Quand les sorcières étaient torturées et brulées
En Suisse, 5000 personnes ont été jugées pour sorcellerie jusqu’en 1782. Deux tiers ont péri sur le bûcher après avoir avoué sous la torture un pacte avec le Diable: c’est le thème d'une exposition au Château de Chillon sur les rives du lac Léman.
Un nez crochu sous un chapeau pointu, assise à califourchon sur un manche à balai, c’est ainsi que l’imagerie populaire dépeint les sorcières du Moyen-Age. Elles atteindraient le chiffre de 100’000 dans l’Europe entière, hommes et femmes confondus, même si ces dernières formaient la majorité du bataillon, à près de 70%. A travers la figure d’Eve, la femme est perçue comme une grande pécheresse, source de tous les désordres…
Au-delà de la caricature qui banalise le drame de ces victimes de l’ignorance et du sadisme des juges – aussi bien laïcs que religieux, catholiques que réformés -, l’accusation pouvait peser sur tout un chacun, assurent les organisateurs de «La chasse aux sorcières dans le Pays de Vaud».
La mode de l’estrapade
A la sortie de l’exposition, ils ont placé un miroir où le visiteur peut s’imaginer brûler vif sur un bûcher, après avoir subi le supplice de l’estrapade, le mode de torture le plus utilisé au XVe siècle.
La victime dont on cherche à obtenir les aveux «spontanés »est suspendue par les mains, les bras attachés dans le dos et les pieds lestés de poids qui augmentent au fur et à mesure de l’interrogatoire: 25 kg, 50 kg, 75 kg… Il est permis de répéter chaque degré de tortures à trois reprises jusqu’à ce que l’accusé se décide à avouer, brisé par la douleur due à la désarticulation des membres ou à la fracture de la clavicule ou des omoplates.
Après chaque séance, l’inculpé est ramené dans la salle du procès et doit réitérer ses aveux. S’il se contredit, il est ramené à son bourreau: «Cela pouvait être n’importe qui, à n’importe quel âge. Ils devaient avouer les noms des complices qui avaient aussi signé un pacte avec le diable, participé au sabbat ou mangé des enfants», commente Marta dos Santos, la directrice adjointe de Chillon.
Autant de nouveaux candidats à l’estrapade, une chaîne sans fin… On a même passé à la question des fillettes de 9 et 12 ans. La «question» permettait de «libérer» l’accusé de l’emprise du démon, comme l’a longtemps justifié l’Eglise catholique. Dès 1252, Rome l’a reconnue comme un moyen légal d’obtenir des aveux: l’accusé s’est engagé par serment à dire la vérité, les aveux sont donc jugés vrais et véridiques. La Réforme n’a pas mis fin aux procès de sorcellerie, mais ce sont les juges laïcs qui ont adopté la procédure inquisitoire.
La «marque du diable»
A partir du XVIe siècle, une nouveauté est introduite: en plus des aveux, les juges recherchent la «marque du diable» sur le corps du suspect, et plus souvent de la suspecte. Elle a lieu au début de la procédure comme une étape préliminaire à la torture.
Déshabillé, généralement rasé sur tout le corps, l’accusé(e) est livré à une personne experte (bourreau, chirurgien, barbier ou sage-femme) chargée de la «sonder» en piquant avec une longue aiguille les différentes parties de son corps, souvent les plus intimes, comme le relatent des gravures de l’époque.
La marque diabolique peut être une tache de vin, un simple grain de beauté, une verrue, une protubérance sur la peau, une particularité physique, voire même être totalement invisible: «En l’absence d’expression de douleur ou d’écoulement de sang, les experts concluent à l’existence d’une ou plusieurs marques d’origine diabolique», relève Martine Ostorero, la commissaire de l’exposition.
Selon ses études, cette pratique humiliante est pratiquée dès 1534, d’abord dans le Pays de Vaud et à Genève, des régions nouvellement réformées, ainsi qu’en Savoie et en Franche-Comté voisines. Les procès-verbaux en attestent: en 1651, Jeanne Tissot, de L’Isle, a été «visitée» pour voir si elle est marquée du diable; sa marque est trouvée sous le bras gauche après «avoir été bien éprouvée et sondée». La recherche de la marque du diable conduira au développement de tout un arsenal d’instruments, des aiguilles aux poinçons en passant par les pinces et rasoirs.
D’après les historiens, les années qui ont connu d’importants pics de répression correspondent souvent à des périodes de crises économiques, d’épidémies, de famines ou de guerres. Ainsi l’an 1599, durant lequel 74 personnes sont condamnées au bûcher dans le Pays de Vaud, est une année de peste.
On a parfois imputé aux sorciers d’avoir répandu la peste, de nuit, en enduisant les portes avec de la graisse donnée par Satan. En 1613, Lausanne va établir un guet supplémentaire de deux hommes pour écarter le danger provoqué par «les engraisseurs de nuit».
Il faudra attendre la République helvétique de 1798 pour mettre fin au recours à la question. La dernière sorcière de Suisse, la servante Anna Göldi, a été décapitée en 1782. Une procédure de réhabilitation menée par le canton de Glaris, l’a innocentée en août 2008. Il était temps.
«La Chasse aux sorcières dans le Pays de Vaud, XVe au VIIe siècle», exposition temporaire au Château de Chillon, du 9 septembre au 24 juin 2012
Ils ou elles s’appelaient Jeanne Tissot (L’Isle), Jean Rollier (Villars-Tiercelin), Jeannette Vincent (Dommartin), Perronet Mercier (Grandson), Pierre Munier (Corsier), Blaise Morel (L’Isle), Pierrette Clerc (Crissier), Catherine Jacquet (Gollion), François Magnin (Lavaux), Pierre Ruvinaz (Brent), Françoise Gilliéron (Sugnens), Marie et Elisabeth Epars (Gollion), François Guyot (Gollion), Antoine Bron (La Chiésaz), Jean Durier (Orbe), Suzanne Vuagnion (Gollion), Pierre Barbey (Orbe), Guillaume Girod (Henniez), Claude Rolier (Villars-Tiercelin), Mermet Baud (Romanel)…
Dans le seul canton de Vaud, 3000 personnes ont été traduites en justice pour sorcellerie et 2000 exécutées publiquement. C’est l’un des plus forts taux d’exécutions capitales en Suisse (66%).
Six vagues de répression se sont succédé de 1438 à 1528, touchant la Riviera, le Nord vaudois, la Broye et le Gros-de-Vaud, ainsi que la Savoie.
Exécutés à Chillon
Entre 1595 et 1601, une importante chasse aux sorcières a eu lieu dans le baillage de Chillon (châtellenies de Vevey, La Tour-de-Peilz, Chillon (Montreux) et Villeneuve.
Elle a eu lieu sous la houlette du bailli et capitaine de Chillon, Nicolas de Watteville, un aristocrate bernois qui a résidé dans la forteresse de 1595 à 1601.
Sous son règne, 40 personnes – dont 35 femmes – seront exécutées à Chillon, Vevey et La Tour-de-Peilz.
Son livre de comptes compile tous les frais engendrés par les procès: salaire du bourreau qui se déplace de Moudon et passe la nuit chez l’aubergiste Jörg Dhänniger à Vevey, coûts des repas pris par les juges, coûts de la paille et du bois pour le bûcher, ainsi que des échelles sur lesquelles étaient attachés les condamné(e)s.
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