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«Je ne veux tuer personne»

Erika Preisig
Erika Preisig, médecin et présidente de l'organisation de suicide assisté Lifecircle , le 8 avril 2021 à Liestal dans le canton de Bâle-Campagne. Severin Bigler

La Bâloise Erika Preisig, médecin et présidente de l'organisation de suicide assisté Lifecircle, a aidé à mourir des patients et patientes, y compris venant de l’étranger. La militante défend également la légalisation du suicide assisté dans d'autres pays. Nous lui avons demandé pourquoi.

SWI swissinfo.ch: Pourquoi votre organisation apporte-t-elle son aide à des personnes venant de pays où le suicide assisté est illégal?

Erika Preisig: Parce que chaque être humain a le droit de décider quand, où et comment il veut mourir.

Souvent, lorsque des personnes se rendent en Suisse pour mourir, elles souffrent d’une maladie grave et ne sont pas en état de voyager. Si elles pouvaient avoir cette possibilité dans leur pays d’origine, elles ne seraient pas obligées de le faire ici. L’aide à la mort devrait être légale partout dans le monde.

Je travaille avec des patients et patientes en soins palliatifs depuis 21 ans, en tant que médecin de famille. Même avec de bons soins palliatifs en fin de vie, on voit parfois des personnes mourir de façon horrible.

Il y a environ 15 ans, mon père est mort en recourant à l’aide au suicide; il souffrait d’une maladie incurable. Il s’est assis à côté de moi, a bu les médicaments, a posé sa tête sur mon épaule avant de mourir. Il n’y avait aucune souffrance, aucun problème, aucune peur. Et puis j’ai commencé à réfléchir: les soins palliatifs sont-ils la seule solution? Faut-il continuer à vivre, même quand on est très vieux et très malade?

Depuis lors, je travaille à aider la patientèle à mourir par suicide assisté ou soins palliatifs.

Les individus décident eux-mêmes s’ils veulent se marier, avoir des enfants, manger quelque chose. Mais ils n’ont pas le droit de choisir leur fin de vie.

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Contrairement aux Pays-Bas, la Suisse n’autorise pas le corps médical à injecter la dernière dose létale. Pensez-vous que l’euthanasie active devrait également être légalisée en Suisse?

Non.

Pourquoi?

Je ne veux tuer personne. Les patients et patientes devraient être les personnes qui activent le médicament par voie intraveineuse, en toute sécurité et sans souffrance.

De nombreuses personnes souffrant de troubles psychiques souhaitent également mourir par suicide assisté. La réglementation suisse rend très difficile l’obtention du feu vert pour elles. Pensez-vous que la Suisse devrait leur ouvrir la porte?

Pour cela, nous avons besoin de davantage de psychiatres qui puissent juger de leur capacité mentale. Il y a tellement de gens qui souffrent de maladies mentales dans le monde et nous avons très peu de psychiatres. Nous ne pouvons pas accepter les personnes étrangères atteintes de maladies mentales. Nous n’en avons pas la capacité.

Mais devrait-il y avoir suffisamment de psychiatres?

Oui. Si une maladie mentale est incurable, comme une maladie somatique, la mort assistée devrait être autorisée. Par exemple, si une personne est allée trois fois en clinique psychiatrique, qu’elle est toujours bipolaire, dépressive ou schizophrène et qu’elle ne veut plus vivre. Dans ce cas, on peut comparer cette situation à une maladie somatique incurable.

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Alors que de plus en plus de personnes choisissent de mourir par suicide assisté, il n’y a que quelques organisations qui fournissent ce service. Comment l’expliquer?

Après chaque cas de mort assistée, la police et la justice viennent pour une inspection légale. On ne se sent pas à l’aise d’être interrogé à chaque fois. Il serait nécessaire de revoir ce processus.

Beaucoup de choses doivent changer en Suisse. L’aide à la mort devrait faire partie du travail normal du corps médical, comme l’administration d’antibiotiques. Bien sûr, il faut faire preuve de prudence en prescrivant des antibiotiques, tout comme il faut faire preuve de prudence avec la chirurgie. Il faut aussi faire preuve de prudence avec l’aide à la mort. C’est la même chose. Nous n’avons pas besoin de beaucoup d’organisations.

En soins palliatifs, je fais des injections de morphine ou une sédation terminale. C’est le travail des médecins. Tout le monde me fait confiance. Pas de police, pas d’inspection. Mais lorsque j’aide un patient ou une patiente à mourir, je dois traiter des tas de papiers et faire face à une inspection de la police.

Pensez-vous que le système suisse est meilleur que le système néerlandais?

A mon avis, le modèle suisse est la meilleure option. Ici, la personne a le dernier mot sur sa vie.

Le corps médical ne devrait pas décider si une vie ne vaut pas la peine d’être vécue. Si les médecins peuvent faire l’injection, comment peut-on être sûr que c’était vraiment le souhait des malades?

Certaines critiques avertissent que la légalisation du suicide assisté pourrait permettre à certaines entreprises d’en profiter.

Nous avons été accusés à de nombreuses reprises par des personnes qui disent que nous fournissons l’aide à mourir uniquement pour l’argent. Pour éviter cela, chaque organisation devrait voir ses revenus et ses dépenses inspectés par le gouvernement.

En Suisse, existe-t-il une réglementation obligeant les organisations d’aide au suicide à rendre leurs comptes publics?

Il n’y a pas de réglementation. Et je ne suis pas d’accord avec cela.

Que fait votre organisation pour être transparente?

Lifecircle est une fondation. Et nous faisons contrôler nos comptes deux fois par an par le gouvernement.

L’aide au suicide vous occupe-t-elle à plein temps?

Non. Si c’était le cas, je me tuerais (rires). Ce n’est pas un travail que l’on fait pour vivre.

Toutes les personnes qui travaillent pour Lifecircle ont une profession normale et travaillent à temps partiel pour la fondation. Moi, je gagne ma vie en tant que médecin de famille.

Erika Preisig Interview
Erika Preisig après le prononcé du verdict au Tribunal cantonal de Bâle-Campagne, le 7 mai 2021. Lors de ce procès en 2e instance, Erika Preisig a été acquittée du chef d’homicide volontaire. et a vu sa peine pour infraction à la Loi sur les produits thérapeutiques et la santé fortement réduite. Le parquet envisage de saisir le tribunal fédéral. Severin Bigler

N’avez-vous jamais pensé à démissionner?

Il y a cinq ans, j’ai été accusée du meurtre d’une très vieille dame suisse. Elle était dans un service psychiatrique depuis trois mois et on lui avait diagnostiqué une dépression. J’ai discuté avec son fils, le chef de la maison de retraite où elle séjournait et sa concierge. Mais je n’ai pas pu trouver de psychiatre pour l’évaluation.

Lorsque vous êtes confrontée à un procès pour meurtre, et que vous pensez avoir tout fait parfaitement bien…. vous vous demandez pourquoi s’infliger tout cela ? Et vous vous dites, pourquoi je ne démissionne pas (rires)? Mais il y a tellement de personnes qui me font confiance et qui ont besoin de mon aide. C’est pour cela que je continue. (En juillet 2019, le Tribunal pénal de Bâle-Campagne a condamné Erika Preisig à 15 mois de prison avec sursis et une amende de 20’000 francs pour violation de la loi sur les produits thérapeutiques. En revanche, la cour n’a pas retenu l’accusation d’homicide volontaire à son encontre, ndlr.)

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