Vive la parité, mais sans plus
La Journée des femmes a-t-elle encore un sens? La réponse d'un groupe de collégiennes suisses est catégorique: c’est une manifestation commerciale, un palliatif ou un moyen de se donner bonne conscience. La bataille se joue ailleurs: dans le couple et au travail. Mais ne les qualifiez surtout pas de féministes! Reportage.
«Un de nos camarades de classe offre chaque année du mimosa à toutes les filles. C’est un geste tendre. Il nous fait plaisir et sourire en même temps, raconte Giulia. Le 8 mars, les hommes sont tout gentils et tout mignons, ils nous traitent comme des princesses, et puis le reste de l’année, ils nous oublient, nous et nos droits.» Nous sommes au lycée de Mendrisio, dans le canton du Tessin. Une dizaine de filles entre 16 et 18 ans ont accepté de rencontrer swissinfo.ch, à quelques jours de la Journée internationale des femmes, pour parler égalité, droits des femmes, mais surtout de leurs rêves et de leurs revendications.
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Quand le travail des femmes attirait les foules
«Le 8 mars devrait être l’occasion de parler des vrais problèmes en Suisse et dans le monde. Mais c’est devenu une opération commerciale et plus personne ne parle des problèmes de fond.», lancent-elles. Parité salariale, égalité au sein du couple, mais aussi liberté d’être femmes et de se sentir comme telles. Féministes? «Oui, mais avec retenue, répondent-elles. Les militantes font peur aux hommes. Nous, nous voulons leur parler et essayer de changer les mentalités jour après jour.»
Les Suissesses ont obtenu le droite de vote au niveau fédéral en 1971 et le principe de l’égalité a été inscrit dans la Constitution en 1981.
Si le niveau de formation tend à l’égalité, le choix du métier et du type d’études est toujours marqué de différences propres aux deux sexes.
En 2011, le taux d’occupation des femmes a atteint 76,7%, contre le 88,7% chez les hommes; 6 femmes sur 10 ont un emploi à temps partiel.
En 2010, dans l’économie privée, les femmes gagnent en moyenne 18,4% de moins que les hommes. Dans le secteur public, la différence est de 12%.
Selon un rapport du Bureau fédéral pour l’égalité entre femmes et hommes, environ 40% des disparités sont dues à des facteurs purement discriminatoires.
En 2010, 15,4% seulement des salariés à plein temps gagnant un salaire net supérieur à 8000 francs sont de sexe féminin (secteurs public et privé).
Les femmes exerçant des fonctions de direction ou membres de direction sont le 33,6%.
Disparités salariales «inconcevables»
À l’école, les filles se sentent traitées de la même façon que leurs camarades masculins. En famille aussi, l’égalité est plus ou moins garantie, à part quelques soucis quand il s’agit de sortir le soir ou d’aborder des questions liées à la sexualité. «Pour l’instant, nous percevons les problèmes des femmes plutôt à travers l’expérience de nos mères au travail ou en famille», relève Chiara, le regard vif et la coiffure en hérisson.
Un moment de silence, puis Alexia prend la parole. «Je me souviens que, quand ma mère travaillait dans une usine de montres, elle gagnait 10% de moins que ses collègues hommes. Quand je l’ai su, cela m’a étonnée. C’était inconcevable. Je lui ai demandé pourquoi et elle m’a répondu: «Les femmes gagnent moins partout. C’est comme ça.»
Ce n’est pas seulement un problème de salaire, lance Valentina, la seule du groupe à suivre une filière scientifique. «Les hommes se réservent toujours les plus hauts postes. Là où ma mère travaillait, il y avait cinq sous-directeurs et seulement une sous-directrice. Par contre, les secrétaires étaient toutes des femmes. L’égalité, cela signifie avoir des droits et des chances égales. Comment explique-t-on ces discriminations?»
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Manuels scolaires: les clichés ont la vie dure
L’indépendance, une valeur non négociable
Selon toute probabilité, dans quelques années, ces jeunes femmes seront confrontées au monde du travail. Elles rêvent d’une carrière académique, les Lettres pour plusieurs d’entre elles. Un choix connoté? Elles n’en sont pas convaincues. Les femmes sont plus attirées par certaines matières, répondent-elles. Engagées et sans mâcher leurs mots, elles défendent l’indépendance comme une valeur non négociable.
«Une femme ne doit jamais dépendre de son homme, même si la relation est stable. On ne sait jamais», déclare Alexia, dont les parents sont divorcés, comme ceux de plusieurs de ses copines. «Ça me plairait d’avoir une famille, d’avoir des enfants et d’en profiter, mais en continuant à travailler. Aussi parce que je trouve stupide d’étudier jusqu’à 30 ans pour me retrouver à la maison. Mais bien sûr je n’ai rien contre celles qui choisissent cette voie.»
Pour ces jeunes, le rôle de mère et de femme à la maison doit être un choix et non pas une obligation. «Je ne comprends pas pourquoi la responsabilité des enfants doit forcément être l’affaire des femmes. Après tout, il faut être deux pour faire des enfants, non? ironise Giulia. Ma mère a quitté son emploi quand j’étais petite parce qu’elle voulait s’occuper de nous à plein temps. Maintenant, avec le recul, je me demande si c’était vraiment son choix ou si c’était parce que cela se faisait.»
Un poids énorme
Un sentiment de frustration émerge de la discussion: «La société impose la responsabilité des enfants à la mère. C’est un poids énorme. Celle qui décide de continuer à travailler est considérée avec suspicion et est accusée d’abandonner ses enfants», souligne Chiara. Le problème, ajoute Giulia, c’est que les enfants ne devraient pas être confiés seulement à une nounou ou à la crèche, mais aussi à leur père, au moins en partie.
Une répartition plus équitable des tâches familiales se heurte encore et toujours au modèle traditionnel de la mentalité tessinoise, conservatrice et peu urbaine. «Les pères qui restent à la maison ou qui font des métiers ‘de femmes’? On trouve ça mignon, mais ça nous semble étrange aussi à nous parce que nous ne sommes pas habituées», dit Giulia, qui est en train d’essayer de convaincre son petit ami d’apprendre à cuisiner. «De toutes façons, même dans les couples les plus paritaires, c’est encore souvent la femme qui a le plus de responsabilités. Il y a peu d’hommes qui font le ménage, la lessive et qui repassent.»
Pour ces jeunes femmes, l’égalité signifie égalité des droits et des chances. Et aussi de pouvoir disposer de son corps. «En Suisse, nous avons conquis le droit à l’avortement, mais notre sexualité est encore considérée de manière différente que celle des hommes, poursuit Giulia. Une fille qui a plusieurs expériences est encore qualifiée de légère, alors que si c’est le garçon, il sera traité en héros. Et puis, nous les femmes, nous devons vivre avec des regards et des commentaires sexistes… Dans la rue, en discothèque, à l’école. Parfois c’est humiliant. On se sent traitées comme des objets.»
En 1909, les féministes américaines ont consacré le 28 février «journée nationale des femmes».
En 1910, l’Internationale socialiste a décrété le 8 mars comme journée de la femme.
Le 25 mars 1911, quelques jours après une manifestation de plus d’un million de femmes en Europe, 146 ouvrières ont perdu la vie dans un incendie de l’usine textile Texton, à New York. L’événement devient l’emblème des protestations féminines.
Le 8 mars 1917, les femmes russes organisent une grève contre la guerre. Quatre jours plus tard le tsar est contraint d’abdiquer et le gouvernement provisoire accorde le droit de vote aux femmes. Depuis lors la journée de la femme est véritablement célébrée ce jour.
1977: l’Assemblée générale de l’ONU approuve la Journée internationale de la femme.
(Adaptation de l’italien: Isabelle Eichenberger)
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