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«On dénonce cette constante attitude de la Suisse de prétendre que tout va bien»

Une jeune femme habillée en noir pose à côté d une affiche violette grève des femmes
Clara Almeida Lozar à l'Université de Lausanne, où plusieurs groupes de travail se mobilisent pour organiser la grève des femmes du 14 juin. swissinfo.ch

Les femmes suisses ont décidé de faire la grève le 14 juin. Rencontre avec Clara Almeida Lozar, étudiante lausannoise qui s’engage activement dans l’organisation de cet événement pour faire bouger les mentalités.

Clara Almeida Lozar a 20 ans et étudie les sciences sociales et politiques. Elle a décidé fin 2018 de rejoindre le collectifLien externe de l’Université de Lausanne (UNIL) et de l’École polytechnique fédérale (EPFL) pour la grève nationale des femmesLien externe du 14 juin. Clara Almeida Lozar s’investit depuis longtemps pour défendre la cause des femmes; s’engager dans l’organisation de cette grève était donc une évidence. Elle est étonnée et fière de voir l’ampleur de ce mouvement dans un pays peu habitué aux grandes mobilisations.

swissinfo.ch: Qu’est-ce qui vous dérange le plus dans la situation des femmes actuellement en Suisse?

Clara Almeida Lozar: En tant que femmes, nous subissons au quotidien différentes discriminations et inégalités qui se cumulent et qui viennent de différentes sources: travail, formation, vie privée. Structurellement, la femme a été posée dans une situation qui est non-visible et que nous ne remettons pas en cause.

«Un des rôles que peut avoir cette grève est de mettre en lumière des mécanismes qui avant paraissaient normaux»

Un des rôles que peut avoir cette grève est vraiment de questionner le quotidien et de mettre en lumière des mécanismes qui avant paraissaient normaux. La grève nous permet de réaffirmer notre place dans l’espace public: le 14 juin, nous serons dans les rues car elles nous appartiennent également, nous ne voulons plus être assignées aux tâches ménagères et être maintenues à la maison.

Avez-vous quelques exemples de discrimination au quotidien?

Certaines attitudes ne sont plus normales en 2019. Une femme ne devrait pas avoir peur de rentrer le soir et de marcher seule dans la rue. Il y a aussi le paternalisme, que ce soit au travail ou durant les études. Cette attitude que peuvent avoir certains hommes pour montrer aux femmes la bonne manière de faire, en partant du principe qu’elles ne savent rien ou que c’est leur rôle, ça me rend dingue.

Des femmes crient en levant les mains
Action collective durant les Assises nationales pour la grève des femmes le 10 mars à Bienne. © Keystone /adrien Perritaz

Une des choses les plus parlantes pour les personnes qui ne sont pas forcément sensibilisées aux autres thématiques est tout ce qui se passe dans la sphère privée: la répartition des tâches domestiques, la non-reconnaissance du travail gratuit fourni par les femmes, comme faire le ménage, s’occuper des enfants et des proches. Les femmes doivent souvent interrompre leur carrière pour s’occuper de la maison, puis se contenter de temps partiels et d’emplois précaires. Et il ne faut pas oublier les violences domestiquesLien externe: en Suisse, toutes les deux semaines, une femme meurt sous les coups de son conjoint ou de son ex-conjoint.

Que peut-on faire pour que la situation évolue?

Il est clair que le système politique et sociétal dans lequel nous vivons doit changer, pour cela il faut mettre en place des moyens politiques. À notre échelle, nous pouvons par exemple travailler sur le langage, car c’est vraiment le miroir de notre société. Nous pouvons le rendre le plus inclusif possible, remettre en cause des mots ou des expressions employées spontanément, mais qui peuvent avoir des conséquences néfastes sur les personnes visées: comme «mademoiselle», «petite», «chérie» ou alors le fait d’évoquer ses règles pour expliquer le comportement d’une femme.

«La culture sexiste en Suisse est très normalisée, invisible»

Un exemple de moyen politique qui me semble important est la réduction générale du temps de travail pour les femmes et les hommes, de manière à mieux répartir les tâches professionnelles et domestiques et les autres activités. L’idée est de travailler moins tout en étant mieux payé.

Quelle est la place des hommes dans cette grève?

Lors de la grève, le rôle des hommes est d’être un soutien pour les femmes, ils peuvent s’occuper des enfants ou assurer le service minimum au travail. Ils doivent simplement éviter de se mettre sur le devant de la scène, de prendre des décisions ou de prendre la place d’une femme qui souhaite participer le 14 juin.

La condition des femmes en Suisse est-elle si préoccupante qu’elle nécessite la mise en place d’une grève?

Des femmes manifestent
Les femmes ont déjà manifesté pour la grève du 14 juin lors des cortèges du 1er mai. © Keystone / Martial Trezzini

C’est ce que nous dénonçons également, cette constante attitude de la Suisse de prétendre que tout va bien. Il y a des choses qu’on ne doit pas oublier: la Suisse a introduit le droit de vote des femmes très très tard, le principe de l’égalité a été inscrit dans la loi en 1981 et la première grève des femmes de 1991 a été mise en place car ce principe n’était toujours pas acquis dix ans plus tard. En 2019, on demande toujours l’égalité et on se rend compte qu’il faut englober beaucoup plus que cela: la culture sexiste en Suisse est très normalisée, invisible, et nous nous sommes tellement habitué.e.s à vivre avec que nous ne nous rendons même plus compte de sa présence.

C’est important de prendre cette grève comme point de départ d’une réflexion, de regarder autour de soi. Nous voulons que cette journée ait un impact dans les mentalités.

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