L’Expo des records ferme entre chiffres positifs et occasions manquées
L’heure du bilan a sonné à la veille de la fermeture de l’Exposition universelle de Milan. Alors que les chiffres donnent raison à ses promoteurs, la valeur des contenus est mise en question. Si la manifestation restera inscrite dans l'histoire, ce ne sera certainement pas pour avoir amélioré la réflexion sur comment "Nourrir la planète", critiquent certaines ONG. Le Pavillon suisse a en revanche mis dans le mille et a été primé pour son interprétation du thème.
Expo 2015 ferme ses portes après six mois de longues files d’attente aux portes d’entrée et aux pavillons, de défilés hauts en couleurs, de débats, de visites de chefs d’Etat, de rencontres bilatérales et beaucoup de nourriture. Les polémiques de ces dernières semaines à cause des queues interminables pour accéder au site et aux différents pavillons vont maintenant céder le pas à l’analyse de ce qu’a été la grande exposition de Milan et de ce qui en restera.
Le Pavillon Suisse en chiffres
2,1 millions de visiteurs, qui représentent une moyenne quotidienne de 11’400
Plus de 1000 visites qui ont rassemblé 20’000 participants
921 événements, pour un total de 103’000 participants
1800 journalistes accueillis
1650 articles sur le pavillon suisse
181 millions d’interactions numériques
Plus de 39’000 fans sur les réseaux sociaux
Succès de public et d’affluence
D’ores et déjà, les chiffres donnent raison aux organisateurs qui après avoir balayé les doutes initiaux d’une bonne partie du pays, peuvent désormais exulter en alignant des données impensables il y a quelques mois seulement. En témoigne le nombre de billets vendus, plus de 21 millions et les milliers d’évènements organisés. Expo 2015 a aussi accueilli de nombreux chefs d’Etat comme Vladimir Poutine, François Hollande, Angela Merkel, David Cameron, Benjamin Netanyahu ou John Kerry ainsi que des milliers de délégations. Avec la visite du secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon, ces hôtes ont conféré à l’événement un caractère vraiment universel.
Le bilan économique est aussi positif: les premières estimations contenues dans une étude de l’Université Bocconi de Milan, mandatée par Expo 2015, avancent un chiffre d’affaires de dix milliards de francs de valeur ajoutée. Ce qui amènera à une hausse du Produit intérieur brut (PIB) de quelques points décimaux avec de bonnes perspectives de retombées économiques jusqu’en 2020.
«L’Expo de Milan a démontré comment elle peut être attractive en redorant l’image de toute une métropole dans le monde entier. C’est un modèle d’organisation et de promotion, une valeur à utiliser à l’avenir également», a déclaré Giuseppe Sala, le commissaire de la manifestation.
«La diplomatie de l’Expo a fonctionné car elle a permis d’améliorer la connaissance de l’Italie pour ce qui est de la coopération agricole et alimentaire, une connaissance beaucoup plus étendue aujourd’hui qu’il y a six mois. Nous avons su donner une âme à l’exposition et avons contribué à en réinterpréter le rôle au vu des temps que nous vivons», a affirmé pour sa part Maurizio Martina, ministre italien de l’agriculture.
Une bonne image de la Suisse
La Suisse n’est pas en reste et figure parmi les pays qui se sont mis en évidence à Milan. Son pavillon a sûrement été celui qui a su interpréter au mieux le thème de l’Expo soit «Nourrir la planète, énergie pour la vie». Ses quatre tours remplies de différents produits alimentaires dont les contenus baissaient au fur et à mesure que les visiteurs se servaient de rondelles de pommes séchées, café soluble, sel ou eau, n’ont pas seulement plu au public et aux journalistes du monde entier mais lui ont aussi valu le prix pour la meilleure interprétation du thème d’Expo Milan 2015, remis par la revue américaine Exibitor.
«Nous avons été les premiers à signer le contrat de participation, les premiers à annoncer notre pavillon et les premiers à organiser des événements comme la “Tournée du goût” bien avant le début de l’exposition. Dans notre pavillon, nous n’avons pas projeté de beaux films sur notre pays, nous n’avons pas fourni d’explications techniques sur la force agroalimentaire de la Suisse. En revanche, nous avons proposé une réflexion sur la consommation responsable, réussissant ainsi à sensibiliser les gens sur la responsabilité individuelle et sur le rôle que chacun d’entre nous peut être amené à jouer», a dit à swissinfo Nicolas Bideau, directeur de Présence suisse, l’agence de promotion de l’image de la Suisse à l’étranger.
«Les tours ont eu le mérite de corriger l’image de la Suisse et mettre l’accent sur la solidarité, le partage et l’engagement en faveur de l’aide à la coopération pour ce qui est de l’accès à l’eau, à la nourriture, à la biodiversité. En deux mots donner l’image d’un pays en mesure de proposer des solutions solidaires non seulement pour soi mais pour le monde entier», a ajouté M. Bideau tout en soulignant que l’objectif de renforcer les relations et les rapports bilatéraux entre la Suisse et l’Italie a aussi été atteint. Et ceci, non seulement au niveau fédéral mais aussi cantonal et régional.
Par ailleurs, le jugement de Nicolas Bideau est largement partagé par le ministre suisse des Affaires étrangères Didier Burkhalter, qui a visité le pavillon suisse à la veille de la fermeture. Pour le chef de la diplomatie, une plate-forme telle que l’Expo 2015 sert également à discuter de questions bilatérales. C’est précisément pour cette raison que «la Suisse a immédiatement été convaincue qu’il était nécessaire de s’engager pour l’Expo de Milan», a-t-il dit.
Un engagement bien payé, selon Didier Burkhalter, qui juge que l’Italie et la Suisse sortent victorieux de l’exposition universelle. Avec cette participation «la Suisse a renforcé les liens économiques, culturels et politiques avec l’Italie», a déclaré le ministre.
Une occasion manquée
Reste que les chiffres positifs n’ont pas empêché les critiques de fuser. L’exposition universelle a été accusée de ne pas avoir suffisamment traité le thème de l’alimentation. «L’explication de la question alimentaire qui ressort de l’exposition est que la technologie est la meilleure solution pour vaincre la faim et la pauvreté. L’idée selon laquelle l’homme peut parvenir à dominer la nature n’a désormais plus cours, elle peut être une réponse bien sûr mais elle n’est pas la seule. Nous croyons qu’il faut replacer l’alimentation au centre des débats, faire en sorte qu’elle devienne un projet politique et culturel en repensant les relations humaines au travers d’une filière allant du champ agricole à l’assiette ainsi que le rapport entre l’homme et la nature», explique Giosué De Salvo, coordinateur d’Expo des Peuples, un forum de la société civile et des mouvements paysans qui regroupe une cinquantaine d’organisations non gouvernementales et d’associations.
«Nous saurons dans quelques années si l’Expo est parvenue à créer des modèles alimentaires différents de ceux d’aujourd’hui. A notre avis, on a trop donné la parole à ceux qui constituent un problème et un obstacle à la modification des modèles alimentaires actuels, à savoir les grandes multinationales», observe Nino Pascale, président de Slow Food Italia, une association bénévole qui œuvre dans 150 pays pour encourager une alimentation saine, propre et équitable pour tous.
Nino Pascale estime à propos de la Charte de Milan, le document d’engagement collectif sur le droit à l’alimentation, signée par plus d’un million de personnes et remise récemment à Ban Ki-moon à l’occasion de sa visite à l’Expo, qu’il s’agit «d’un document louable car pour la première fois il considère que la nourriture est un droit. Mais certains éléments font défaut car il n’explique pas comment passer de modèles alimentaires concentrés entre les mains de peu de personnes à un système en mesure de produire des aliments de façon plus étendue.»
Selon une enquête menée par l’institut de statistique Coldiretti-Ixè, 74% des Italiens estiment que l’Expo a été un succès tandis que 88% des visiteurs qui ont dépensé au total 2,3 milliards de francs en voyage, hébergement, billets d’entrée et maintien ont trouvé l’expérience positive.
Les chiffres d’Expo 2015
– Plus de 21 millions de visiteurs (la moitié s’est rendue à l’Expo une seule fois, 35% deux fois, 11% trois fois et 2% quatre fois) pour une moyenne journalière de 116’000 personnes.
– Plus de 15’000 sociétés sont venues du monde entier.
-700 concerts et spectacles ont eu lieu
– 1100 “food show cooking »
– 1000 cérémonies et conférences
– 330 évènements d’art et de culture
– Visites de 60 chefs d’Etat et de gouvernement
– 270 délégations officielles accueillies
– 2h45 minutes d’attente en moyenne
(Adaptation de l’italien: Gemma d’Urso)
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