Agonie de l’italien en Suisse: le Tessin réagit
La langue italienne perd du terrain en Suisse. Si elle n’est pas rapidement défendue, elle risque de perdre son statut de langue nationale. Le canton du Tessin a réagi et va se battre contre la récente décision d’Obwald de supprimer l’enseignement de la langue de Dante au lycée dès la rentrée scolaire.
Le gouvernement tessinois n’a pas perdu de temps. Il s’est adressé au ministre Didier Burkhalter et à la présidente de la Conférence des directeurs cantonaux de l’éducation publique, Isabelle Chassot. Il leur demande de vérifier si le règlement en vue de la reconnaissance des maturités fédérales en Suisse est correctement appliqué dans tous les cantons suisses.
«A ce jour, nos lettres sont restées sans réponse, explique Diego Erba, directeur de la Division des écoles du canton du Tessin. Mais la Commission suisse de maturité s’est cependant penchée sur ce thème et nous espérons donc être entendus.»
Diego Erba souligne qu’à Obwald, contrairement à ce qui s’est passé au printemps dernier à Saint-Gall, le gouvernement cantonal a décidé de supprimer l’enseignement de l’italien, comme branche à option, au lycée de Sarnen. «Le gouvernement d’Obwald a préféré donner la priorité au latin et aux branches scientifiques», précise le directeur des écoles tessinoises.
Une décision que le canton du Tessin considère comme la preuve d’un «manque de considération de la langue et de la culture italiennes». Il estime aussi qu’elle va à l’encontre du règlement sur la reconnaissance des maturités fédérales en Suisse.
Pétition
Entretemps, une pétition munie de 4000 signatures, lancée par l’Association suisse des professeurs d’italien, le groupe italianoascuola.ch, Pro Grisons italiens et le Département tessinois de l’éducation publique aura été déposée auprès du Département de l’éducation et de la culture d’Obwald. Elle lui demande de faire marche arrière. Une possibilité qui sera aussi débattue le 2 décembre par le parlement cantonal d’Obwald, en réponse à une interpellation du Parti socialiste.
Le directeur tessinois des écoles est d’avis que les cas de Saint-Gall d’abord – qui est depuis revenu sur sa décision – et d’Obwald ne sont que la pointe de l’iceberg: «il y a sûrement d’autres cantons en Suisse qui ont supprimé l’enseignement de l’italien sans que nous le sachions, probablement davantage en Suisse alémanique que romande.»
Mais comment expliquer ce désintérêt croissant pour cette langue? «Entendons-nous bien, la situation n’est pas encore désespérée, mais elle s’aggrave quand même, répond Alessio Petralli, professeurs et experts en langues. En fin de compte, l’italien est davantage parlé qu’on pourrait le croire, même si il n’est pas considéré comme une langue d’importance mondiale.»
«L’anglais, bien sûr, puis l’espagnol, le français, le portugais et même le chinois viennent avant, poursuit-il. Mais nous ne devons pas oublier que l’italien n’est pas seulement une langue nationale suisse mais la langue d’une grande nation et d’une culture extraordinaire, la langue de l’art, de la musique, de la bonne cuisine, du design, du football, bref de tant de belles choses de la vie. Sous de nombreux aspects, l’italien continue à être important. Rappelons-nous aussi que c’est la langue fondamentale du monde catholique et qu’elle est encore bien présente dans l’histoire d’une vaste diaspora répartie dans tous les continents.»
Radiographie de l’italophonie
Mais le Professeur Petralli en est convaincu: «Si l’on ne fait rien en Suisse, l’italien risque de se cantonaliser, voire même de disparaître. Ce serait dommage qu’il soit déclassé pour devenir une langue régionale. A long terme il pourrait perdre son statut de langue nationale. Il faudrait donc procéder à une radiographie approfondie de l’italophonie en Suisse».
«En fait, pour des raisons d’économies, le prochain recensement fédéral ne se fera plus comme par le passé par des questionnaires envoyés à tous les ménages, mais se basera sur des données fournies par les communes et sur des enquêtes menées parmi la population, rappelle le professeur. Ce sera donc très difficile de comprendre quelle est réellement la situation de l’italien en Suisse. Dans tous les cas, il faudra rapidement intervenir de toutes les manières possibles, par exemple en exploitant mieux et davantage les moyens de communication.»
Alessio Petralli estime que les italophones de la seconde, troisième voire quatrième génération qui résident hors du Tessin peuvent faire la différence pour ce qui est du maintien de l’enseignement de l’italien au niveau national: «L’italophonie doit être ravivée hors des confins de la Suisse italienne et, pour le faire, il faudrait soutenir financièrement les écoles italiennes. Le gouvernement de la Péninsule a drastiquement réduit les subsides destinés à ces instituts. Le canton du Tessin devrait donc trouver quelques ressources pour soutenir concrètement la noble cause de la langue italienne au nord des Alpes.»
Ecole tessinoise mise en cause
Le poète et écrivain Gabriele Alberto Quadri, domicilié à Cagiallo au-dessus de Lugano, soutient inconditionnellement la proposition de son confrère. Il ne mâche toutefois pas ses mots pour expliquer la perte de sympathie que connaît l’italien dans le reste de la Suisse: «Notre langue perd du terrain, car l’italianité dans son ensemble est en recul, pire est en train de perdre sa dignité!», déplore-t-il.
Pour ce professeur d’italien et de français, né de mère italienne et de père tessinois, «ceci s’explique par le fait que l’Italie investit trop peu dans la culture et dans la diffusion de sa propre langue.» Ceci dit, cet enseignant de 61 ans, désormais à la retraite, n’hésite pas à pointer le doigt contre l’école tessinoise.
«Avant de prétendre que les autres cantons suisses continuent à offrir l’étude de l’italien comme branche à option, le Tessin devrait revoir sa façon de l’enseigner, déclare-t-il. En tant que matière scolaire, la centralité de l’italien s’est perdue durant ces dernières législatures. Nous sommes toujours davantage confrontés à une sorte de ‘tour de Babel didactique’ dans laquelle les élèves, à partir de l’école secondaire déjà, sont confrontés à une ‘ratatouille de langues étrangères’. Alors qu’ils ne maîtrisent pas suffisamment leur propre langue! En conclusion, l’italien ne doit pas continuer à être la servante des autres langues, surtout de l’allemand. Il l’a été pendant trop longtemps!»
Gabriele Quadri est lui aussi d’avis qu’il faudra agir rapidement afin que l’italien ne se régionalise pas: «Les frontières linguistiques devraient être revues, selon les régions où l’italien est encore parlé en Suisse, ne serait-ce qu’en famille ou comme seconde langue. Un recensement des italophones tel que l’a proposé Alessio Petralli me semble nécessaire. Mais le Tessin, surtout, devrait être en mesure de défendre mieux son italianité et de se défaire de cette réputation de ‘cas spécial’ qui lui colle à la peau pour retrouver sa capacité d’être davantage autonome.»
Après Saint-Gall, où la décision de l’Exécutif de supprimer l’enseignement de l’italien n’avait pas reçu l’aval du législatif, le demi-canton d’Obwald a annoncé récemment sa décision de renoncer à proposer l’étude de la langue de Dante, comme branche à option, au lycée de Sarnen. Ceci à partir de l’année scolaire 2012-2013.
Cette annonce a suscité une vive polémique au Tessin, où les prises de position se sont succédées sur la perte de sympathie que l’italien est en train de connaître dans le reste de la Suisse.
Une rencontre explicative a récemment eu lieu entre le Tessinois Manuele Bertoli, chef du Département de l’éducation publique et de la culture (DECS) et son homologue d’Obwald qui a été prié de revenir sur sa décision.
Le 9 novembre dernier, le gouvernement tessinois s’est adressé au ministre Didier Burkhalter et à la présidente de la Conférence des directeurs cantonaux de l’éducation publique. Il leur a demandé d’intervenir auprès de la Commission suisse de maturité afin qu’elle conclue sans tarder la vérification sur la correcte application, de la part des cantons, du règlement qui gère la reconnaissance des attestations de maturité. Les cantons qui renoncent à l’enseignement de l’italien dans leurs écoles pourraient en fait violer ce règlement.
Le 24 novembre, une pétition munie de plus de 4000 signatures et lancée par l’Association suisse des professeurs d’italien, le groupe italianoascuola.ch, Pro Grisons italiens et le Département tessinois de l’éducation publique a été déposée auprès du Département de l’éducation et de la culture de Sarnen.
Le 2 décembre enfin, le parlement d’Obwald répondra à une interpellation socialiste qui demande le maintien de l’enseignement italien comme branche à option dans le lycée du chef-lieu.
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