Quand les bombardiers s’écrasaient en Suisse
Entre 1939 et 1945, plus de 250 avions se sont écrasés ou ont fait des atterrissages d’urgence en Suisse. Ces appareils et leurs jeunes pilotes font aujourd’hui l’objet d’un livre en gestation, qui ne demande qu’à s’enrichir.
«Les enfants étaient généralement les premiers sur place pour accueillir les équipages, raconte Dani Egger. Tous les garçons et les filles de la ville accourraient vers le bombardier – ils n’avaient jamais vu un avion aussi grand».
A 51 ans, Dani Egger est trop jeune pour avoir fait l’expérience directe de la guerre. Son premier souvenir d’un «warbird», comme on appelle les avions de combat à hélice, c’est le Boeing B-17, la fameuse Forteresse Volante, avec ses 32 mètres d’envergure, qui a été exposé à la gare de St-Gall pendant les années 60.
«A chaque fois que nous allions en train à St-Gall avec ma mère et mon frère, on voyait toujours cet énorme avion. Près de 25 ans plus tard, je m’en suis souvenu et j’ai commencé à faire quelques recherches, jusqu’à découvrir sa triste histoire».
Le 16 mars 1944, une mission de bombardement alliée vise les villes d’Augsbourg, Ulm et Friedrichshafen, au sud de l’Allemagne. 740 avions sont engagés. 23 ne rentrent pas à la base, dont sept finissent sur sol suisse: trois s’y écrasent et quatre atterrissent en catastrophe.
L’un d’entre eux, une Forteresse Volante Boeing B-17, touchée par la chasse allemande au-dessus d’Augsbourg, se dirige vers la Suisse, puis tombe dans le Lac de Zoug. Un de ses membres d’équipage est tué, mais les neuf autres ont pu sauter en parachute et vont finir la guerre internés en Suisse.
L’avion, pratiquement intact, coule au fond du lac où il reste jusqu’en 1952, année où il est remonté, restauré et montré dans tout le pays.
En 1966, il est à St-Gall, où un homme d’affaires veut édifier un parc à thème sur les bombardiers. Mais le projet ne voit jamais le jour. En 1970, le B-17 arrive à St-Moritz, où il va passer ses dernières années. Vu comme un obstacle à un projet immobilier, incapable d’intéresser un acheteur malgré sa valeur de relique historique, il finira à la ferraille.
Cette Forteresse Volante était le dernier survivant des bombardiers qui se sont posés en Suisse pendant la Seconde Guerre mondiale.
Il y a à peu près huit ans, Dani Egger, qui travaille dans une agence de marketing, a lancé, avec Werner Schmitter, collectionneur passionné d’histoire militaire, le site internet warbird.ch. il s’agit d’une base de données sur les avions qui se sont posés ou écrasés en Suisse pendant la Seconde Guerre mondiale. On y trouve des photos, des documents, des descriptions des appareils et des témoignages personnels.
Dani Egger, Werner Schmitter et Rolf Zaugg, autre passionné de la chose militaire, sont actuellement en train de réunir le matériel pour un livre, centré sur les photos des 38 avions qui sont tombés ou qui ont dû atterrir en catastrophe dans cinq cantons du nord-est de la Suisse, soit St-Gall, Thurgovie, Schaffhouse et les deux Appenzell, entre 1939 et 1945.
Le livre doit paraître en mai 2014 en allemand et en anglais. Et les auteurs lancent un appel à quiconque pourrait leur fournir des informations supplémentaires, des photos ou des témoignages.
Dani Egger estime qu’une quinzaine de membres des équipages de bombardiers qui ont été retenus comme internés en Suisse à l’époque doivent encore être en vie aux Etats-Unis.
Un vrai massacre
warbird.ch se concentre sur les deux dernières années de la guerre. Entre 1943 et 1945, le ciel allemand était le théâtre de batailles quasi quotidiennes, impliquant des centaines d’avions.
Les hommes ne survivaient pas longtemps dans cet enfer. Selon le site internet du Musée de la Royal Air Force britannique, l’âge moyen de l’équipage d’un bombardier Lancaster était alors de 22 ans. Et l’appareil accomplissait en moyenne 21 missions avant d’être détruit.
«Le premier gars à mourir en Suisse s’est noyé dans le Lac de Constance – son avion a coulé et il n’a pas pu sortir», raconte Dani Egger, en ajoutant que les crashes d’avions ont fait d’autres victimes.
Mais la plupart des pilotes ayant touché le sol suisse ont survécu – même si tous les atterrissages ne se sont pas faits en douceur.
Le 22 février 1945, Robert «Rocky» Rhodes, 20 ans, décolle d’Italie à bord de son North American P-51 Mustang pour mitrailler la ligne de chemin de fer entre Lindau et Ulm, dans le sud de l’Allemagne. Atteint par la DCA, il essaye de rentrer, mais son moteur rend l’âme au-dessus du Rhin et il s’aplatit sur le gravier de la rive.
Prenant pied dans l’eau peu profonde, Rhodes imagine qu’il est encore en Allemagne, mais les gens du lieu, accourus sur place, lui expliquent qu’il est en fait au Liechtenstein, et donc en sécurité.
«Personne en Suisse n’a été blessé par ces avions qui tombaient, explique Dani Egger. Les pilotes essayaient toujours d’éviter les zones bâties. Mais on a quelques histoires d’avions en pilotage automatique et il est heureux qu’il ne soit rien arrivé de vraiment grave».
Au contraire, en octobre 1944, un pilote allemand qui voulait déserter a dû s’y reprendre à deux fois avant de pouvoir atterrir dans un champ près de Waldkirch, dans le canton de St Gall. Ceci à cause des vaches qui y paissaient…
A l’hôtel
Les équipages ainsi tombés ou débarqués en Suisse ont passé le reste de la guerre avec un statut d’internés.
«Après les interrogatoires et la quarantaine, les officiers étaient envoyés dans des hôtels de Davos – qui n’avaient pas beaucoup de réservations à cette époque – et les autres allaient à Adelboden et à Wengen», raconte Dani Egger.
Si l’on en croit le récit de Charles Cassidy, Américain à Davos (lien ci-dessous), «nous avions beaucoup à manger, mais nous nous ennuyions tellement à ne rien faire ou presque, que nous avions l’impression d’avoir tout le temps faim».
Dani Egger rapporte que certains de ces internés ont aussi essayé de s’enfuir. «Ceux qui en avaient vraiment marre ont essayé de sortir de Suisse, avec l’aide de la résistance française».
Mais quoi qu’il en soit, warbird.ch ne suit pas le destin de chaque membre d’équipage; il se concentre plutôt sur les avions.
«Quelque 120 appareils ont été conduits par des pilotes suisses sur l’aérodrome militaire de Dübendorf [à proximité de Zurich], où ils sont restés jusqu’à la fin de la guerre. Des mécaniciens de l’US Air Force sont alors venus les contrôler et les réparer, et ensuite un pilote et un navigateur les ont ramenés en Angleterre, où ils ont été démantelés», raconte Dani Egger.
«Aujourd’hui, aucun de ces avions n’existe plus».
Si vous avez des histoires, des informations ou des photos sur un avion qui s’est posé en Suisse durant la Seconde Guerre mondiale – peut-être même que vous étiez à bord? – Dani Egger serait très heureux de l’apprendre à dani@warbird.ch
Pendant la Seconde Guerre mondiale, des bombes anglaises et américaines sont tombées sur la Suisse une septantaine de fois, provoquant la mort de 84 personnes.
A Schaffhouse, ville suisse située sur la rive nord du Rhin, les bombardements du 1er avril 1944 ont fait 40 morts et une centaine de blessés. Les villes de Bâle, de Genève, de Renens et de Zurich ont également été parmi les plus touchées.
La majeure partie de ces bombardements ont été attribués à des erreurs de navigation. Toutefois, certains historiens pensent que les Alliés ont parfois voulu lancer un avertissement à la Suisse, pour avoir collaboré avec l’Allemagne nazie.
Au terme de la guerre, les Alliés ont versé des dédommagements à la Suisse pour les dégâts causés par ces bombardements.
(Source: Dictionnaire historique de la Suisse)
Traduction de l’anglais: Marc-André Miserez
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