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Marché de l’emploi: gare au mirage statistique

Une conseillère en placement (à gauche) discute avec un demandeur d'emploi. Keystone Archive

Le chômage poursuit sa baisse en Suisse. Pour la première fois depuis près de cinq ans, le nombre de chômeurs est passé en-dessous de la barre des 100'000 en juin.

La situation sur le front de l’emploi est toutefois loin d’être rose. Les laissés-pour-compte de la conjoncture sont nombreux en marge des statistiques.

«Chaque début de mois, on n’échappe plus aux ‘cocoricos’ pour dire que le chômage a encore baissé», s’insurge Annelise Meyer-Glauser, municipale en charge des Affaires sociales à Villars-sur-Glâne, commune de plus de 10’000 habitants sise dans l’agglomération de Fribourg.

Ces derniers mois, le Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco) salue dans chacun de ses communiqués mensuels «l’évolution réjouissante» de la situation. Un optimisme relayé par les médias, qui parlent d’«embellie», de «vigueur de l’économie». Annelise Meyer-Glauser parle elle sans ambages de «désinformation».

Et de donner l’exemple de sa commune, sur laquelle elle a fait réaliser une étude. «Chaque mois, on a près de 40 personnes qui s’inscrivent au chômage et 40 personnes qui en sortent. Un tiers de celles-ci n’ont pas retrouvé d’emploi», explique-t-elle, en précisant que la situation dans d’autres centres urbains est comparable.

197’000 demandeurs d’emploi

Professeur au département d’économie politique de l’Université de Genève où il dirige l’Observatoire universitaire de l’emploi (OUE), Yves Flückiger reconnaît que la tendance à «jouer sur la définition de la notion de ‘chômeur’ est présente en Suisse, comme d’ailleurs dans de nombreux autres pays.»

Pour lui, c’est non pas le taux de chômage, mais celui des demandeurs d’emploi qu’il faut prendre en considération pour avoir une vision plus juste de la situation sur le marché du travail.

Le nombre de demandeurs d’emploi tient aussi compte des chômeurs qui suivent des mesures actives et ne sont donc pas immédiatement disponibles pour un emploi. En juin 2007, celui-ci s’est par exemple élevé à 158’700 en Suisse, soit près de 59’000 personnes de plus que le nombre de chômeurs (99’700).

Sur l’ensemble de l’année dernière, le nombre moyen de chômeurs s’est quant à lui élevé à plus de 131’000, alors que le nombre de demandeurs d’emploi était supérieur à 197’000. Par ailleurs, près de 31’000 personnes ont épuisé leur droit aux prestations du chômage en 2006.

Report sur l’aide sociale

La plupart d’entre elles disparaît donc des statistiques du Seco. L’étude réalisée à Villars-sur-Glâne montre par exemple que la moitié de ces personnes sollicitent ensuite l’aide sociale, sans pour autant abandonner leur quête d’un travail.

«Il faut bien voir que ceux qui ne sont pas comptés dans la statistique du Seco sont les plus défavorisés: femmes sans formation, étrangers ne parlant pas la langue, jeunes sans expérience professionnelle. Souvent, ils ne peuvent même pas prétendre à des indemnités», témoigne Annelise Meyer-Glauser.

Pour elle, la situation réelle est plus justement reflétée par l’Enquête suisse sur la population active (ESPA) publiée chaque année par l’Office fédéral de la statistique (OFS). Portant sur un échantillon représentatif de 50’000 sondés, cette enquête permet d’estimer le nombre de personnes qui sont à la recherche d’un emploi.

Pour 2006, l’ESPA estime ainsi le taux moyen de sans-emploi à 4% en Suisse, alors que le taux de chômage tel que le calcule le Seco était de 3,3%. L’ESPA montre en outre que 6% de la population active helvétique souhaiterait travailler davantage.

Optimisme à l’effet pervers

«Les données du Seco sont très utiles pour connaître l’évolution conjoncturelle, explique Thierry Murier, collaborateur scientifique à l’OFS. Par contre si on souhaite disposer d’informations structurelles, notamment sur toutes les personnes qui cherchent du travail, l’ESPA est plus indiquée.»

Ceci d’autant plus que cette enquête, effectuée selon des normes européennes communes, permet des comparaisons internationales. En ce qui concerne le taux de sans-emploi au deuxième trimestre 2006, la Suisse (4%) se plaçait par exemple derrière la Norvège (3,5%) et le Danemark (3,7%), mais devant l’Italie (7,6%), la France (8,3%) et l’Allemagne (8,5%).

De manière générale, les données de l’ESPA reflètent les chiffres nationaux du chômage en les amplifiant. Mais la corrélation existe: lorsque le chômage baisse, la statistique des personnes sans emploi diminue. «L’effet de la conjoncture se fait ressentir avec un décalage», souligne Thierry Murier.

Reste que sur le terrain, Annelise Meyer-Glauser déplore les effets pervers de l’optimisme ambiant. «C’est partout dans la presse. Forcément, ceux qui n’ont pas de travail se disent que c’est de leur faute et qu’ils ne valent vraiment rien. Humainement, c’est destructeur.»

swissinfo, Carole Wälti

Taux de chômage en Suisse en 2006: 3,3% (Seco)
En 2005: 3,8%
Taux de sans-emploi en Suisse en 2006: 4% (ESPA)
En 2005: 4,4%
Taux de chômage en juin 2007: 2,5%(Seco)
Nombre de chômeurs inscrits en juin 2007: 99’781 (Seco)
Nombre de demandeurs d’emploi inscrits en juin 2007: 158’677 (Seco)
Evolution du recours à l’aide sociale entre 2004 et 2005: +8%

Les indicateurs de l’Enquête suisse sur la population active (ESPA) et ceux du Seco décrivent deux facettes d’un même phénomène.

La statistique des chômeurs inscrits, réalisée par le Seco, se fonde sur les personnes en quête d’un emploi qui sont inscrites auprès d’un office régional de placement (ORP).

Le Seco fournit des chiffres mensuels du chômage qui permettent de suivre l’évolution conjoncturelle à court terme. Ceux de l’ESPA sont fondés sur la définition internationale et autorisent donc la comparaison de pays à pays.

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