La Suisse entre métropoles et… «demi-cantons»
Fusionnite d’un côté, volonté indépendantiste de l’autre: des forces contraires agitent le fédéralisme suisse. Exemple récurrent: la question de la réunification des deux Bâle est jugée «folklorique» par les uns, «réaliste» par les autres.
Les Bâlois l’appellent le «Hülftenschanzegraben». C’est l’un de ces «fossés», événements historiques devenus barrières psychologiques, si helvète, incrusté dans les mémoires près de 200 ans plus tard. En l’occurrence, ce fossé au bord du Rhin est le lieu de la dernière bataille militaire, sanglante, qui a entériné la séparation de Bâle-Ville de Bâle-Campagne, le 3 août 1833.
«Cette victoire des campagnards sur les citadins est toujours très présente dans les esprits», explique Bojan Stula, rédacteur en chef adjoint de la Basellandschaftliche Zeitung. Pourtant, sémantiquement, il n’y a déjà plus de «demi-cantons». Politiquement peu correct, le terme a disparu de la nouvelle Constitution fédérale de 1999. Bâle-Ville, Bâle-Campagne, les deux Appenzell, Obwald et Nidwald sont cités comme les autres. Unterwald, Bâle seul et Appenzell seul n’existent plus.
Dans les esprits cependant, même à l’heure où les conférences métropolitaines prennent de l’importance en Suisse pour trouver des solutions suprarégionales à des problèmes traversant les frontières (les transports notamment), à l’heure où les communes fusionnent à tours de bras – et sont parfois obligées de le faire sur ordre de leur canton! – car les regroupements promettent des économies et des gains d’efficacité, les «demi-cantons» continuent à diviser paysages et esprits.
Le débat en cours à Bâle (capitale de Bâle-Ville) et Liestal (capitale de Bâle-Campagne) en est la preuve vivante. Deux députés démocrates-chrétiens (PDC) ont déposé, dans les deux Parlements respectifs, une demande d’analyse des bénéfices et désavantages d’une réunification.
Pression financière
Acceptée haut la main à Bâle-Ville, l’interpellation n’a obtenu que 38 voix contre 37 à Liestal. «Je ne dis pas qu’il faut changer les frontières du jour au lendemain, explique l’ancienne députée cantonale Elisabeth Schneider-Schneiter, autrice de l’interpellation et aujourd’hui conseillère nationale. Mais cela ne doit pas nous empêcher de réfléchir.»
«Je suis convaincue que nous aurions tout à gagner, financièrement, d’une réunification, poursuit-elle. Il faudrait que la situation se détériore encore un peu pour que la pression en faveur d’une fusion soit plus forte. Le temps nous donnera raison, ajoute-t-elle. La population soutient la réunification, perspective de plus en plus réaliste.»
La députée est toutefois contredite par de nombreux observateurs et spécialistes. «A mes yeux, le débat sur la réunification fait partie du folklore de notre canton, note Bojan Stula. Elle n’a aucune chance. En revanche, les collaborations concrètes fonctionnent plutôt bien.»
Autre sceptique, Christoph Koellreuter, directeur de Metrobasel, association qui agit précisément sur un terrain global. «Une réunification serait bien sûr la meilleure chose à faire, mais je sais que je ne la verrai jamais!», dit-il en riant.
Cela n’empêche pas Metrobasel, comme la Region Basiliensis, tournée sur la France et l’Allemagne, de chercher à donner des impulsions dans des domaines tels que les hautes écoles pour positionner la métropole bâloise, reliée, en l’occurrence, à la métropole zurichoise, dans la compétition internationale.
Pouvoir des cantons
Dans un exposé de novembre 2010 sous l’égide d’Avenir Suisse, le «think tank» de l’économie suisse, Dieter Freiburghaus, professeur émérite de l’IDHEAP de Lausanne, avait lui aussi affirmé qu’il ne verrait «jamais de fusions de cantons de son vivant».
«Les cantons tiennent à leur pouvoir, explique-t-il en substance, et ce pouvoir est fort grâce aux deux sièges attribués par canton au Conseil des Etats, seul exemple bicamériste, avec les Etats-Unis, où les deux Chambres ont le même poids.» Pour les deux Bâle, ce cas de figure n’entre pas en ligne de compte, chaque entité disposant d’un seul siège.
Si Bâle connaît d’innombrables tentatives de réunification (après avoir accepté, Bâle-Campagne a refusé en 1969), ce n’est pas le cas des autres demis-cantons, qui restent fortement accrochés à leur statut. Pourquoi cette différence? «La campagne bâloise a toujours été obsédée par la peur d’être dominée par la ville, peur qui n’existe pas dans les autres demi-cantons», explique l’historien bâlois Georg Kreis.
Ou alors un canton entier?
Bâle-Campagne préférerait même devenir un canton à part entière, avec une voix pleine dans les votations fédérales et deux sénateurs au Conseil des Etats. L’objectif est inscrit dans sa Constitution, ce qui n’est pas le cas de Bâle-Ville, qui recherche en revanche expressément les collaborations, tant en Suisse qu’avec les voisins étrangers.
Dans une analyse sur les «demi-cantons», l’Institut du fédéralisme de l’Université de Fribourg rappelle lui aussi que, à Bâle et Nidwald/Obwald, «les demi-cantons tendent à avoir une vie de plus en plus indépendante. Ils rêvent d’accéder au statut de canton entier.»
Ce qui poserait un autre problème psychologique à l’échelle suisse: si les demi-cantons, devenus cantons à part entière, comptaient désormais quatre conseillers aux Etats au lieu de deux, cela «accentuerait d’une manière insupportable la prépondérance germanophone» en Suisse…
Georg Kreis a aussi un regard critique face aux tentatives de transformer Bâle-Campagne en canton «entier»: «Elles ont surtout pour but d’empêcher toute volonté de réunification! De plus, arithmétiquement, avoir chacun deux conseillers aux Etats ne changerait pas grand-chose…» La structure du fédéralisme suisse, même modifiée par les fusions de communes et les organisations supra-régionales, risque de perdurer longtemps encore…
Les «demi-cantons» (le terme a en fait officiellement disparu de la Constitution fédérale de 1999) proviennent d’anciens cantons qui se sont partagés, rappelle l’Institut du fédéralisme de l’Université de Fribourg.
«Unterwald a été divisé depuis la nuit des temps entre Obwald et Nidwald, pour des raisons à première vue topographiques. Au fil du temps, la différence s’est accentuée, connaissant notamment des épisodes dramatiques lors de l’invasion napoléonienne, les troupes d’Obwald s’étant ralliées aux françaises.»
«Appenzell a été divisé en Rhodes Extérieures (protestantes) et en Rhodes Intérieures (catholiques) en 1597, à la suite de la Réforme.»
«Le canton de Bâle a été divisé en Bâle-Ville (conservateur) et Bâle-Campagne (radical) en 1833, lors des troubles politiques issus de la régénération, ce qui rappelle les tensions existant depuis toujours entre conservateurs et progressistes, mais aussi entre villes et campagnes.»
Selon le Dictionnaire historique de la Suisse, en 1933, cent ans après la séparation, l’association pour la réunification (fondée en 1914) lança une initiative dans les deux demi-cantons.
L’initiative fut acceptée en février 1936, dans les deux demi-cantons. Les deux peuples adoptèrent aussi l’article d’application, deux ans plus tard.
Mais les Chambres fédérales refusèrent d’abord leur garantie; elles l’accordèrent en 1960, sur la base d’une initiative cantonale.
En 1969, une Constitution fut acceptée à Bâle-Ville par deux tiers des votants, mais refusée à Bâle-Campagne par 59% des voix. L’opinion s’était retournée principalement parce que Bâle-Campagne avait décidé d’améliorer son infrastructure.
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