Les abeilles se meurent, l’apiculture s’organise
En Suisse, comme en Europe, les abeilles sont malades et meurent en grand nombre. Au grand dam des apiculteurs et des autorités, qui sont inquiets des conséquences sur la chaîne alimentaire et cherchent une parade. Un service sanitaire apicole pourrait voir le jour.
L’apiculture est surtout un hobby en Suisse. La maladie mortelle qui frappe les abeilles a eu le mérite de mettre sur le tapis la question d’une forme de professionnalisation de l’apiculture, un secteur d’activité qui reste très dispersé.
Conduit par l’Office fédéral de l’agriculture, un groupe de travail a planché sur les moyens de promouvoir l’apiculture.
Ses propositions, qui viennent en réponse à une motion parlementaire, supposent notamment que les apiculteurs se réorganisent afin de pouvoir parler d’une même voix, souligne Jean-Daniel Charrière, collaborateur scientifique à la station fédérale de recherches Agroscope Liebefeld-Posieux (ALP).
Recensements plus efficaces
Les propositions du groupe de travail, qui seront publiées en juin, n’envisagent pas de paiements directs aux apiculteurs. En revanche, elles prévoient une aide à la vulgarisation sous la forme de cours destinés à améliorer les connaissances des apiculteurs. Elles suggèrent aussi un soutien à l’élevage de reines.
Mieux, un service sanitaire apicole pourrait voir le jour. Il s’agirait d’une structure gérée par les associations apicoles – un système comparable à celui pour les animaux de rente, précise Jean-Daniel Charrière. Le groupe demande aussi des effectifs accrus pour le Centre de recherches apicoles (CRA).
Il sera ainsi possible de procéder à des recensements plus efficaces et de disposer de statistiques plus précises pour toute la Suisse, reconnaît William Schneeberger, qui a représenté la Suisse romande dans le groupe et était jusqu’à la fin 2007 président de la Fédération des sociétés suisses d’apiculture (FSSA).
Un danger pour la pollinisation
Ces mesures devraient aider à faire face au problème de l’hécatombe d’abeilles. Car ce sont environ 20% de ces insectes qui n’auraient pas survécu à l’hiver dernier en Suisse. Pour les experts, 10% de pertes de colonies sont considérées comme «normales», mais 20% et plus sont préoccupantes. Depuis 2002 surtout, les mortalités d’abeilles au sortir de l’hivernage sont anormalement élevées.
Ces pertes se répercutent certes sur les revenus des apiculteurs suisses. Mais, explique William Schneeberger, le danger serait que cette tendance s’amplifie et entraîne par conséquent de graves problèmes pour l’écologie et la pollinisation.
Plus de 80% des espèces de plantes à fleurs dans le monde et 80% des espèces cultivées en Europe dépendent directement de la pollinisation par les insectes – des abeilles pour l’essentiel. Celles-ci jouent également un rôle fondamental dans les cultures de fruits et de légumes.
Comme le dit l’ALP, «chaque troisième bouchée que l’humanité avale dépend de la pollinisation», c’est-à-dire des insectes. Si les pertes de colonies d’abeilles devaient s’aggraver, cela signifierait pour l’humanité une profonde altération de la diversité alimentaire.
Un virus mis sur la sellette
Depuis quelques années, les mortalités hivernales des abeilles ont ceci de particulier que les pertes sont très étendues géographiquement (toute l’Europe est touchée) et qu’elles se produisent de manière répétée. Mais il est difficile de dégager une cause unique à ce phénomène.
Les maladies des abeilles sont néamoins pointées du doigt. Il semble en effet que «le varroa est la raison principale des pertes hivernales», déclare Jean-Daniel Charrière. Cet agent pathogène s’attaque au sang de l’abeille, dont il affaiblit le système immunitaire. Il est aussi vecteur de virus.
D’autres facteurs sont généralement évoqués: l’élevage d’abeilles trop intensif, l’utilisation de pesticides, le manque de nourriture pour les abeilles, le déplacement des ruches, le rayonnement de la téléphonie mobile, la culture d’organismes génétiquement modifiés, le manque de relève parmi les apiculteurs.
Mais tant William Schneeberger que Jean-Daniel Charrière doutent qu’il s’agisse là de causes déterminantes en Suisse. Selon le collaborateur de l’ALP, «la probabilité que ce sont des causes centrales est très faible».
Intensification de la recherche apicole
D’où l’importance de la recherche et de la collaboration entre scientifiques. Créé en 2006, le groupe de recherche international Coloss (de l’anglais «Prevention of Honeybee Colony Losses») réunit des instituts de recherche, soit 104 chercheurs de 28 pays d’Europe et des Etats-Unis. Le CRA coordonne le groupe.
Coloss se propose tout d’abord de mettre sur pied un système de recensement fiable des pertes de colonies d’abeilles dans chaque pays. Ses recherches s’attachent à trouver les causes de ces pertes, d’une part du côté des pathologies (virus, bactéries), d’autre part du côté de l’environnement (le manque de pollens, de nectars, la téléphonie mobile, les pesticides, les OGM etc.). Le groupe étudie aussi les moyens de renforcer les résistances de l’abeille par la sélection.
Il reste à espérer que la science et la politique trouveront les moyens d’enrayer la mort des abeilles. Car comme l’aurait dit Albert Einstein: «Si l’abeille venait à disparaître, l’homme n’aurait plus que quelques années à vivre.»
swissinfo, Catherine Vuffray
On compte aujourd’hui quelque 19’000 apiculteurs en Suisse (en 1900 ils étaient 45’000, soit plus du double), qui exploitent environ 190’000 colonies d’abeilles.
La valeur commerciale totale des produits de l’apiculture (miel, pollen et cire) atteignait en 2003 64,7 millions de francs.
Les prestations de pollinisation, indispensables notamment aux cultures fruitières, à la production de semences et au maintien de la biodiversité, ne sont pas comprises dans ce chiffre.
En 2003, l’Agroscope Liebefeld-Posieux estimait l’utilité économique de ces prestations à 268 millions de francs.
Les autorités allemandes ont annoncé à la mi-mai que près de 30% des colonies d’abeilles d’outre-Rhin n’avaient pas survécu à l’hiver.
Parmi les raisons de l’hécatombe, l’insecticide Clothianidin a été mis en cause. Utilisé pour le traitement des semences, du maïs en particulier, il comporte effectivement le risque que des poussières se dégagent et contaminent les plantes et fleurs situées à proximité. Les abeilles seraient ainsi intoxiquées.
Cet insecticide est autorisé en Suisse mais il est peu utilisé (5% des surfaces de maïs), précise Jean-Daniel Charrière en ajoutant qu’aucun cas d’intoxication n’est connu dans notre pays. Selon lui, il s’agit d’un «cas ponctuel et localisé» en Allemagne.
L’Office fédéral de l’agriculture a reçu le mandat de réunir un groupe de travail pour répondre à la motion Gadient. Celle-ci, déposée le 16 décembre 2004 par la députée grisonne, vise à ce que des mesures destinées à promouvoir l’apiculture en Suisse soient prises.
Le premier point de la motion (ancrer l’apiculture dans la loi sur l’agriculture) est déjà réalisé.
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