Redonner vie aux villages dortoirs
Toujours plus pavillonnaires et résidentiels, nombre de villages suisses ont perdu l’esprit communautaire qui les animait autrefois. Auteur d’un documentaire sur le sujet – Par exemple Suberg – un couple de villageois espère donner l’exemple pour ressouder les habitants de ces communes hybrides.
Comme de nombreux villages en Suisse, Suberg a perdu au fil des ans son caractère agricole. Située juste à l’ouest de Berne, la capitale, la commune de 612 habitants a vu la plupart de ses fermes remplacées par des villas modernes cachées des regards par de hautes haies. Les paisibles routes de campagne ont cédé la place à des autoroutes et des lignes ferroviaires rapides.
«Aujourd’hui, vous ne voyez plus les gens de l’autre côté de la rue, raconte Kathrin Gschwend, une résidente de Suberg. Maintenant, nous avons notre jardin à l’arrière de la maison.»
Pour héberger les personnes qui travaillent en ville, mais qui veulent un foyer dans une zone tranquille, Suberg et de nombreuses autres communes se sont transformées ces dernières décennies en villages dortoirs, avec des résidences spacieuses, mais pratiquement sans vie sociale.
A Suberg, l’épicerie locale, le bureau de poste, la fanfare et la coopérative agricole ont disparu. Les habitants font leurs courses dans la ville d’à côté, occupent des emplois dans les villes voisines et socialisent rarement avec leurs voisins.
«C’est assez désert la nuit», dit Simon Baumann, cinéaste de son état. Né à Suberg et de retour dans son village natal avec sa partenaire Kathrin Gschwend, il a été frappé par l’isolement des habitants. Ce qui a incité le jeune couple à tourner un documentaire sur la transformation de leur village.
Les petites communes situées à proximité des grands centres urbains attirent des pendulaires depuis au moins les années 1970.
Avec l’exode des familles de la classe moyenne à la campagne, les villes ont perdu une part importante de leur population.
Pour la première fois depuis les années 1960, les villes suisses commencent à gagner de nouveaux habitants.
(Source: Office fédéral de la statistique)
Une corde sensible
Cet hiver, Zum Beispiel Suberg (Par exemple Suberg) a été projeté dans les cinémas en Suisse alémanique. Simon Baumann et sa compagne ont entendu ou reçu des lettres de centaines de spectateurs se plaignant du destin similaire subi par leur propre village.
Le film montre Simon Baumann, dont les amis d’enfance sont partis pour Zurich ou Berlin, rejoindre la chorale masculine de la commune, la seule association encore active dans le village. Mais les chanteurs de Suberg sont essentiellement des retraités. Et la chorale se montre incapable d’attirer de nouveaux membres, à l’exception de Baumann.
Ce qui ne surprend pas Martin Schuler, professeur en planification urbaine et régionale à l’Ecole polyethnique fédérale de Lausanne (EPFL). Celui-ci confirme que les personnes âgées constituent l’essentiel des membres des associations locales. Beaucoup d’autres clubs ont disparu par manque d’intérêt. Les jeunes se déplacent en ville, tandis que les autres résidents ont d’autres priorités.
«Les nouveaux arrivants sont là parce qu’ils y ont un appartement, relève Martin Schuler. Pour certains d’entre eux, la vie locale n’est pas un point d’attraction.»
Ce que recherchent les nouveaux habitants, c’est la commodité. Les villages qui se trouvent à proximité des grands centres urbains offrent aux familles de grandes maisons pour un prix raisonnable et un trajet relativement court pour aller travailler. A 20 minutes de Berne en train pour les habitants de Suberg.
Pourtant, alors même que les villages ont gagné de nouveaux résidents, les petits services, comme le bureau de poste ou l’école, ont progressivement fermé cette dernière décennie au profit de grandes structures qui couvrent toute une région. Un facteur, selon Martin Schuler, qui a probablement contribué à dissoudre l’esprit de la communauté villageoise.
Le cinéaste Simon Baumann, qui est né et a grandi à Suberg, a réalisé le documentaire Zum Beispiel Suberg avec sa partenaire, Kathrin Gscwhend.
Tour à tour drôle et touchant, le film raconte les tentatives du couple pour s’intégrer dans le village après avoir emménagé dans l’ancienne ferme de sa famille. On voit ainsi le réalisateur rejoindre le chœur d’hommes de la commune ou frapper aux portes des voisins pour tenter de rencontrer les habitants.
Le documentaire est agrémenté de scènes de village tournées en super8 dans les années 60/70 par l’oncle du réalisateur, un paysan du village dont la mort à la fin des années 70 a permis au village de connaitre sa dernière procession funéraire.
Zum Beispiel Suberg a été distingué l’année dernière par le festival du film Visions du Réel à Nyon.
Pour que ça marche
Tout comme à Suberg, la commune d’Avry, dans le canton de Fribourg, a vu ses fermes disparaître il y a quelques décennies pour faire place à des maisons familiales dont les occupants travaillent hors de la commune. Mais l’un de ses habitants, Marc Antoine Messer, chercheur en aménagement du territoire à l’EPFL, souligne une différence essentielle.
«Les clubs et associations ici sont très actifs», explique le doctorant, dont le village regroupe près de 1800 habitants. Ainsi, le club local de hockey, créée il y a 9 ans, compte aujourd’hui quelque 200 membres actifs.
«Nous avions une gare, un bureau de poste et un facteur qui avait le temps de s’arrêter et de parler avec les habitants, témoigne Michel Müller, le président du club de hockey. Même si nous avons la chance d’avoir un centre commercial.»
Il n’existe pas de centre du village, ni de bistrot. Le club de hockey comme lieu de rencontre n’en est que plus nécessaire. «Les parents voyagent ensemble à l’occasion des tournois. Un cadre différent de l’école pour que les parents se rencontrent», souligne Michel Müller.
Identité locale
Marc Antoine Messer suggère que le maintien d’une communauté peut se résumer à la volonté d’un seul résident de lancer des activités dans le village. Mais la tendance générale montre une diminution globale de l’engagement des gens.
«Nous sommes passés d’un rôle de citoyen actif à celui de client», souligne Marc Antoine Messer, ajoutant que les gens sont plus enclins à adhérer à des clubs existants, même hors du village, que d’en créer de nouveaux.
«Les gens ne s’identifient plus à leur village, ajoute Kathrin Gschwend, qui note que Suberg n’offre pas de lieux dédiés à la culture à ses résidents. Si vous ne vous identifiez pas avec votre village, vous n’allez pas vous y impliquer.»
Pour aider son village natal, Simon Baumann a ses idées. La commune l’a invité à rejoindre sa commission de la culture et des sports. Il prévoit de travailler avec eux pour concevoir des activités tel un cinéma en plein air pour réunir les habitants. Son film Zum Beispiel Suberg a poussé ses concitoyens à réfléchir. De quoi changer les choses à Suberg, espère-t-il.
Traduction de l’anglais: Frédéric Burnand
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