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Sans avenir, les jeunes Grecs sont contraints à l’exil

8457 étudiants étrangers fréquentent les auditoires suisses en filière master, soit un tiers du total des étudiants. Ex-press

Confrontés à la crise et au chômage massif, de nombreux Grecs, pour la plupart jeunes et bien formés, tentent leur chance à l’étranger. Le Crétois Giannis Glampedakis, étudiant en mathématiques à l’université de Berne, est l’un d’entre eux. Rencontre.

Il n’avait jamais connu un hiver si rigoureux. Et il ne s’en cache pas, les températures clémentes des îles grecques sont davantage sa tasse de thé. Mais Giannis Glampedakis n’est pas pour autant mécontent de son sort: depuis l’automne 2011, le jeune homme âgé d’à peine 24 ans fréquente les bancs de l’université de Berne, où il compte décrocher un master en mathématiques.

«L’université d’Athènes est certes une bonne institution, mais un master dans mon domaine (théorie mathématique) n’offre que des perspectives très faibles de décrocher un emploi, dit-il. Si on veut accéder au marché du travail, il faut connaître les bonnes personnes. Lorsque, comme moi, on n’a pas de relations, il est pratiquement impossible de dégotter l’une des rares places disponibles».

De généreux grands-parents

L’autre raison de l’exil estudiantin tient au manque de reconnaissance des diplômes décrochés dans les universités grecques. Après avoir essuyé des refus de la part des deux écoles polytechniques fédérales de Zurich et Lausanne, sa demande a finalement été acceptée à Berne, où le cursus est également dispensé en anglais.

Depuis quelques semaines, le jeune Crétois suit un cours d’allemand dans le cadre de l’université. Il parle fièrement des progrès réalisés. Mais par chance, les mathématiques sont une «langue» universelle.

Giannis Glampedakis est originaire de Chania, une ville portuaire de la côte nord crétoise. Sa mère est enseignante de mathématiques et son père possède une enseigne de réparation de téléviseurs. En raison des mesures d’économie, le salaire de sa mère a été réduit pratiquement de moitié, tandis que les revenus de son père ont également connu une forte diminution.

Le jeune étudiant ne reçoit pas de bourse. Ses grands-parents, des agriculteurs qui ont pu mettre quelque argent de côté, financent en grande partie sa vie d’étudiant en Suisse.

Hausse des demandes

Comme Giannis Glampedakis, nombreux sont les jeunes Grecs ambitieux qui ne voient plus d’avenir dans leur pays et qui tentent leur chance ailleurs: aux Etats-Unis, dans l’Union européenne mais aussi en Suisse. En 2011, près de mille actifs grecs ont émigré en Suisse, soit 70% de plus qu’en 2009. Le nombre d’étudiants grecs a également connu une forte hausse. A l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ), les inscriptions dans les filières master en provenance de Grèce ont plus que doublé, passant de 38 en 2009 à 86 cette année. Au total, 476 étudiants étrangers sont immatriculés à l’EPFZ.

L’ambassade de Suisse à Athènes constate également cet engouement des Grecs pour l’exil. Depuis l’an dernier, les demandes d’étudiants, de travailleurs ou de personnes souhaitant créer une entreprise en Suisse ont connu une augmentation, souligne le consul Peter Himmelberger. «Nous avons en moyenne deux à cinq demandes émanant d’étudiants par jour, autant en ce qui concerne les travailleurs. Avant la crise, il n’y avait qu’une demande tous les deux jours. Reste que seul un petit nombre de ceux qui s’annoncent vont finalement émigrer».

Giannis Glampedakis, lui, a franchi le pas. Avant de venir en Suisse, il avait déjà étudié un semestre en Espagne dans le cadre du programme d’échange Erasmus. «Je voulais découvrir quelque chose de nouveau et savoir si j’étais prêt à vivre à l’étranger». Tous les Grecs ne sont en effet pas disposés à suivre ce chemin, estime Giannis Glampedakis: «Malgré la misère, beaucoup souhaitent rester en Grèce pour étudier ou travailler. D’autres n’ont tout simplement pas la possibilité d’émigrer».

Exode des cerveaux

Cette inclination des jeunes Grecs à vouloir étudier et faire carrière à l’étranger n’est pas nouvelle. Depuis des décennies, les meilleurs d’entre eux choisissent l’exil. «C’est regrettable, souligne le jeune étudiant. Nombre d’entre eux retournent néanmoins quelques années plus tard dans leur pays d’origine, pour devenir par exemple professeurs d’université. C’est un tremplin typique du monde académique grec».

Professeur depuis 13 ans à l’Institut d’économie politique de l’Université de Berne,  Harris Dellas en connaît beaucoup de ces jeunes qui tournent le dos à la Grèce. «On ne doit pas s’alarmer du fait que les Grecs étudient à l’étranger. Il s’agit pour eux d’obtenir une meilleure formation et d’accumuler des expériences», relativise-t-il.

Le professeur souligne toutefois l’existence d’un phénomène d’exode des cerveaux, car nombreux sont ceux qui restent en Suisse pour travailler après leurs études. A cela s’ajoute un exil massif des Grecs hautement qualifiés. «A court terme, cela n’est pas un problème, bien au contraire: vu le taux de chômage élevé parmi les jeunes universitaires, cet exode est un soulagement pour le marché du travail».

Vision noire

Dès qu’il aura son master en poche, Giannis Glampedakis s’imagine poursuivre ses études en Suisse pour y obtenir son doctorat puis retourner plus tard en Grèce. Mais pour le moment, la situation dans son pays natal lui inspire des pensées plutôt sombres. En comparaison à la Suisse, où tout semble fonctionner à merveille, la vie en Grèce, marquée par une économie en désolation, une bureaucratie paralysante et des grèves à répétition, est pénible, dit-il.

«Il faut s’attendre à ce que cela empire. La population doit payer toujours plus d’impôts, les prix augmentent, les salaires baissent. L’économie est à genoux». Giannis Glampedakis n’exclut pas une faillite de son pays, malgré le programme de réduction de la dette. Pour lui, la corruption généralisée et un système politique en faillite sont les principaux responsables de cette situation.

Giannis Glampedakis ne participera pas aux prochaines élections, qui auront probablement lieu en mai: «Les partis politiques n’ont pas les moyens de mettre un terme à la crise. Les politiciens ne se soucient pas du pays, mais uniquement de leurs propres intérêts». De nombreux Grecs n’ont plus confiance dans l’Etat et une certaine compréhension se manifeste à l’égard des fraudeurs du fisc. «Cet argent fait défaut à l’Etat, c’est vrai, mais les gens ont besoin de chaque centime pour vivre», relève avec amertume le jeune étudiant.  

Des élections parlementaires anticipées auront lieu le 6 mai en Grèce. Les sondages prédisent un duel électoral acharné entre partisans et opposants du programme d’économie et de stabilité.

Les deux partis traditionnels, les conservateurs et les socialistes, y sont favorables. Les partis de gauche ainsi que les extrémistes de droite et les ultra-conservateurs y sont opposés.

Le gouvernement de transition dirigé par l’expert financier Lucas Papademos a pratiquement rempli les devoirs qui lui incombaient. Le plus important étant d’assurer le paquet de sauvetage de 130 milliards d’euros accordé à la Grèce.

Le programme d’économies, accepté par le Parlement le 13 février, comprend des réductions de rentes et de salaires allant jusqu’à 20%. Près de 150’000 fonctionnaires vont par ailleurs perdre leur emploi d’ici 2015.

L’économie grecque s’effondre sans discontinuer depuis plus de quatre ans.

Pour la seule année 2011, la récession a atteint une valeur record de moins 7% du PIB.

Le taux de chômage atteint 21%, et même 51,1% pour les jeunes de 15 à 24 ans.

1084 citoyens grecs ont émigré en Suisse en 2011, parmi lesquels 183 étudiants.

En 2011, on dénombrait 434 étudiants grecs en Suisse. Cela représente 1,2% du total des étudiants étrangers.

3400 Suisses vivent en Grèce, avec une tendance à la baisse. La plupart d’entre eux sont des double-nationaux.

350’000 touristes suisses voyagent chaque année en Grèce.

(Traduction de l’allemand: Samuel Jaberg)

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