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Darius Rochebin, le dernier des présentateurs vedette?

Omar Sy et Darius Rochebin
L'acteur Omar Sy sur le plateau du JT en septembre 2014. «J’espère avoir trouvé cette mesure, cette bonne distance face aux événements et aux personnalités», nous dit Darius Rochebin. RTS

Figure du journal du soir de la Télévision suisse romande depuis 1996, Darius Rochebin vient de passer le témoin tout en conservant son émission hebdomadaire d’entretienLien externe et la présentation du JT le week-end. Rencontre avec ce Genevois devenu une institution de Suisse romande, avant la causerieLien externe qu’il donnera au Musée national de Zurich le 1er octobre prochain.

Élégant dans son inamovible complet, le quinquagénaire est au téléphone quand nous le retrouvons aux abords de la RTS. Et c’est un autre coup de fil qui conclura notre entretien. En vrai, l’homme tronc du JT est élancé. Son ton, lui, est toujours le même, posé, chaleureux.  

Darius Rochebin
Darius Rochebin (né Khoshbin en 1966) a entamé son parcours journalistique au Journal de Genève en 1987. En 1995, il entre à la Télévision suisse romande, présente son premier journal télévisé en 1996, avant de prendre les rênes du 19:30, le JT de la RTS repris par TV5 Monde. RTS/Laurent Bleuze

swissinfo.ch: Quand vous êtes devenu le présentateur du JT de la TSR en 1996, on parlait encore de présentateur vedette lié à l’âge d’or de la télévision. Une époque définitivement révolue, même pour le 19h30?

Darius Rochebin: Dans les premières années où je présentais le journal télévisé, l’âge d’or du JT était déjà passé avec la multiplication des chaînes TV, puis des sites d’information sur le Net. J’ai été le témoin de cette concurrence accrue, mais aussi de la survie étonnante du JT en direct, un rendez-vous qui continue de rassembler les foyers en Suisse romande.

Quant à l’expression présentateur vedette, elle m’a toujours parue ridicule s’agissant de la Suisse romande. En réalité, nous sommes derrière l’information, le représentant d’une large rédaction. Nous fonctionnons de manière très collégiale dans le choix des sujets. Toute la rédaction s’exprime. Ce n’est jamais mon journal télévisé. Il est la résultante de toutes les personnes qui le fabriquent avec, bien sûr, un esprit commun lié au rôle et aux valeurs du journalisme en démocratie.

D’autant que le journalisme conserve un petit fond de bohème. Diriger un journaliste, lui imposer quelque chose reste difficile. Et c’est très bien comme ça. Les dictateurs dans les médias font rarement long feu.

Votre règne sur le journal du soir de la Télévision suisse romande a coïncidé avec l’émergence des pages people dans la presse populaire de Romandie. À une certaine époque, il ne se passait pas de semaine sans que vous fassiez la une de ces titres. Comment vit-on cette exposition médiatique?

À ce propos, j’ai retenu une expression frappante, celle d’icône électroménagèreLien externe qu’employait un confrère français à propos de Patrick Poivre d’Arvor (ancien présentateur du 20h sur France 2 puis sur TF1). Quand vous êtes plusieurs fois par semaine à l’écran de télévision, par la force des choses, vous êtes connu. Mais cette notoriété ne dit pas grand-chose en soi.

Plus flatteur est le moment où le style que vous essayez d’imprimer fait l’objet de commentaires, négatifs ou positifs.


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Faite-vous le même constat que certaines stars qui apprécient de séjourner en Suisse pour la paix royale qu’on leur fiche?

Nous avons en Suisse un esprit profondément égalitaire. Une partie de ma famille est iranienne et j’ai découvert chez elle une culture où tel être humain ne vaut pas toujours tel autre, discriminé selon sa religion, son origine sociale, etc.

«Le journalisme conserve un petit fond de bohème. Diriger un journaliste, lui imposer quelque chose reste difficile. Et c’est très bien comme ça»

Ici, le fond égalitariste est si fort que le phénomène de la starisation n’y prend pas vraiment. Il y a un mot de l’écrivain Georges Simenon qui dit bien l’esprit du lieu. Quand il était en Suisse, disait-il, les gens ne le dérangeaient pas, non par gentillesse, mais parce qu’ils pensaient que cela lui ferait trop plaisir d’être reconnu!

On n’aime pas les têtes qui dépassent, pour le pire parfois, mais aussi pour le meilleur. Ailleurs, cela peut être très différent. Je me rappelle d’un ministre français qui n’avait pas supporté d’attendre quelques minutes sur le plateau. Cette attitude est pratiquement impossible chez nos conseillers fédéraux (membres du gouvernement).

Dans un billet ironiqueLien externe pour le quotidien Libération en 2006, une journaliste turque établie à Paris, Mine G.Kirikkanat, soulignait une vertu particulière de votre JT: «Si vous broyez du noir sur la marche de l’histoire, regardez la télé suisse, c’est mieux que les antidépresseurs.» De fait, votre présentation des actualités n’a rien d’anxiogène, si on la compare, par exemple, aux chaînes d’info en continu. Quitte à être trop consensuel?

Je n’assumerai pas forcément la fonction d’antidépresseur (rires). Mais garder un ton qui n’est pas anxiogène, oui, cela fait partie d’un bon travail de présentation du journal télévisé. Je suis convaincu que le public a une très grande intelligence des événements. Il voit la réalité telle qu’elle est, sans se faire trop d’illusions.

L’important pour le présentateur est de ne pas juger, faire la leçon, interviewer à charge ou à décharge. J’espère avoir trouvé cette mesure, cette bonne distance face aux événements et aux personnalités. Je suis aussi très attentif à nommer précisément les choses. Comme le fait de rappeler que la Chine est une dictature, alors que beaucoup de responsables sont tentés par l’indulgence à l’égard de cette puissante économie. 

Rappeler ce genre de faits n’est pas un parti pris partisan.

Le direct, c’est aussi des sueurs froides. Des souvenirs?

Il y en a eu beaucoup. Comme cette fois où nous avions Lech Walesa [ancien syndicaliste et président de Pologne] en plateau, alors que nous attendions encore le traducteur. Comment éviter qu’il reparte, puisqu’il a la réputation d’être un peu colérique? J’ai réussi à le dérider en parlant de la Vierge de Czestochowa qui ornait le revers de son veston, en lui suggérant de l’invoquer pour accélérer les choses. Il a beaucoup aimé, plaisanté et l’interview a pu enfin être menée.


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Vous avez également présenté en direct le JT à l’étranger lors d’événements importants.

Le moment le plus fort, c’était le tsunami fin 2004 en Asie du Sud. Nous étions à Phuket en Thaïlande, confrontés aux cadavres, aux familles cherchant leurs proches. Se retrouver ainsi sur le terrain produit bien sûr une impression très forte.

Audience. C’est l’émission la plus suivie de la RTS. En moyenne annuelle, le 19h30Lien externe est suivi en direct et en entier par 268’000 téléspectateurs (2018).

Le public potentiel de la Suisse romande est de 1,8 million de téléspectateurs de plus de 3 ans.

Les plateformes, sites et apps RTS reçoivent 500’000 visites par jour, dont 167’000 pour la partie RTS Info. Les capsules vidéo RTSinfoLien externe (dont une large part est issue du 19h30) cumulent en moyenne 152’000 mises en lecture quotidiennes (premier semestre 2019).

Mais en réalité, le plateau peut aussi être le terrain avec des personnalités jouant leur carrière. Je me souviens de Joseph Deiss tremblant, alors qu’il n’était pas sûr d’être réélu au Conseil fédéral. Quand vous avez Pierre Maudet [conseiller d’Etat du canton de Genève] qui tente de contre-attaquer dans l’affaire qui le vise et qui finit par reconnaître qu’il a menti, c’est un moment de terrain.    

Vous savez aussi vous montrer pugnace. En pleine crise de la vache folle en 2001, vous avez poussé le conseiller fédéral Pascal Couchepin dans ses derniers retranchements. Étiez-vous là trop frontal?

Cette interview était en effet assez dure. Si vous êtes dans le vrai, les réactions sont bonnes. Mais si le journaliste se montre trop agressif ou impertinent sans que cela se justifie, les réactions sont forcément négatives.

D’autant que les téléspectateurs de Suisse romande prennent souvent le parti de la personnalité questionnée durement par le journaliste.

Il y a plusieurs catégories de téléspectateurs, ceux qui aiment la castagne et ceux que ça rebute. Reste un vieux fond suisse très respectueux de l’autorité, surtout élue, et qui n’apprécie pas qu’elle soit mise sur le gril. Mais l’important est de rester dans l’objectivité et la recherche de vérité.

Dans les écoles de journalisme aujourd’hui, on soutient plutôt que l’objectivité est une notion toute relative. Je pense exactement le contraire. Il est possible de l’être pour aborder les gens sans jugement préconçu.

Je me souviens d’avoir rencontré d’ancien agents soviétiques du NKVDLien externe qui avaient participé aux meurtrières purges staliniennes pour ensuite mener des actions très courageuses à l’arrière des armées nazies. Relever cette complexité est plus intéressant que les jugements péremptoires.


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La chance du journaliste est de pouvoir rencontrer des personnes plus intelligentes que lui-même. Ce qui le tire vers le haut. Comment ces rencontres vous nourrissent-elles, y compris sur le plan personnel? Se connaît-on mieux à force de se confronter aux autres?

Effectivement il y a un coté thérapeutique. On apprend beaucoup. Il y a presque un coté cannibale, l’impression de s’approprier les vertus de la personnalité de l’autre.

J’ai ressenti ça face à un Federer. Vous avez là quelqu’un de très disponible et sympa. Mais chaque seconde de sa vie est pleine. Quand il vous parle, on perçoit qu’il se prépare déjà à ce qu’il fera par la suite.

Je pense aussi à DepardieuLien externe et sa capacité à habiter ses silences, alors que l’on a souvent tendance à trop parler pour éviter justement ces silences. J’ai également été frappé par la foi qui habite Macron. Ce président croit vraiment en lui-même, en son action. Il est habité par une forme de messianisme.

Ces rencontres et tant d’autres sont inspirantes, que l’on partage ou non les points de vue exprimés. C’est un apprentissage permanent de la vie.


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Billets gratuits pour rencontrer Darius Rochebin. Si vous souhaitez mieux le connaître, il sera le 1er octobre au Musée nationalLien externe à Zürich dans le cadre de la Dienstags-ReiheLien externe (série du mardi) en langue française organisée par le musée.

En tant que partenaire média de ces conférences du mardi du Musée national, swissinfo.ch offre à ses lecteurs un nombre limité de places gratuites. Elles seront attribuées selon le principe du premier venu, premier servi. Il n’y aura ni tirage au sort ni questionnaire à remplir: envoyez simplement un courriel à thomas.waldmeier@swissinfo.ch avec votre nom complet et vos informations de contact.

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