Pleins feux sur l’achat controversé de terres agricoles
La mainmise étrangère sur d’énormes surfaces de terrain agricole dans des pays en voie de développement prend une tournure inquiétante. On parle de «saisie de terres» ou, de façon plus neutre, d’«acquisition transnationale de terrain».
Le phénomène n’est pas complètement nouveau: après tout, au 19e siècle, le colonialisme n’a pas procédé différemment. C’est ce qu’ont rappelé des experts lors d’un colloque organisé à Zurich par le Centre Nord-Sud de l’Ecole polytechnique fédérale (EPF) et par le Centre de compétences dans la recherche Nord-Sud de l’Université de Berne.
Des groupes alimentaires occidentaux achètent ou louent des terres dans d’autres pays depuis de nombreuses années. Mais ces deux dernières années, de nouveaux acteurs sont apparus.
Techniques de persuasion
Des entreprises de Chine, d’Arabie saoudite et de Corée du Sud se sont lancées dans ce secteur suite à la crise alimentaire de 2008. Celle-ci avait été provoquée par la décision de plus de 25 pays producteurs de réduire leurs exportations de récoltes.
De même, en 2007, la hausse des prix du pétrole a provoqué un fort intérêt pour les biocarburants et pour des terres où cultiver les plantes nécessaires. Les chercheurs essayent désormais de quantifier le phénomène. Un rapport commandé par la Banque mondiale devrait paraître fin juin.
D’après les expériences réunies lors du colloque de Zurich, les sociétés agro-alimentaires usent de techniques de persuasion pour le moins efficaces afin de convaincre les autochtones.
«Au Kenya, certains promettent un avenir radieux, mais peu après, on voit comment les plantations louées par des étrangers sont ruinées», a raconté Ralf Leonhard, du Réseau d’action et d’information sur l’alimentation FIAN.
Le rôle de Daewoo Logistics
Début 2009, c’est aussi un «deal sur des terres» avec la compagnie sud-coréenne Daewoo Logistics qui a fait tomber le président de Madagascar Marc Ravalomanana. Les Asiatiques voulaient planter du mais et des plantes pour des biocarburants.
Cet exemple n’est pas isolé, a indiqué
Andrea Ries, de la Direction du développement et de la coopération (DDC). «Le Mozambique a décrété un moratoire sur les accords avec des investisseurs étrangers et beaucoup de pays en débattent.»
La DDC encourage les paysans locaux à participer au débat. «Ils ne devraient pas être représentés par des organisations internationales ou des ONG», ajoute Andrea Ries.
Lois univoques
Un autre problème réside dans le fait que les investisseurs sont mieux protégés par le droit international que les indigènes. L’argument traditionnel veut qu’ils stimulent la croissance à long terme et que les bienfaits «retombent» sur la population, en fin de compte.
Les observateurs et experts s’accordent désormais pour dire que ce n’est pas toujours le cas. Les droits des investisseurs acceptés par un Etat, par exemple celui d’utiliser l’eau, peuvent entrer en conflit avec les besoins de la population. L’investisseur est alors le plaignant et l’Etat doit se défendre.
«C’est pourquoi la société civile doit se battre pour le développement durable et les droits humains», revendique Katja Gehne, qui travaille pour l’Institut mondial du commerce. Sa collègue Elisabeth Bürgi Bonanomi ajoute que les avocats de ces pays ne connaissent souvent pas assez bien les règles de droit international pour pouvoir les utiliser.
Les investisseurs doivent apprendre
Mais les nouveaux-venus ne sont pas les seuls «méchants» de l’affaire. «On ne peut pas dire que la Chine et l’Arabie saoudite sont de mauvais investisseurs et les Européens de bons», précise Andrea Ries. Selon elle, il faut bien observer tout le monde.
«Dans un domaine aussi globalisé que l’industrie agro-alimentaire, de nouvelles régulations sont certainement nécessaires, estime la spécialiste de la DDC. Il faut une nouvelle manière de prendre les décisions qui prenne en compte les intérêts locaux et la régulation et les forces du marché.» Cela ne peut se faire qu’à long terme.
Les sociétés de pays d’Arabie saoudite et de Chine investissent dans des terrains agricoles pour avoir plus de contrôle sur son industrie stratégique, de la même manière que les autres groupes internationaux. «La stratégie des investisseurs européens a consisté à devenir locaux», note Andrea Ries.
«Nestlé, par exemple, a développé des marchés locaux et a influencé les besoins locaux. La société de Vevey doit respecter les lois locales. Beaucoup de compagnies, lorsqu’elles arrivent, doivent apprendre cela. «Si elles le font, avec des hauts et des bas, elles pourraient apporter leur contribution», conclut Andrea Ries.
Julia Slater, Zurich, swissinfo.ch
(Traduction de l’anglais: Ariane Gigon)
Depuis le boom des biocarburants en 2003 et la crise alimentaire de 2008, de nouveaux pays ont cherché à investir dans les terrains agricoles à l’étranger.
Les investisseurs étrangers louent ou achètent du terrain et s’assurent les droits d’utilisation d’eau pour la production agricole.
Jusqu’ici, la plupart des contrats sont restés secrets. Le public, les organisations intergouvernementales et les ONG n’en ont rien su. Le manque de transparence augmente les risques de corruption, notamment sur l’eau.
Les pays d’Afrique sub-saharienne n’utilisent que 2% de leur eau pour l’irrigation. Les investisseurs voient cela comme un potentiel inexploité.
Par continent, les trois pays les plus recherchés sont:
– Afrique: Soudan, Ghana, Madagascar.
– Amérique du Sud: Brésil, Argentine, Paraguay.
– Asie de l’Est-Pacifique Indonésie, Philippines, Australie.
Les trois pays qui investissent le plus sont :
la Chine, l’Arabie saoudite, la Grande-Bretagne.
En conformité avec les normes du JTI
Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative
Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !
Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.