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Quand les horloges suisses ne tournaient qu’à l’heure d’hiver

Ce week-end, en Suisse et en Europe, les citoyennes et citoyens récupéreront l'heure de sommeil qui leur a été volée en mars, lorsque les horloges sont passées à l'heure d'été. Après sept mois à ce rythme, la morne heure d'hiver fait son retour.

Il y a quarante-cinq ans, cependant, le peuple suisse a dit «non» de justesse à l’ingérence dans les rythmes célestes. Le 28 mai 1978, 52 % des électrices et électeurs ont rejeté la «loi fédérale réglementant l’heure en Suisse» lors d’une journée de voteLien externe qui comprenait également des propositions sur le prix du pain, l’avortement et les dimanches sans voiture.

Pourquoi cette réticence? Une étudeLien externe réalisée par l’université de Berne après la votation a recensé les arguments suivants: «inconvénients pour les agriculteurs» (qui préféraient les matins plus longs en hiver aux soirées plus longues en été), «effets néfastes sur les enfants», et tout simplement «tout fonctionne bien sans l’heure d’été». Les agriculteurs, qui avaient lancé le référendum, ont voté en masse pour le «non», tandis que les personnes âgées l’ont également rejeté; les jeunes et les personnes plus instruites se sont majoritairement prononcés en faveur du référendum.

Röstigraben temporel

Le lendemain de la votation, le journal alémanique Neue Zürcher Zeitung (NZZLien externe) résumait le vote comme ceci: même le temps a réussi à provoquer un «Röstigraben» (fossé du Rösti) entre les régions linguistiques du pays.

En effet, la majeure partie de la Suisse alémanique avait dit «non», tandis que les francophones de Genève, Vaud et Neuchâtel avaient dit «oui» – principalement en raison de la «gêne constante» occasionnée par le décalage des horaires de train et de télévision par rapport à la France voisine, où l’heure d’été (DST) était déjà en vigueur.

Dans le Valais épris de liberté, malgré sa frontière avec l’Italie (également à l’heure d’été), «le non n’est pas une surprise pour quiconque connaît l’état d’esprit actuel du canton, où l’on observe une vague de rejet de tout ce qui vient de Berne», écrivait la NZZ.

Enfin, l’Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice) avait pris connaissance du résultat avec une «grande satisfaction». Le parti le qualifiait de vote de «solidarité» avec les agriculteurs et déclarait que, pour la première fois, un peuple européen avait pu rejeter «l’imposition d’en haut» d’un changement d’heure.

Un cavalier bien seul

Mais alors que de plus en plus de pays optaient pour l’heure d’été, la Suisse courait le risque de se retrouver (littéralement) à la traîne. «Nous risquons de faire cavalier seul en Europe», s’inquiétait le Parti démocrate-chrétien après la votation.

Les citoyennes et citoyens ont également rapidement pris conscience des inconvénients potentiels: en novembre 1979, un sondageLien externe publié dans le Journal de Genève montrait que 73% des personnes interrogées étaient favorables au changement d’heure, contre 48% 18 mois plus tôt. Lorsque l’Allemagne et l’Autriche ont à leur tour introduit l’heure d’été en 1980, il était presque impossible pour la Suisse de ne pas suivre. Les autorités de Berne ont donc révisé la loi et, en 1981, la Suisse a adopté le changement d’heure. L’UDC a bien tenté de lancer un nouveau référendum, mais celui-ci n’a pas recueilli suffisamment de signatures.

Bien rodé

Jürg Niederhauser était adolescent en 1978 et se souvient de la votation. Près d’un demi-siècle plus tard, il est chef du domaine Affaires de la direction de l’Institut fédéral de métrologie (METAS) à Berne, un office responsable de «toutes les questions liées à la mesure» en Suisse, y compris la détermination de «l’heure officielle suisse». Les cinq horloges atomiques de METAS permettent également à la Suisse de contribuer à l’établissement du temps universel coordonnéLien externe, centralisé à Paris.

En ce qui concerne les week-ends de changement d’heure, Jürg Niederhauser explique qu’il doit toujours annoncer aux journalistes la nouvelle «décevante» que METAS n’a «pas grand-chose à faire; il n’y a pas de bouton sur lequel appuyer pour faire reculer les horloges – tout est automatisé».

De même, 45 ans plus tard, les entreprises comme les habitantes et habitants n’ont pas grand-chose à faire. Certaines choses doivent être coordonnées – les trains de nuit, par exemple – mais le système est désormais bien rodé. Selon Jürg Niederhauser, les plus grosses pannes surviennent à la maison, lorsque les gens oublient de mettre leurs montres ou horloges mécaniques à l’heure. La majeure partie du monde numérique, quant à elle, se met à jour automatiquement: téléphones, ordinateurs, systèmes de navigation, etc.

Des points de vue arrêtés

Pourtant, la question reste d’actualité. D’innombrables articles sont écrits chaque année sur le changement d’heure, et leurs commentaires reflètent des opinions très tranchées. Il y a quelques années, une consultation publique de l’Union européenne sur l’heure d’été a reçu un nombre record de 4,6 millions de réponses en l’espace de quelques semaines – 84 % d’entre elles étaient favorables à l’abandon de l’heure d’été.

Pourquoi un tel intérêt? «Le temps est naturellement quelque chose qui nous concerne toutes et tous», explique Jürg Niederhauser. «Nous nous levons à une certaine heure, nous allons au travail à une certaine heure – changer d’heure est compliqué et ennuyeux, surtout au printemps. Tout le monde a un avis sur la question.»

Une question politique aussi

Ces avis, ainsi que les études sur les effets sanitaires et économiques du changement d’heure, ont des répercussions politiques. Après avoir pris connaissance des avis des citoyennes et citoyens, le Parlement européen a voté en mars 2019 en faveur de la suppression de l’heure d’été. Ce projet est toujours d’actualité, mais seulement si les États parviennent à se mettre d’accord sur la manière de le mettre en œuvre. Selon Jürg Niederhauser, le problème à Bruxelles est que l’UE peut abolir l’heure d’été, mais qu’elle ne peut pas décider s’il faut ensuite passer à «l’heure d’été éternelle» ou à «l’heure normale éternelle». Cela relève de la responsabilité des États membres.

Les pays du sud de l’UE, comme l’Espagne, l’Italie et la Grèce, sont favorables à l’heure d’été pour stimuler le tourisme; les pays du nord, comme l’Allemagne et la Finlande, préféreraient l’heure normale, «probablement parce que leur situation géographique fait qu’ils ont de toute façon de longues soirées d’été», explique Jürg Niederhauser.

Quant à la Suisse, elle suivrait certainement à nouveau l’exemple de ses voisins les plus proches, afin d’éviter les «inconvénients économiques majeurs» d’un désalignement, comme l’avait déclaré il y a quelques années la ministre des Transports de l’époque Simonetta Sommaruga, devant le Parlement.

Mais la décision des voisins pourrait à nouveau soulever des débats politiques, selon Jürg Niederhauser. Comme en Europe, le gouvernement suisse a le pouvoir de supprimer l’heure d’été, mais pas de changer l’heure par défaut: un passage à «l’heure d’été éternelle», par exemple, nécessiterait un vote parlementaire – et potentiellement un référendum national comme en 1978.

Traduit de l’anglais par Emilie Ridard

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