Un banquier dénonce les violences sexuelles en Afrique
Michel Juvet, directeur de la banque genevoise Bordier & Cie et consultant de la coopération suisse en Afrique, a été bouleversé par le fléau de la violence sexuelle dans la région des Grands Lacs. Il en a rapporté un livre poignant en français et en allemand.
«Comment survivent-elles?» Telle fut l’«obsédante interrogation» de Michel Juvet lors d’un voyage accompli avec une délégation de la commission consultative de la coopération au développement (DDC) dans la région des Grands Lacs au début 2011.
«Ce triangle de culture entre le Rwanda, le Burundi et la République démocratique du Congo (RDC) pourrait être un paradis. Il est un enfer pour les femmes. Le viol y est aussi courant que le bananier et l’avocat», écrit le Genevois dans son livre témoignage, Même le ciel ne pleure plus – Violences sexuelles dans la région des Grands Lacs de l’Afrique de l’Est.
A première vue, on est tenté de se demander quelle mouche a piqué ce «baron» de la banque privée genevoise? Directeur des investissements chez Bordier & Cie, analyste spécialiste de l’Asie et de l’Afrique, célèbre pour son art didactique pimenté de comparaisons animalières ou botaniques et que les médias s’arrachent?
Essayer de comprendre
Et pourtant, il est bien l’auteur et l’éditeur de ce très beau livre de textes, poèmes et témoignages, mais surtout de photos noir-blanc qui en disent long sur les souffrances et la dignité des femmes et des enfants victimes des viol(ence)s de la guerre.
L’épouse de Michel Juvet est d’origine sénégalaise. Serait-ce la raison de son intérêt? Pas vraiment, répond-il. «Le côté familial a sûrement joué un rôle mais la compréhension du monde et du développement a toujours été un moteur important pour moi. Comprendre pourquoi des pays marchent bien, pourquoi d’autres sont perpétuellement obligés de demander l’aide internationale, ce sont là des réflexions personnelles permanentes chez moi.»
Une nouvelle pathologie
Lors de sa visite dans la région des Grands Lacs, au début de l’année, Michel Juvet a été très impressionné par les centres d’aide psycho-sociale aux victimes de viols soutenus par la DDC. Surtout par l’hôpital Panzi, créé par le docteur Denis Mukwege à Bukavu (RDC), qui lui a révélé «les enjeux de cette problématique tant sur le plan médical qu’humain».
Au milieu des années 1990, ce gynécologue-obstétricien congolais a quitté un emploi confortable en France pour revenir dans son pays créer une clinique consacrée à une pathologie nouvelle née des horreurs de la guerre: la destruction volontaire et planifiée des organes génitaux féminins. L’hôpital de Panzi a traité près de 30’000 femmes jusqu’ici.
«Denis Mukwege a vu arriver toutes ces femmes mutilées, dont beaucoup enceintes des suites de viols collectifs, poursuit Michel Juvet. Il s’agit de les soigner mais aussi de les aider à accepter leur enfant et à recommencer leur vie, car elles sont souvent bannies de leur famille. C’est un casse-tête pour la mère et pour la société.»
Le banquier genevois a ressenti le besoin de faire quelque chose à sa manière. «J’ai été profondément choqué par les personnes remarquables que j’ai rencontrées, des enfants aux grands-mères. Malgré toutes les explications rationnelles, je ne comprends pas comment on peut faire ça.»
A son retour en Suisse, il pense d’abord à une récolte d’argent et de matériel pour le docteur Mukwege. En revoyant ses photos, il abandonne cette idée «banale» et pense à un livre, dont le produit irait aux patientes de l’hôpital de Panzi, tout en leur rendant hommage.
«Un coup de cœur»
«Je n’avais rien prémédité mais cela a été un coup de cœur. J’ai été ému, les choses se sont faites l’une après l’autre et maintenant, avec le recul, en toute modestie, je me demande comment j’ai fait», confesse Michel Juvet en riant.
Il a commencé par choisir les photos, leur a ajouté des légendes reflétant ce qu’il avait ressenti face aux personnes photographiées. Ensuite, il a cherché des écrivains africains qui puissent parler du sujet et a fini par trouver deux poètes. Enfin, il a ajouté des témoignages de victimes.
De fil en aiguille, il a fallu «donner un caractère institutionnel», le livre étant co-financé par la DDC (qui l’a aussi fait traduire en allemand). D’où la préface de la présidente de la Confédération Micheline Calmy-Rey et la postface de Jean-Marc Clavel, directeur résident du Programme régional des Grands Lacs de la DDC.
Michel Juvet précise qu’il termine son deuxième mandat de quatre ans dans la commission consultative de la DDC et qu’il voulait «faire quelque chose de concret avant de la quitter». Concret est le mot-clé, puisque le banquier joue aussi l’éditeur et le diffuseur de ce livre produit «malgré lui».
Avant la sortie officielle en librairie, le 13 octobre, le livre a déjà éveillé l’intérêt et «des gens me demandent déjà comment m’aider à le diffuser», se réjouit-il.
Même le ciel ne pleure plus – Violences sexuelles dans la région des Grands Lacs de l’Afrique de l’Est- Portraits et regards, Michel Juvet, Editions Slatkine, Genève 2011. En allemand: Selbst der Himmel hat keine Traenen mehr. Dès le 13 octobre en librairie.
Préfacé par Micheline Calmy-Rey, présidente de la Confédération et ministre des Affaires étrangères.
Tiré à 1000 exemplaires dans chaque langue et vendu 50 francs, le livre est produit à peu près moitié moitié par Bordier & Cie et la DDC et l’intégralité de la vente directe ira aux associations visitées par l’auteur. La DDC supervisera la façon dont l’argent sera dépensé.
Les viols collectifs ou individuels commis par des miliciens ou soldats, parfois porteurs du VIH, font partie des violences répétées que subissent les populations civiles dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), ainsi qu’au Burundi et au Rwanda.
Depuis 2002, la Direction du développement et de la coopération (DDC) soutient un programme «Femmes et enfants victimes de violence» mis en œuvre par Médecins sans Frontières – Suisse (MSF).
Ce programme offre des soins médicaux et une prise en charge d’ordre psychosocial, économique et juridique.
L’Hôpital de Panzi a été fondé dans les années 1990 à Bukavu (RDC) par le docteur Denis Mukwege, gynécologue-obstétricien, récompensé par de nombreux prix (Olof Palme et droits de l’homme de l’ONU en 2008, chevalier de la Légion d’honneur française en 2009, Jean-Rey et Roi-Baudoin en 2011, etc.)
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