Le niveau d’anglais des Suisses, bon ou mauvais? That’s the question!
Selon un classement mondial des compétences en anglais, la Suisse perd de plus en plus de terrain. Mais établir un classement linguistique précis est loin d’être simple.
La radiotélévision suisse romande RTSLien externe a récemment tiré la sonnette d’alarme: le niveau d’anglais de la population suisse serait en chute libre. Selon l’English Proficiency IndexLien externe, le niveau d’anglais régresse en Suisse pour la quatrième année consécutive, le pays passant de la 25e place en 2021 à la 30e cette année, sur 113 pays pris en compte.
La question de savoir si un recul de cinq places équivaut à une chute libre peut être débattue. Toutefois, dans une Suisse multilingue et fortement mondialisée, une baisse de la maîtrise de l’anglais peut surprendre. Que se passe-t-il?
Le classement cité par la RTS est publié chaque année par l’école de langues EF, qui a son siège à Zurich. Basé sur les résultats d’environ 2,2 millions de tests d’anglais en ligne, l’EF EPI classe les pays, les villes et les régions: en tête de liste figurent, dans l’ordre, les Pays-Bas, Singapour et l’Autriche, tandis que le Yémen, le Tadjikistan et la République démocratique du Congo sont en queue de peloton.
La Suisse se classe juste derrière Hong Kong et devant le Honduras, à la frontière entre les catégories «compétence élevée» et «compétence moyenne». Maigre consolation, la Confédération devance la France et l’Italie.
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Échantillon limité
Toutefois, en tant que moyen de comparaison internationale générale, le classement est discutable. Ce qu’il gagne grâce à un vaste ensemble de données, il le perd en représentativité: les scores sont basés sur des millions de réponses au test d’anglais en ligne gratuit d’EF, auquel «seules les personnes qui veulent apprendre l’anglais ou qui sont curieuses de connaître leurs compétences en anglais participent», écrit l’entreprise.
Cette autosélection entraîne une distorsion potentielle des résultats aux deux extrémités de l’échelle. Dans les régions les plus pauvres du monde, «les personnes sans connexion Internet seraient automatiquement exclues». Dans la Suisse hyperconnectée et hautement qualifiée, de nombreuses personnes parlant couramment l’anglais ou comme langue maternelle sont aussi susceptibles d’être exclues de l’échantillon.
Par ailleurs, l’âge médian des personnes interrogées dans le monde est de 26 ans et près de 90% d’entre elles ont moins de 35 ans. En Suisse, toutefois, plus de la moitié de la population a plus de 40 ans.
Laurent Morel, directeur national d’EF pour la Suisse romande, affirme que si les résultats «ne sont pas représentatifs du pays dans son ensemble», ils donnent une bonne image de ceux qui veulent ou doivent améliorer leur anglais.
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La méthodologie du rapport – qui existe depuis 13 éditions – est restée constante, précise-t-il. Cela signifie que l’éventail «organique» des personnes qui passent le test devrait également être relativement stable au fil du temps, et que les tendances émergentes sont valables.
Laurent Morel cite notamment la baisse des scores des jeunes ces dernières années, qui a coïncidé avec la pandémie de Covid-19 et les fermetures d’écoles. Le responsable d’EF souligne également les différences de résultats entre la Suisse alémanique et la Suisse romande, ce qui correspond à l’impression de beaucoup de gens que l’anglais est meilleur à Bâle qu’à Lausanne, par exemple.
Cela est d’autant plus logique que le niveau d’anglais est plus élevé dans les écoles des cantons alémaniques, alors que les écoles francophones essaient de promouvoir l’allemand en même temps que l’anglais.
Tout de même intéressant
Pour autant, Laurent Morel et EF estiment que le classement a ses mérites. «Il n’existe aucun autre ensemble de données de taille et de portée comparables, écrit EF. Malgré ses limites, nous pensons, à l’instar de nombreux décideurs politiques, universitaires et analystes, qu’il s’agit d’un point de référence précieux dans le débat mondial sur l’enseignement de l’anglais».
Et malgré les quelques réserves, le rapport parvient à attirer l’attention, du moins dans les médias. Le magazine The Economist avait qualifié les résultats de 2018 d’«intéressants, même si pas totalement scientifiques».
Cet été, un articleLien externe très commenté du journal dominical SonntagsZeitung a utilisé le classement comme point de départ pour explorer les causes du déclin apparent de la maîtrise de l’anglais dans le pays. Par exemple, la concurrence d’autres langues parlées et la tendance suisse à doubler – plutôt qu’à sous-titrer – les films en anglais. Quoique l’article relativise l’importance de ce dernier point, étant donné que l’Autriche fait la même chose, mais se retrouve néanmoins 2e du classement.
L’article de la RTS s’est également lancé dans la spéculation et a demandé à des enseignants du secondaire si le niveau avait baissé: aucun d’entre eux n’a déclaré avoir remarqué une tendance dans ce sens.
Classement PISA
Toutefois, si le classement d’EF n’est pas totalement irréprochable au plan scientifique, il est difficile de trouver d’autres classements et les évaluations sont souvent anecdotiques ou de portée limitée.
Lors d’une interview en 2022, la directrice du centre de langues de l’Université de Zurich déclarait que la maîtrise de l’anglais en Suisse s’était «fortement améliorée», d’après ses observations parmi les étudiantes et étudiants qui suivent les cours du centre.
Beat Schwendimann, de la Fédération suisse des enseignantes et des enseignants, se réfère pour sa part à l’étude PISA de l’OCDE, dans laquelle les élèves suisses ont été classés 16e sur 35 pays en ce qui concerne les compétences en anglais en 2018.
Quant à savoir s’il y aura une diminution des compétences, Beat Schwendimann souhaite attendre les résultats de la prochaine étude PISA, qui seront publiés en décembre. L’enquête PISA prévoit également de lancer une nouvelle évaluation des langues étrangères, afin d’obtenir encore plus de données sur la maîtrise de l’anglais dans le monde, mais seulement en 2025 et avec des données limitées aux adolescents.
La nouvelle lingua franca
Bien ou moins bien parlé, l’anglais est très répandu en Suisse. Il a remplacé le français comme deuxième langue la plus parlée après l’allemand sur le lieu de travail et, de nos jours, il n’est pas rare d’entendre des Suisses alémaniques et des Suisses romands discuter en anglais, ce qui suscite des débats sur l’identité nationale, la cohésion et la politique de l’éducation.
En mars dernier, après la fusion spectaculaire de Credit Suisse et d’UBS orchestrée par l’État, les journalistes bernois ont même eu droit au spectacle de ministres du gouvernement lisant des déclarations et répondant à des questions en anglais – du jamais vu lors d’une conférence de presse politique nationale en Suisse.
Traduit de l’anglais par Olivier Pauchard
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