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«Je n’aime pas payer des impôts à un Etat corrompu»

Les cafés grecs se sont vidés: la TVA a tellement augmenté que les Grecs vont moins souvent manger à l’extérieur. swissinfo.ch

Il est peut-être exagéré de parler de dépression nationale. Mais la crise grecque frappe bel et bien tout le monde. La classe moyenne économise et regarde l’avenir avec inquiétude. Récits de citoyens suisses au pays de l’Olympe.

«Le nombre de personnes passant la nuit dehors ne cesse d’augmenter. Ce sont principalement des immigrés illégaux du Pakistan et du Bangladesh. C’est triste, lâche Lisa Hamuzopulos. Les mendiants sont innombrables, mais je ne peux quand même pas leur donner à tous quelque chose».

Vivant depuis 1999 en Grèce, cette Suissesse est mariée avec un avocat grec. Elle gère le café du Goethe-Institut à Athènes. Pour Lara Bachmann également, coordinatrice des programmes d’e-learning à l’Institut «Union helléno-américaine», l’immigration illégale est un grand problème. «Les pays du nord de l’Europe devraient aider ceux du sud. La Grèce ne peut nourrir toutes ces personnes», explique cette Tessinoise de 33 ans, qui vit en Grèce depuis cinq ans et a également épousé un Grec.

Lara Bachmann a un travail intéressant. Même si son salaire a diminué en raison de l’augmentation des impôts, elle se considère comme privilégiée. Et pourtant: «Tout est devenu plus cher. On fait attention à ce que l’on dépense.» Lara Bachmann n’a toutefois aucunement l’intention de revenir en Suisse, même si la situation devait empirer. «Il y a trop de solitude en Suisse. Ici, les gens s’occupent davantage les uns des autres», affirme-t-elle.

Augmentation des demandes à l’ambassade suisse

La crise de la dette grecque a aussi des conséquences sur la représentation suisse à Athènes. «Nous recevons davantage de demandes de Suisses ou de doubles-nationaux qui revendiquent leur passeport pour être prêt à éventuellement partir vers la Suisse», explique le consul Peter Himmelberger.

Pour la première fois, une légère tendance au retour, de l’ordre de 1 à 2%, est enregistrée. «Nous ne savons pas quelle proportion des près de 3400 Suisses vivant en Grèce a des difficultés, car tous ne s’adressent pas à nous. Certaines personnes sollicitent notre aide, notamment pour un financement du retour en Suisse», déclare le consul.

Autre volet du travail de la représentation suisse: le nombre de Grecs se renseignant sur les autorisations de travail, les conditions pour l’obtention d’un visa ou pour suivre des études en Suisse, a augmenté. Pas étonnant: selon les dernières statistiques, 46% des 15-24 ans sont au chômage.

Au Goethe-Institut, les cours d’allemand affichent complets. La demande est également forte pour les certificats d’anglais à l’Union helléno-américaine.

La crise est visible

L’image même de la ville montre à quel point le pays est touché par la crise: outre les mendiants, on voit les chauffeurs de taxi attendre longtemps un client, et aussi des Roms, des Pakistanais et des retraités qui vendent des briquets, des fleurs ou des billets de loterie. Il se murmure que la criminalité a augmenté au centre-ville.

Les magasins et commerces ayant fermé leurs portes ou sur le point de baisser définitivement leur devanture sont innombrables. Cet état d’abandon ne touche pas que le centre, mais aussi le quartier du Pirée et la banlieue riche de Kifissia, au nord.

De nombreuses personnes ne peuvent plus payer les charges de chauffage et d’électricité. Lisa Hamuzopulos dit avoir entendu parler d’un boom des ventes de couvertures et de sacs de couchage. Chez elle, le chauffage fonctionne. «Mais nous sommes plus prudents et nous nous habillons aussi un peu plus chaudement», explique-t-elle.

Les deux Suissesses vont plutôt bien, comparativement, mais la vie a perdu de son insouciance. L’insécurité est grande, même si l’ambiance s’est un peu améliorée depuis la mise en place d’un gouvernement provisoire. «Dans le bus, les gens parlent d’argent. Tout le monde veut savoir combien les autres payent d’impôts spéciaux», note Lisa Hamuzopulos.

Economiser, encore et encore

Pour assainir ses finances, la Grèce a introduit un impôt immobilier et un impôt de solidarité. La TVA a été massivement relevée et les rentes vieillesse ont été diminuées. Le couple Hamazopulos paye au total 1100 euros pour l’impôt de solidarité. Ces mesures touchent particulièrement les gens les plus pauvres. Mais la couche moyenne doit aussi se serrer la ceinture. «La méfiance envers l’Etat est énorme. Des sommes énormes ont disparu, cela met les gens en colère. Je ne paye pas volontiers des impôts à un Etat corrompu», souligne Lisa Hamuzopulos.

La vice-présidente du Club suisse d’Athènes, Madeleine Arvanitis, est mariée à un médecin qui prendra bientôt sa retraite. Elle vit en Grèce depuis bientôt 28 ans. «Une année entière s’écoulera avant que mon mari ne reçoive sa rente. Et il est impossible de savoir quand le 2e pilier sera payé.»

Maigres perspectives pour les jeunes

Infirmière de formation, la Fribourgeoise Madeleine Arvanitis éprouve de la colère et de la déception, vis-à-vis du gouvernement et des deux partis, le Nea Dimokratia et le Pasok surtout. «Je ne me sens plus représentée par les deux grands partis, dit-elle. J’ai voté pour le Pasok pendant 27 ans. Je ne sais pas pour qui je voterai lors des prochaines élections.»

Mère de deux enfants aujourd’hui adultes, la Suissesse s’inquiète surtout pour l’avenir des jeunes. «Mon fils travaille depuis deux ans en tant que juriste et gagne un peu plus de 1000 euros par mois.» Agé de 28 ans, il vit encore chez ses parents. Il ne peut se permettre d’avoir son propre appartement, sans parler de fonder une famille. «Les jeunes sont déçus et ne veulent pas entendre parler de politique.»

Les mentalités doivent changer

Madeleine Arvanitis craint surtout un retour à la drachme. «Ce serait le pire scénario. Nos économies perdraient toute leur valeur», explique-t-elle. De nombreux citoyens suisses ont du reste affirmé à swissinfo.ch avoir rapatrié leurs économies en Suisse.

Les Grecs sont aujourd’hui d’avis que le pays a vécu trop longtemps à crédit et que le style de vie doit changer. Madeleine Arvanitis voit une réelle volonté de changement. De son côté, Lara Bachmann trouve partiellement injustes les comptes-rendus sur la Grèce publiés à l’étranger. «La Grèce est présentée comme si tout le monde ne faisait que se prélasser à la plage. Mais en fait, le rythme de travail est très dur dans ce pays.»

La récession est très présente dans un pays aussi endetté que la Grèce, membre de l’Union européenne. Le produit intérieur brut (PIB) a chuté de 5% au troisième trimestre, par rapport à la même époque de l’année précédente.

Le taux de chômage a baissé à 18,4% en août à 17,5% en septembre. Il était de 12,6% en 2010.

Les jeunes gens continuent à être particulièrement touchés: 46,4% des 15 à 24 ans n’ont pas d’emploi, contre 33,6% en 2010.

 

Source: statistiques grecques (ELSTAT)

Les enfants sont de plus en plus frappés par la crise grecque. Le Ministère grec de l’éducation a lancé un vaste programme pour la distribution de bons de repas aux écoliers.

Selon un porte-parole du syndicat enseignant, ce sont surtout les enfants de migrants qui souffrent, car leurs parents n’ont pas de travail à cause de la crise financière. Mais les cas de malnutrition touchent aussi les enfants grecs, suite au chômage de leurs parents.

Près de 3400 Suisses vivent en Grèce. La tendance est à la baisse. Une grande partie d’entre eux sont doubles-nationaux.

Quelque 350’000 touristes suisses viennent chaque année en Grèce.

Près de 6000 ressortissants grecs se sont établis en Suisse.

(Traduction de l’allemand: Ariane Gigon)

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