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Des portraits pour combattre les clichés

Le photographe JR de passage à Genève. swissinfo.ch

Fort de sa consécration mondiale pour ses portraits géants placardés en Israël et dans les territoires palestiniens, le photographe JR récidive à Genève.

Invité par le Festival international du film sur les droits humains, cet artiste français de 25 ans explique à swissinfo le sens de ses projets, dont le prochain sera centré sur la dignité des femmes.

Sa démarche fait penser à Bansky, l’artiste de rue britannique, ses prises de vue à celles pleines d’énergie du photographe new-yorkais William Klein et son parcours au peintre Basquiat parti de la rue et propulsé au sommet du monde artistique.

Du haut de ses 25 ans, le photographe français JR connaît en effet une notoriété croissante suite à l’opération Face2Face montée avec Marco, un créateur de start-up installé à Genève depuis dix ans.

Exposés à Berlin, Paris ou Amsterdam, ses portraits géants de Palestiniens et d’Israéliens faisant les clowns devant l’objectif couvrent actuellement à Genève les murs du vénérable musée Rath et de la Maison des arts du Grütli, suite à l’invitation du Festival international du film sur les droits humains (FIFDH).

Un affichage de rue qui a démarré il y a une année dans plusieurs villes israéliennes et palestiniennes, sans oublier le mur de béton qui sépare les deux territoires. Histoire de montrer qu’Israéliens et Palestiniens «se ressemblent, parlent presque la même langue, comme des frères jumeaux élevés dans des familles différentes», souligne la présentation de Face2Face, une action qui fait l’objet d’un film «Faces », primé par le FIFDH.

Entre sa prochaine exposition à la Tate Modern de Londres et la poursuite de son nouveau projet «women are heroes», l’autodidacte JR précise le sens de son action.

swissinfo: JR, c’est un hommage à la série américaine Dallas et à son univers impitoyable?

JR: Non. Ce sont juste mes initiales. Selon les pays, mes travaux sont tantôt perçus comme de l’art, tantôt comme un crime. J’ai donc décidé de garder mon anonymat. Et ce pour pouvoir passer les frontières plus facilement et pour éviter les amendes et les procès éventuels suite à ces simples collages de papier sur des murs.

Mon travail s’inspire de notre société et de ses immenses publicités qu’on voit partout. En fait, je colle mes photos comme de la publicité, dans des formats gigantesques et sur les meilleurs espaces. Les inconnus que j’expose deviennent ainsi connus. Il y a donc tout ce jeu avec la notoriété qui m’intéresse beaucoup.

swissinfo: Face2Face est le deuxième volet d’un plus vaste projet.

JR: Un projet intitulé «28mm», comme l’objectif grand angle que j’utilise. Il a commencé il y a trois ans dans la banlieue parisienne de Clichy Montfermeil avec une exposition complètement illégale de photos de huit mètres sur dix montrant la vie quotidienne de ces quartiers. Par la suite, les émeutes des banlieues ont éclaté, y compris dans ce quartier.

J’ai donc décidé de retrouver ces personnes pour les photographier un peu comme des extraterrestres, puisque les médias les montraient comme des monstres. Et ce pour ensuite coller ces images géantes dans Paris.

Après le deuxième volet – Face2Face – je développe actuellement «Women are heroes», un projet qui porte sur la dignité de la femme, avec des portraits de femmes et surtout de la vie qui se cache dans leurs regards, alors qu’elles ont traversé des épreuves terribles.

J’ai commencé en Afrique avec des expositions – toujours en plein air sur des façades – au Sierra Leone et au Liberia. Les prochaines étapes sont le Kenya, l’Inde et d’autres pays d’Asie.

swissinfo: Comment réagissent les gens à ces collages?

JR : Pour l’ensemble de ce projet, nous ramenons et collons les photos sur les lieux où elles ont été prises. Au Liberia par exemple, coller une photographie sur un mur criblé de balles au cœur d’une capitale qui a vu les pires horreurs de la guerre provoque un fort impact chez les gens.

Et ce qui m’intéresse, c’est vraiment de comprendre comment les gens interprètent ces photos, comment l’art est perçu, surtout dans des endroits sans cadre de référence pour les décrypter. Des explications que j’essaie de récolter au travers de documentaires que je tourne la plupart du temps moi-même.

swissinfo: Comment vous qualifiez-vous?

JR: La meilleure qualification qu’on m’ait donnée, c’est celle d’artiviste, contraction d’artiste et d’activiste. Dans mon travail, le collage est aussi important que la photographie elle-même. Et les réactions que créera ce collage sont souvent plus importantes que le portrait lui-même.

swissinfo : Vous êtes en train de séduire les grandes institutions artistiques et l’univers fortuné de l’art contemporain. Comment gérez-vous cette ascension ?

JR: L’important, c’est de garder ce qui fait la base de mon travail, soit d’utiliser des nouveaux supports, d’ouvrir l’art à tout le monde en exposant sur des façades. Et cette envie d’amener l’art à tout le monde dépasse les propositions qu’on pourrait me faire en intérieur dans des endroits luxueux. Ma prochaine exposition aura lieu à la Tate Modern qui s’est pliée à ma condition d’exposer en extérieur sur sa façade.

Reste également l’envie d’aller coller mes images dans des endroits du monde qui n’ont pas accès à l’art. Quand je vois que je fais trop d’expositions en Europe, j’ai besoin de partir dans des pays éloignés, en tous cas de l’art contemporain.

Si j’avais voulu me faire de l’argent, j’aurais répondu à des commandes publicitaires ou j’exposerais dans des galeries. Je vis de la vente de mes œuvres sur le marché de l’art. Ce qui me permet de financer mes projets et de ne pas me lier avec telle ou telle organisation qui viendrait altérer le message. Garder la force et le sens du message reste l’objectif principal de mes projets.

Interview swissinfo: Frédéric Burnand à Genève

La sixième édition du Festival du film et Forum sur les droits humains (FIFDH) s’est tenue du 7 au 16 mars à Genève. Plus de 16’000 festivaliers ont assisté pendant dix jours aux projections et aux débats qui les accompagnaient.

Le jury, dont a fait notamment partie le sculpteur sénégalais Ousmane Sow, le Polonais Adam Michnik, figure emblématique de Solidarnosc ou le fondateur de la Cinémathèque suisse Freddy Buache, a attribué le Grand Prix FIFDH ex-aequo à «In prison my whole life» de Marc Evans, peinture de l’univers carcéral des Etats-Unis, et à «Suffering and smiling» de Dan Ollman, qui évoque la poursuite du combat du chanteur nigérian Fela Anikulapo Kuti par l’un de ses fils.

Le Prix de l’Organisation mondiale contre la torture a été remporté par «Calle Santa Fe» de la Chilienne Carmen Castillo. Un documentaire autour d’une militante dans le Chili d’Augusto Pinochet.

Quant au Prix spécial du jury, il est allé à «Faces» de GMAX pour la meilleure contribution artistique. Le documentaire montre l’opération Face2Face orchestrée au Proche-Orient par JR et Marco.

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