Quand l’armée a tué des civils
Il y a 75 ans jour pour jour, des recrues de l'armée suisse appelées en renfort pour assurer la sécurité d'une manifestation à Genève faisaient feu sur la foule tuant treize personnes.
C’est la dernière fois que les autorités suisses ont fait appel à l’armée pour encadrer une manifestation.
Cette dernière avait été organisée par les socialistes genevois en réaction à la tenue d’un meeting provocateur de l’extrême-droite. Celle-ci annonçait la mise en accusation publique des dirigeants socialistes – sur le mode de ce qui se passait alors en Allemagne – soupçonnés de fomenter une guerre civile.
Bien que conscientes des risques d’affrontement, les autorités genevoises de l’époque avaient décidé de ne pas interdire cette réunion. Au matin du 9 novembre 1932, le gouvernement cantonal avait tout de même demandé le renfort de l’armée.
Ce furent des recrues instruites depuis six semaines seulement à Lausanne qui furent dépêchées sur les lieux.
Devant le bâtiment où les extrémistes de droite tiennent réunion, le leader socialiste Léon Nicole harangue la foule. La police est débordée et les premiers soldats présents sur place sont désarmés par les manifestants.
L’ordre de tirer
Dans la panique générale, les militaires ordonnent à la foule de se disperser avant qu’un officier ne donne finalement l’ordre de tirer. Certains soldats obéissent, d’autres non. Certains tirent l’air alors que d’autres vident leur chargeur. Tout se passe en quelques secondes mais treize personnes restent allongées sur le sol.
«C’était une chose terrible de voir ces treize corps sur les pavés dans lumière des réverbères», se souvient un des soldats impliqués.
En 1977, le journaliste de la Télévision Suisse Romande (TSR) Claude Torracinta avait consacré un documentaire à cette sombre soirée et avait pu s’entretenir avec divers militaires présents le soir du drame.
«Après tout ce temps, ils avaient encore énormément de difficultés à accepter les responsabilités. Tous ont eu du mal à admettre qu’ils avaient tiré», a confié le journaliste sur les ondes de la Radio Romande (RSR).
De tous les protagonistes, seul l’officier qui avait donné l’ordre de tirer restait convaincu d’avoir agi comme il le fallait.
La peur de la révolution
«La manifestation du 9 novembre 1932 doit être vue dans son contexte de peur d’une révolution», rappelle le professeur d’histoire François Walter de l’Université de Genève.
La période des années 1930 était une période de crise économique mondiale. En Suisse, le chômage était très répandu et la sécurité sociale totalement absente.
«La légitimité du régime démocratique en place était remise en cause. Un certain nombre de personnes estimaient qu’il fallait tenter d’autres expériences même si cela passait par une révolution et le renversement des autorités», ajoute François Walter.
En 1932, le principal sujet d’inquiétude des conservateurs était centré sur la Révolution russe. Hitler n’était pas encore au pouvoir en Allemagne et les dangers du fascisme pas très évidents.
Bien que fortement blâmés et jugés responsables des événements de Genève, les leaders socialistes remportèrent les élections suivantes et obtinrent la majorité au gouvernement.
swissinfo, Julia Slater
(Traduction et adaptation de l’anglais: Mathias Froidevaux)
Dans le climat politico-social très tendu des années 1930 (crise économique mondiale et chômage), les partis de gauche et de droite attirent de plus en plus de sympathisants.
Les premiers se réclament de la révolution soviétique et les seconds du régime mussolinien.
Après le drame du 9 novembre à Genève, les socialistes sont tenus pour responsable. Léon Nicole est même condamné à six mois de prison. Mais la gauche gagnera les élections suivantes et la majorité au gouvernement genevois.
En 1982, on inaugure un monument à la mémoire des victimes de la fusillade.
L’armée était intervenue en 1918 lors de la grève générale. Trois ouvriers avaient alors été tués.
Le 9 novembre 1932 reste la dernière date à laquelle l’armée a été utilisée contre des civils.
Cet événement est souvent cité lors de débats sur le soutien possible de l’armée à la police.
A l’heure actuelle, l’armée est utilisée pour garder des ambassades, comme soutien pour des gardes-frontière et pour assurer la sécurité de l’aviation civile.
Le Parlement a accepté que 15’000 soldats viennent en aide à la police lors des Championnats d’Europe de football l’an prochain. Mais les soldats ne seront jamais confrontés à d’éventuels hooligans.
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