Qui permettra à la FIFA de sortir du chaos?
Qui sortira la Fédération internationale de football association (FIFA) du chaos où elle est plongée? Qui lui redonnera stabilité et crédibilité? Devons-nous nous attendre, au contraire, à ce que la chute de l’organisation, autrefois si fière, se poursuive? Le point de vue d’un ancien collaborateur et grand connaisseur de la FIFA, Guido Tognoni.
Le Congrès extraordinaire du 26 février prochain à Zurich devrait apporter quelques réponses et permettre à l’organisation de regagner des eaux plus calmes, après les événements traumatisants de l’année dernière. Pour cela, il faut que les plus de 200 délégués annoncés, représentants des associations nationales, acceptent la réforme proposée. Etant donné la pression que continuent à exercer les autorités judiciaires américaines et suisses, les mesures de réforme devaient passer la rampe.
La question se pose aussi de savoir si la justice va à nouveau jouer des muscles avant la prochaine assemblée générale et irriter les fonctionnaires du football avant leur grande réunion. Il y aurait suffisamment de raisons à cela.
Car que ne s’est-il pas passé depuis fin mai 2015! Des arrestations, des révélations, des aveux, des bannissements et des démissions que personne n’aurait crus possibles, à ce point-là, avant l’intervention de la justice américaine et suisse fin mai à Zurich. D’un coup, la FIFA n’était plus ce qu’elle était et elle ne le sera plus pendant longtemps encore.
L’organisation qui se croyait intouchable et vivait sur sa propre planète est devenue une formation fragile qui doit largement se soumettre aux avocats américains et qui fait tout, depuis, pour apparaître, d’un point de vue juridique formel, non plus comme l’auteure de méfaits, mais comme la victimes des manquements de personnes ayant agi de façon isolée. Le moment où les trois plus hauts fonctionnaires du football mondial – le président de la FIFA Sepp Blatter, le président de l’UEFA Michel Platini et le secrétaire général de la FIFA Jérôme Valcke – ont été détrônés a été l’épisode charnière d’un drame digne d’un film dont le scénario a été en majorité écrit par les membres inconnus d’une commission d’éthique autrefois moquée.
Une crise «maison»
Débattus depuis des années, les reproches de corruption au sein de la FIFA ont abouti à l’arrestation de neuf hauts fonctionnaires de la Fédération internationale à Zurich en mai et en décembre 2015. Trois d’entre eux ont été extradés vers les Etats-Unis. La justice américaine enquête aussi, désormais, contre l’ex-président de la FIFA, Sepp Blatter, qui continue à rejeter toutes les critiques.
Blatter ne veut pas comprendre
Chassé de la cour, Sepp Blatter défendait l’opinion, absurde, de n’être pas soumis, en tant que président, à la commission d’éthique. Mais ce n’était que la tentative désespérée d’un homme qui a régné, en brillant de mille feux, pendant plus de quatre décennies sur le nom de la FIFA et qui refuse de voir le changement historique survenu dans son sport.
La réforme exige beaucoup: restriction de la durée des mandats, transparence salariale, séparation de la politique et du commerce, clarification du statut juridique, gouvernance irréprochable, intégration de tous les cercles liés au football pour la prise de décision, réduction du nombre, actuellement tentaculaire, de commissions, amélioration des programmes de développement, mises au concours équitables. De fait, tous ces thèmes devraient faire partie du développement normal de toute organisation. Pourtant, par le passé, ils ont été négligés de façon grossière par la FIFA, malgré des milliers de francs dépensés pour de prétendues restructurations.
Qui conduira la FIFA dans cette nouvelle ère? Cinq candidats sont en lice. Le principal outsider, le Sud-Africain Tokyo Sexwale, risque bien de se retirer avant l’élection. S’il a mené campagne, celle-ci est pour le moins restée discrète. Les favoris sont le prince Salman Al-Khalifa, du Bahreïn, et le Suisse Gianni Infantino, proposé par l’UEFA comme remplaçant de Michel Platini.
Point de vue
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Actuellement président de la Confédération asiatique de football, le prince Salman Al-Khalifa symbolise la montée des Etats du Golfe qui, à l’instar du Qatar, veulent étendre leur pouvoir économique dans le monde du sport mondial. Avec Gianni Infantino, l’UEFA veut conserver l’influence sportive et commerciale du football européen au sein de la FIFA. Sans UEFA, la FIFA n’est pas en bonne posture. Elle a besoin de l’UEFA, tandis que l’inverse n’est pas vrai. En cas de succès du prince Salman Al-Khalifa, l’avenir dépendra fortement de l’origine des personnes clés placées dans l’administration de la FIFA.
Jérôme Champagne: un programme bien pensé, mais sans soutien
Gianni Infantino promet, s’il gagne, d’augmenter le nombre d’équipes participant à la Coupe du monde de 32 à 40, une idée qui suscite l’incompréhension des connaisseurs et la résistance des grands clubs. Le candidat à la présidence Jérôme Champagne a préféré s’abstenir de toute promesse pendant la campagne. Il aura besoin du moindre suffrage pour passer le premier tour des élections le 26 février. Son programme bien pensé plaide également en sa faveur. On peut ne pas être d’accord avec tout, mais il montre beaucoup de compréhension pour les problèmes du football mondial.
Le Français entend ainsi s’engager pour une meilleure répartition des moyens financiers entre les clubs pauvres et ceux qui s’arrogent toujours plus de moyens. Mais Jérôme Champagne est seul: il n’a pas, comme Gianni Infantino et le prince Al-Khalifa, une fédération pour le porter. Un temps collaborateur proche de Sepp Blatter, il avait été licencié par ce dernier.
Dernier candidat en lice, le prince jordanien Ali Bin Hussein avait obtenu un beau score, 73 voix, lors du dernier congrès. Il ne pourra toutefois pas répéter ce résultat. En mai 2015, il avait reçu le soutien de l’UEFA, qui avait décidé de contrer la réélection de Sepp Blatter. Ce n’est plus le cas. La question qui se posera après le premier tour: sur qui les voix obtenues par le Jordanien se reporteront-elles, sur Salman ou sur Infantino?
Chaque voix comptera. Entre les voix plus ou moins sûres qui porteront les deux favoris jusqu’au dernier tour et la majorité de 105 des 209 associations nationales, le saut est grand. Le résultat risque d’être très serré. Il se pourrait que les deux candidats se mettent d’accord, à la dernière minute: Salman deviendrait président et Infantino prendrait la tête de l’administration – une solution pragmatique. Les deux hommes rejettent encore, pour l’heure, ce type de réflexion. Mais ils sont encore en campagne électorale. Beaucoup de choses sont encore possibles jusqu’au 26 février, de nouvelles actions policières mais aussi un accord entre les deux favoris pour un partage du pouvoir au sein de la nouvelle FIFA.
Sepp Blatter devant la commission de recours de la FIFA
Après Michel Platini lundi, c’était au tour de Sepp Blatter de comparaître mardi devant la commission de recours de la FIFA pour contester la suspension de huit ans de toutes fonctions dans le football dont il fait l’objet. Rien n’a filtré de l’audience. Le président de la FIFA est arrivé vers 07h30 et s’en est allé par une porte dérobée aux alentours de 17h00, sans faire aucune déclaration.
Les avocats de Sepp Blatter ont fait témoigner Jacques Lambert, président du comité d’organisation de l’Euro 2016, qui aurait déclaré avoir eu connaissance du contrat oral ayant conduit au paiement de deux millions d’euros à Michel Platini. L’accord verbal supposé entre le président de l’UEFA, également suspendu pour huit ans, et Sepp Blatter constitue le point cardinal de la procédure: les deux hommes sont en effet tombés en raison du paiement controversé sans contrat écrit de 2 millions de francs suisses du Valaisan au Français en 2011 pour un travail de conseiller achevé en 2002.
Le point de vue exprimé dans cet article est celui de son auteur et ne correspond pas forcément à celui de swissinfo.ch
(Traduction de l’allemand: Ariane Gigon)
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