invasion des criquets, la population n’hésite pas à consommer des tubercules sauvages, bien que ce soit fortement déconseillé par les médecins.
L’impact de ces déficiences est immédiat, notamment chez les enfants: absence fréquente à l’école ou abandon de classe, prolifération des maladies… A la campagne, les classes se vident pendant la période de soudure. «Les parents préfèrent garder leurs progénitures à la maison pour aider la famille à travailler la terre et cultiver, afin de subvenir aux besoins du foyer», affirme Alphonsine Ranary, une institutrice. En Suisse, contraste frappant. Le pays jette aux ordures 250’000 tonnes de nourriture chaque année. Ce sont des denrées alimentaires excédentaires provenant des grandes surfaces, des producteurs et des détaillants.
Bref, la pauvreté en suisse n’est pas alimentaire. Bien que 8,8% de la population suisse soit déclarée pauvre, c’est plutôt une exclusion, une pauvreté relative, laquelle empêche certaines personnes de s’intégrer à la société. Les vulnérables sont privés de certains privilèges tels que vacances, voiture, lave-linge, chauffage du domicile… et non l’alimentation. «C’est plutôt un combat pour la dignité humaine», explique Jean-Pierre Tabin, professeur à l’Institut des sciences sociales de l’université de Lausanne. «Nous ne pouvons pas nous permettre le luxe de faire des vacances, ni de payer un billet pour voir un spectacle au cirque (30 francs suisses), mais nous mangeons pas mal…», relate Laurence, mère de trois enfants, qui fréquente l’association Cartons du Cœur.
Cet article s’inscrit dans le cadre de l’opération «En quête d’ailleurs» 2011, soutenue par l’Unesco, la Direction du développement et de la coopération (DDC) du Département fédéral des Affaires Etrangères (DFAE), la Fondation Hirondelle, la Radio Télévision Suisse (RTS), la Formation continue des journalistes (FCJ), l’Union romande des radios régionales (RRR) et l’entreprise decibel SA.
L’association «En Quête d’Ailleurs» vise à mieux faire connaître les pays éloignés politiquement, socialement et culturellement, grâce au partenariat journalistique entre des médias suisses et des médias de ces pays. «SOS alimentation mondiale» est le thème de l’édition 2011.
Les publications et médias qui participent à l’opération en 2011 sont:
En Suisse: les radio et télévision suisse romande (RTS), Radio Fribourg, Le Courrier, l’ATS, la Tribune de Genève et swissinfo.ch.
Ailleurs: Radio Signal FM (Haïti), agence de presse Médiascope (Madagascar), quotidien khmer Rasmei Kamuchea (Cambodge), quotidien L’Orient-Le Jour (Liban), journal L’Emergence (Cameroun), radio communautaire de Katanga (Congo), radio Don Bosco (Madagascar)
«Lapins au chocolat, gâteaux, salades et légumes…»
Si un Malgache boit cinq litres de lait par an, un suisse en consomme plus de dix fois plus (85 Kg). Entre les deux pays, il faut noter le fossé sur le terme de l’échange. Un franc suisse équivaut à deux mille ariary. «Cela explique tout», affirme l’analyste économique Serge Zafimahova. L’Etat suisse dispose d’une économie forte, stable mais surtout dotée d’une politique économique et sociale juste et efficace. L’article 12 de la constitution fédérale garantit le droit de vivre dignement pour chaque citoyen suisse.
Tandis que l’essor économique de la Grande île demeure fragile, instable. «L’absence d’une vision globale de développement économique et sociale demeure le nœud du problème», réitère Serge Zafimahova. Des multiples projets en matière de lutte contre l’insécurité alimentaire fourmillent à Madagascar, tels que cantines scolaires, opération vitamine A, amélioration nutritionnelle des cuissons, lutte antiacridienne. Mais ils sont demeurés éphémères. A l’instar des aides ponctuelles, comme couvertures et quelques kilos de riz ou de sucre pendant la fête de l’indépendance, Noël ou lors des propagandes électorales…
En Suisse, la pauvreté est une affaire de tous. Soupe populaire, épicerie bon marché, centre social et associations viennent à la rescousse des familles précaires. «Ceux qui fréquentent notre centre sont gâtés, leurs choix sont multiples et gratuits: lapins en chocolat, gâteaux, salades, légumes…», affirme Robert Samouiller, responsable du centre Etape de Vevey. En tout, le pays débourse 130 milliards de francs suisses (30% du PIB en 2003) aux nécessiteux: pension alimentaire, assurances sociales, droit de chômage, pension de retraite, revenu d’insertion…
Comment rétrécir le fossé ? Acheminer les surplus vers le Sud ? Difficile, jusqu’à ce jour!
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