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La loterie ou le hasard… au service du bien commun

Un tirage de la Loterie Romande en 1937, année de sa fondation. Musée suisse du jeu

Le Musée suisse du jeu à la Tour-de-Peilz dote son exposition permanente d’un nouvel espace, consacré aux loteries. Des jeux de hasard très populaires, qui constituent depuis plus de trois siècles, une manne importante pour les projets d’utilité publique.

Une petite somme d’argent, du hasard et l’espoir de décrocher le gros lot. Depuis le 15ème siècle, ces ingrédients amènent des centaines de personnes à participer aux loteries. Ces jeux d’argent populaires, qui font miroiter monts et merveilles à leurs participants, ne cessent d’étoffer leurs chiffres d’affaires.

«Aujourd’hui, on se trouve dans une phase très ludique. Dans notre société, le jeu est omniprésent. Les jeux d’argent engrangent des sommes énormes, même si en liaison à notre éthique du travail qui préconise de ne pas jeter l’argent par les fenêtres, les jeux d’argent sont toujours un peu mal perçus», relève Ulrich Schädler, directeur du Musée suisse du jeu.

Pour contrer cette mauvaise image, les loteries ont depuis longtemps trouvé la parade, puisqu’elles destinent les fonds récoltés à des œuvres de bienfaisance ou des institutions d’utilité publique. «En achetant un billet, vous participez à une bonne œuvre. Si on regarde la Loterie Romande, la redistribution de ses bénéfices touche quasiment tout le monde», note Rita Schyrr, porte-parole du Musée.

Un paris… politique

La loterie, un jeu au service de l’utilité publique. Le nouvel espace de l’exposition permanente se révèle d’abord sous cet angle. Composée de documents, d’objets, d’affiches, de billets, de gravures ou encore de livres, la collection, legs de la Loterie Romande, rassemble des éléments du monde entier. Au travers de ceux-ci, au fil des autorisations et des interdictions d’organiser ces ludiques levées de fonds, se dessine l’histoire des pays, de leur patrimoine, de leur société.

C’est au 15ème siècle, en Italie, que le tirage au sort se mue en jeu. A Venise, les marchands mettent en place des petites loteries pour se défaire de leur production. Et à Gênes, communément admise comme la ville berceau des loteries, le jeu se développe sur la base des élections gouvernementales. «La loterie prenait la forme de paris sur les candidats au gouvernement. Sur les 90 candidats au conseil communal (législatif), il s’agissait de parier sur les 5 qui seraient élus à la municipalité (exécutif). C’est d’ailleurs pour cette raison que le loto comporte aujourd’hui 90 numéros et les cartons de jeu cinq lignes», remarque Ulrich Schädler.

Enthousiasme et diabolisation

La loterie, moyen aisé de réunir des sommes importantes, se dissémine ensuite dans toute l’Europe. Les rares et précieux documents de l’exposition, datant pour certains de trois siècles, témoignent ici d’une loterie pour construire une église, là pour rénover un hôpital ou encourager une université. Au 18ème siècle, les loteries, déjà encadrées et réglementées par l’Etat, investissent de nombreux secteurs.

«Au 18ème siècle, les loteries connaissent un boom. C’est normal, ce siècle est celui de la ‘fureur du jeu’. Pour la majeure partie de la société, le jeu est l’activité de loisir la plus importante. Aristocrates, bourgeois, petit peuple, tout le monde joue. Mais au 19ème siècle, avec la naissance de la société bourgeoise, après la Révolution française, tout cela change. En tant qu’adulte, on ne se permet plus de jouer, cela devient une activité pour les enfants et le jeu d’argent est très critiqué», explique Ulrich Schädler.

Un malheureux joueur pendu. L’image tragique illustre la représentation du jeu d’argent au 19ème siècle. A l’époque où il convient de «perdre sa vie à la gagner», il n’est pas question de se laisser aller à la futilité de parier sur le hasard. Ainsi, la France, la Suisse et l’Angleterre interdisent les loteries. Ces pays autorisent seulement des tirages au sort exceptionnels pour des projets de bienfaisance, comme le montre cette affiche de la Loterie nationale «pour les yeux qui s’éteignent».

Ailleurs en Europe, pour faire passer le roulement de boule, on met en place des loteries avec des gains en objets. «Cela commençait avec des services de table, mais cela pouvait se terminer avec des maisons. En Autriche, une spécialité des Habsbourg était de mettre en gain des immenses propriétés, avec les bâtiments mais aussi les champs, la forêt, les bêtes, et même le village situé sur le terrain de la propriété», souligne le directeur du Musée.

Pour renflouer les caisses

Après ce passage à vide, la loterie sera pourtant réhabilitée, au 20ème siècle, dans l’entre-deux guerres. Avec la crise économique, les caisses des Etats crient famine. Les loteries, donc, les renfloueront. On organisera aussi des loteries pour les chômeurs ou les familles des soldats. En 1937, en Suisse, les cantons romands s’associent pour créer la Loterie Romande et les cantons suisses alémaniques couplés au Tessin fondent la Loterie Intercantonale Swisslos.

Avec des rêves de richesse et de grandeurs, même les plus pauvres investissent leur denier. Les gravures et les images d’archives illustrent cette popularité. Pour le tirage, la foule se réunit en masse. Postée devant la scène où le hasard fait son show, elle observe comme un spectacle le ballet de mains «innocentes», généralement des enfants ou des femmes. «Aujourd’hui, les lotos, que les associations à but non lucratif ont le droit d’organiser, ont repris cette fonction de cohésion sociale. Ces événements très populaires, surtout en Suisse romande, rassemblent toujours des centaines de joueurs», affirme Ulrich Schädler. La loterie, elle, continue d’attirer les foules. Mais pas de les réunir.

Swisslos. Cette loterie intercantonale, fondée en 1937, rassemble les cantons de Suisse alémanique et du Tessin ( 20 cantons en tout). Son bénéfice net, profite intégralement à l’utilité publique. En 2010, Swisslos a enregistré un bénéfice de 343 millions de francs. L’année dernière, plus de 8000 projets d’utilité publique dans les domaines de la culture, du sport, de l’environnement et de l’action sociale ont profité de cette manne. Depuis sa fondation, swisslos a investi plus de 5 milliards de francs dans des projets d’utilité publique et de bienfaisance.

 

La Loterie Romande. La Loterie Romande, fondée en 1937, rassemble les cantons de Vaud, Fribourg, Valais, Neuchâtel, Genève et du Jura. Son bénéfice profite à une multitude d’organismes romands œuvrant pour la communauté. En 2010, la Loterie Romande a enregistré un bénéfice net de 200,5 millions de francs. L’année dernière, quelque 4000 fondations et institutions sans but lucratif ont bénéficié du soutien de la Loterie Romande. Chaque année, elle investit 200 millions de francs dans l’action sociale, la culture, le sport, le patrimoine, la formation et l’environnement. Depuis 1984, la Loterie Romande a investi près de 2,5 milliards de francs dans projets d’utilité publique et de bienfaisance.

 

Sources: Swisslos, Loterie Romande

Lancée en avril 2008, l’initiative «pour des jeux d’argent au service du bien commun» a formellement abouti en septembre 2009, munie de plus de 170’000 signatures valables. Elle est soutenue par des représentants de toute la Suisse, de tous les horizons politiques ainsi que des milieux culturels, sociaux et sportifs.

L’initiative poursuit deux buts. D’une part, faire adopter le principe selon lequel tous les jeux d’argent doivent être au service de l’utilité publique. D’autre part, inscrire dans la Constitution fédérale la compétence des cantons en matière de loteries et de paris professionnels.

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