L’Allemagne s’inquiète de l’exil de ses médecins en Suisse
Un nombre très important de médecins étrangers travaillent en Suisse. En Suisse alémanique, ceux-ci proviennent surtout d’Allemagne. Ils bénéficient de meilleures conditions de travail et contribuent à assurer les soins de santé en Suisse. L’Allemagne, qui a formé ces médecins, trouve la pilule un peu amère.
«Encore un Allemand!» Au lieu de se réjouir d’être soignés par des spécialistes hautement qualifiés ayant une parfaite connaissance de l’allemand, certains patients se plaignent qu’il n’y ait aucun médecin suisse pour s’occuper d’eux.
Les médecins allemands entendent souvent ce genre de critiques, reconnaît Susanne Federer, membre de la direction de Federer & PartnerLien externe. Cette société est spécialisée depuis plus de 20 ans dans le conseil aux entreprises dans le domaine de la santé. «Nous avons eu pendant 10 à 12 ans un véritable afflux de médecins allemands qui cherchaient du travail en Suisse.»
Ce n’est pas uniquement dans les zones frontalières, mais jusqu’en Suisse centrale, que des cabinets sont repris par des médecins allemands. «Beaucoup de jeunes médecins suisses ne sont pas disposés à travailler pendant toute leur carrière 60 heures ou plus par semaine. Les Allemands sont davantage prêts à cela», dit Susanne Federer. Certains Suisses auraient des problèmes avec ça, du moins au début. «Mais lorsqu’ils voient les prestations de ces médecins, généralement, les critiques s’estompent.»
Des places plus attractives en Suisse
Dans nombre d’hôpitaux, on parle même d’un quart du personnel – qu’il s’agisse de médecins assistants, spécialistes ou cadres – qui ne parle pas le dialecte alémanique, mais le bon allemand.
Le professeur Matthias Knobe, médecin-chef à l’hôpital universitaire d’Aix-la-Chapelle, viendra également en Suisse. A partir du 1er juin 2019, il sera le nouveau médecin-chef et directeur général de la clinique d’orthopédie et de chirurgie traumatologique de l’hôpital cantonal de Lucerne. Matthias Knobe fait l’éloge de son nouvel employeur, qu’il considère comme «une adresse de choix lorsque l’on pense à sa carrière et à ses objectifs professionnels».
Le fait que des Suisses nourriraient certains ressentiments à l’égard des immigrés allemands, comme le rapportent des professionnels dans le forum médical allemand aerzteblatt.deLien externe, ne préoccupe pas trop le jeune médecin-chef. «Certains Allemands arrivent en Suisse avec un petit sentiment de supériorité et cela ne fonctionne pas. On récolte ce que l’on sème. N’étant pas arrogant, je ne devrais pas avoir ce genre de problème.»
Des revenus plus élevés et de meilleures perspectives de carrière ne sont pas les seules raisons pour émigrer en Suisse. Certains auraient des problèmes avec le système de santé allemand, dit Jürg Schlup, président de la Fédération des médecins suissesLien externe (FMH). C’est notamment le cas des budgets dits globaux, qui sont utilisés dans tout le pays depuis trente ans dans le secteur ambulatoire. Si ce plafond est dépassé, les médecins reçoivent moins d’argent par traitement.
«Les collègues allemands se plaignent que cela entraîne des temps d’attente et des restrictions de performance», rapporte Jürg Schlup. Le président de la FMH apprécie que tant de médecins allemands préfèrent la Suisse. Dans les années 80, le nombre de places pour les étudiants en médecine dans les universités suisses avait été fortement réduit. En conséquence, le nombre de médecins diplômés chaque année en Suisse était passé de plus de 1000 en 1978 à environ 600 en 2005 – date de la fin du plafonnement – tandis que la population augmentait de 25%.
Les diplômés suisses manquant ont été remplacés par des diplômés étrangers. De nos jours, un bon tiers des 37’000 médecins actifs en Suisse viennent de l’étrangers, selon les statistiques de la FMH. Parmi eux, 6800 (plus de 18%) ont un diplôme allemand.
Les Allemands en Suisse, les Polonais en Allemagne
Mais dans le pays qui a financé leur formation avec l’argent public, ces médecins manquent de plus en plus. C’est pourquoi le ministre allemand de la Santé, Jens Spahn, aimerait enrayer l’émigration vers d’autres pays, particulièrement la Suisse.
«Maintenant, ce sont des médecins polonais qui travaillent chez nous et qui manquent à leur tour à la Pologne», a récemment déclaré le ministre dans une interview au journal dominical suisse «SonntagsBlick». Jens Spahn propose de régler le problème du débauchage de spécialistes d’autres pays au sein de l’Union européenne.
La proposition n’est pas bien accueillie par les médecins allemands désireux d’émigrer. Le professeur Knobe a aussi des doutes. Selon lui, aucun médecin allemand ne se laisserait dissuader d’atteindre ses objectifs professionnels. «Si Monsieur Spahn souhaite empêcher l’émigration, il doit améliorer les conditions dans son pays d’origine. Par exemple, veiller à ce que les médecins ne doivent pas faire du travail administratif toute la journée au lieu de s’occuper des patients, ou à ce qu’ils n’aient pas à faire des heures supplémentaires indéfiniment, ou encore à ce que les pressions économiques ne mènent pas à des décisions médicalement inacceptables.»
Le président de la FMH comprend les deux camps. «D’après les derniers chiffres, il manque 5000 médecins dans les hôpitaux allemands. Les mesures exigées par le ministre de la Santé sont légitimes. Il est en effet douteux d’un point de vue éthique que la Suisse bénéficie de médecins formés dans d’autres pays avec l’argent de leurs contribuables», déclare-t-il.
La FMH exige depuis longtemps que chaque pays forme un nombre suffisant de médecins qui lui sont propres. «La Suisse ne l’a pas fait suffisamment depuis 20 ans, et maintenant c’est l’heure des comptes», dit Jürg Schlup.
Depuis 2008, les universités suisses ont doublé le nombre de places dans les facultés de médecine. Mais il faut plusieurs années aux étudiants en médecine pour devenir des spécialistes. Pour des raisons démographiques, le président de la FMH part du principe que la demande de médecins titulaires d’un diplôme allemand dans le système de santé suisse restera élevée. «Il faudra plusieurs années avant que le nombre de diplômés suisses soit suffisant pour remplacer tous les départs à la retraite», prévoit-il.
Même chose en Suisse romande et au Tessin
Les zones francophones et italophones du pays vivent la même situation avec des médecins en provenance respectivement de France et d’Italie.
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