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Sur les traces des chasseurs de cristaux

4 personnes travaillant sur une fouille archéologique au sommet d une montagne
Il y a des milliers d'années, des chasseurs-cueilleurs s'asseyaient ici dans les Alpes suisses et façonnaient le cristal de roche pour en faire des outils. Ces archéologues suivent leurs traces. swissinfo.ch/Susan Misicka

Dans les Alpes suisses, des archéologues étudient une mine unique en son genre, dont l’exploitation a débuté environ 8000 ans avant Jésus-Christ. Des fragments de cristaux de roche fournissent des indices sur la façon dont les chasseurs-cueilleurs travaillaient sur ce site préhistorique d’extraction de minéraux, le seul connu de la région. Notre reporter a suivi les fouilles. Le projet, d’une durée de trois ans, se terminera en décembre prochain.

Nos crampons crissent sur ce qui reste du glacier de Brunnifirn, dans le canton d’Uri, en Suisse centrale. Lorsque nous marquons une pause, nous entendons la glace fondre sous nos pieds. En fin d’été, le paysage ressemble à une cuvette de vieille neige, entourée de sommets dénudés et dentelés.

À l’âge de pierre, les chasseurs-cueilleurs parcouraient les Alpes en quête de cristaux. Cela peut sembler New Age, mais leur mission n’avait rien de spirituel ou de mystique. Ces artisans préhistoriques étaient à la recherche de trésors scintillants à transformer en pointes de flèches, lames, alènes et autres outils.

L’archéologue indépendant Marcel Cornelissen, homme jovial de 45 ans passionné de sports de montagne, suit les traces de ces mineurs depuis des années. Son travail sur le terrain est conditionné à l’ouverture de brèves fenêtres d’opportunité, dictées par la saison, la couverture neigeuse et la météo.

La première expédition a eu lieu en septembre 2020. Avec le recul du glacier, un cristallier des temps modernes a repéré le site alors qu’il était à la recherche de minéraux. L’homme y a découvert des éclats de cristaux, deux bois de cervidé et des restes de bois.

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Des restes de bois et des cornes à 2831 mètres d’altitude: n’est-ce pas une altitude inhospitalière pour la plupart des végétaux et des animaux? Les archéologues comme Marcel Cornelissen dépendent des indications de la population, surtout dans les régions reculées.

L’un des morceaux de bois de cervidé s’est désintégré lors du dégel, mais les spécialistes ont pu dater par radiocarbone l’autre fragment à 6000 ans avant Jésus-Christ. Il s’agit de la plus ancienne découverte de ce type conservée dans la glace des Alpes, bien plus ancienne qu’Ötzi, la momie d’un homme décédé dans les Alpes du nord de l’Italie environ 3200 ans avant Jésus-Christ, qui avait été retrouvée en 1991.

Les marques sur le bois de cervidé suggèrent qu’il a pu être utilisé pour extraire le cristal de quartz. Selon l’institut de recherche Cultures des Alpes, qui a mandaté le projet dirigé par Marcel Cornelissen, c’est le seul site d’extraction de cristaux de roche préhistorique, connu dans la région du Saint-Gothard. D’autres sites ont été découverts à une centaine de kilomètres au sud-ouest, dans les vallées du Simplon et du Binntal, dans le canton du Valais.

Les fouilles

Un matin de septembre, Marcel Cornelissen devient lui-même mineur. C’est la troisième fois qu’il se rend sur le glacier de Brunnifirn à la recherche d’artefacts. Il espère d’autres découvertes avant la clôture du projet, fin décembre. Ses recherches indiquent que l’exploitation minière du site remonte à 8000 ans avant Jésus-Christ.

«Ce serait bien de trouver quelques pièces supplémentaires pour en être vraiment sûr, confie-il. J’espère aussi que nous aurons suffisamment de matériel au final pour obtenir une meilleure image de la façon dont les gens travaillaient.»

Ses trois collègues fouillent une petite parcelle au sommet d’une colline rocheuse, surplombant le glacier. Dépourvue de neige, la surface mesure environ six mètres carrés. L’espace étant restreint, je me tiens à l’écart, perchée sur une grosse pierre dont le dessous est couvert de petits cristaux de quartz fumé – si pointus qu’ils ensanglantent mes doigts, mais si fins que je ne ressens aucune douleur.

Les premiers travaux d’excavation sont cependant tout sauf délicats. Pour dégager l’espace, Annina Krüttli et les autres archéologues jettent des pierres et des blocs en bas de la colline. Leurs bêches et leurs truelles creusent bruyamment, heurtant les rochers.

Annina Krüttli marque une pause pour expliquer la stratégie: «Ce que nous voulons faire, c’est atteindre la terre, car, pour l’heure, nous ne faisons que trier des tas de roches. Nous pourrions faire des découvertes à la surface vraiment intéressantes. Nous allons donc enlever les cinq centimètres supérieurs et mettre tout cela dans des sacs que nous ferons descendre lors de notre départ.»

Lorsque l’équipe aura terminé son travail, un hélicoptère viendra charger la soixantaine de sacs et les transportera jusqu’au village de Sedrun, où des voitures les attendront pour les conduire plus loin. Les robustes sacs en plastique sont en fait des sacs poubelles, qui semblent bien trop ordinaires pour y recueillir des objets potentiellement précieux. Mais, selon Marcel Cornelissen, ils sont idéaux: «C’est ce que les gens ont laissé derrière eux. C’est ce qu’ils ne voulaient pas, et c’est ce que nous prenons.»

Ces objets étaient peut-être des «déchets» aux yeux de ces ingénieurs primitifs, mais ils recèlent une certaine beauté. Marcel Cornelissen me montre un fragment de cristal qui vient d’être découvert: vaguement triangulaire, et selon l’expert, clairement sculpté par un humain.

«Ce n’est pas un outil. Ce sont des déchets, les restes du processus de production», précise-t-il. Sa forme correspond à celle de découvertes similaires faites sur d’autres sites suisses, datées de 8000 ans. Et il se pourrait bien que ce soit la dernière fois qu’une personne l’ait tenu.

«Il n’y avait pas de fermes, pas d’églises, pas de constructions permanentes, mais ces personnes étaient là pour extraire le cristal de roche», souligne Marcel Cornelissen. Cela fait beaucoup de matériel à emporter quand on compare leurs restes aux détritus modernes tels que les emballages de bonbons et les bouteilles en plastique.

Homme tenant un cristal triangulaire
L’archéologue Marcel Cornelissen tenant des déchets de fabrication laissés sur place il y a près de 8000 ans. swissinfo.ch / Susan Misicka

L’archéologue scelle le fragment de cristal dans un sac transparent, avec une note signalant l’endroit exact de sa découverte. Il fera de même pour les meilleures découvertes des deux prochains jours. Les autres artefacts et la terre finiront dans les sacs à ordures noirs, eux aussi soigneusement étiquetés.

Le temps et le terrain

Le soleil se couche et la température baisse: il est temps pour nous de plier bagage. Après avoir enfilé nos crampons à glace, nous nous encordons. L’eau de fonte bouillonne sous nos pieds. C’est un bruit amusant, mais aussi un rappel de la façon dont le paysage change. Entre 1973 et 2010, le Brunnifirn a perdu près d’un quart de sa surface, reculant de 3,02 km² à 2,31 km². De l’autre côté du glacier, le dîner et les lits superposés nous attendent à la cabane Cavardiras, à 2649 mètres.

Un homme chausse des crampons; une équipe de cordistes traverse un glacier.
Cornelissen chausse ses crampons (à gauche) avant de mener l’équipe à travers le glacier au coucher du soleil. swissinfo.ch / Susan Misicka

Les chasseurs de cristaux dormaient-ils ici aussi? Marcel Cornelissen en est convaincu, au vu des outils trouvés à proximité – des outils simples qu’ils ont probablement fabriqués sur place pour les utiliser durant quelques jours.

«Les chasseurs de cristaux n’étaient pas là juste pour une heure ou deux, pour emporter quelques cristaux. Non, ils ont probablement installé un campement, peut-être passé la nuit à réparer du matériel ou un pantalon et pris rapidement une collation avant de repartir le lendemain», explique Marcel Cornelissen.

La compréhension du cycle saisonnier d’extraction des cristaux pourrait nous éclairer sur la façon dont les humains se déplaçaient dans le paysage à l’époque. Une excursion en montagne faisait peut-être partie d’une expédition de chasse à travers le pays. Le cristal de quartz avait sans doute un certain prestige, comme aux yeux des collectionneurs de minéraux aujourd’hui. Ce ne sont toutefois que des suppositions. En tous les cas, la zone est dépourvue de silex, matière de prédilection utilisée pour la fabrication des outils préhistoriques.

Le lendemain matin, je dois rentrer, tout comme l’archéologue Christian Auf der Maur, même s’il souhaiterait poursuivre les fouilles. Grand et au pied sûr, il propose de m’accompagner sur ce parcours alpin difficile. Lequel débute par de la neige, des pierres et des pentes raides avant d’atteindre le sommet, puis de descendre dans un écrin de verdure parsemé de fleurs alpines et de myrtilles. La randonnée dure plusieurs heures: une excellente occasion de parler des fouilles.

Comment lui et ses collègues gèrent-ils les limites imposées par le temps et le terrain pour leurs recherches? Après tout, il se peut que d’incroyables artefacts attendent encore d’être mis au jour à quelques coups de truelle.

«C’est la vie des archéologues. Lorsque vous effectuez des fouilles, vous devez laisser derrière vous des objets presque à chaque fois. Il faut vivre avec cela et essayer de rapporter le maximum de données et de découvertes au laboratoire», déclare Christian Auf der Maur, qui travaille au service de la conservation des monuments et de l’archéologie du canton d’Uri. L’équipe espère avoir trouvé les plus importants objets lors de cette expédition. Avant que le projet ne s’achève à la fin de l’année, les archéologues auront eu quelques occasions supplémentaires d’explorer d’autres sites dans la région.

Le lavage et le tri

Deux mois plus tard, Marcel Cornelissen m’accueille devant un entrepôt, en Suisse orientale. Il a troqué son équipement de montagne pour des gants en caoutchouc et un tablier imperméable pour que lui et Annina Krüttli puissent passer au crible les 976 kilos de terre, de roche et de cristaux récoltés à Brunnifirn. Il est maintenant temps que le butin prenne une douche.

Lorsque l’eau jaillit et que les mottes de terre sont enlevées, des pierres commencent à scintiller, tout comme les yeux de Marcel Cornelissen en découvrant des formes prometteuses. S’ensuit la tâche minutieuse de trier à la main chaque pièce. Cela représente des heures passées accroupis au-dessus d’une bâche à trier les minéraux humides, à placer les «bons» cristaux sur des plateaux et à vider les seaux remplis de déchets.

Annina Krüttli emmène ensuite les pièces potentiellement précieuses dans l’entrepôt et les place sur des claies de séchage, tout en conservant l’indication du lieu où elles ont été trouvées. La documentation méticuleuse produite sur le site de fouille porte ses fruits. Si les découvertes le méritent, ces notes permettront de revisiter des endroits précis pour recueillir d’autres indices. Même si des découvertes individuelles incroyables n’ont pas été faites lors de cette dernière expédition, la valeur archéologique de la collection est énorme.

«Si nous imaginons avoir 50’000 de ces petits fragments, tous analysés, vous avez la force des chiffres avec vous», relève Annina Krüttli, tout en vérifiant si certains plateaux sont suffisamment secs pour être scellés dans des bacs de stockage. «C’est ainsi que vous pouvez réellement vous prononcer sur des fragments individuels qui pourraient sembler quelque peu insignifiants.» Des données suffisantes permettront de replacer les découvertes dans un contexte plus large, autant culturel et historique qu’environnemental. Chaque fragment constitue une pièce de puzzle qui relie le passé au présent. 

C’est cette intime conviction qui insuffle du courage aux chercheuses et chercheurs pendant les heures de travail manuel épuisant, nécessaires pour avoir une idée plus précise de leurs découvertes. Lorsque l’équipe aura terminé cette tâche, trois jours plus tard, les quelque 300 kilos d’artefacts conservés rejoindront la cave privée de Marcel Cornelissen, dans la banlieue de Berne. 

L’inspection 

En août 2021, Marcel Cornelissen m’invite chez lui, où sont également entreposés des artefacts issus de précédents projets de recherche. Devant sa porte d’entrée, une paire de sabots en bois rappelle ses racines néerlandaises. À l’intérieur, de solides boîtes en plastique regorgent de liens potentiels avec nos ancêtres communs ayant parcouru les Alpes entre 9500 et 5500 avant J.-C.

Marcel Cornelissen dépose quelques poignées de quartz, de cristal et de granit sur la table de la cuisine. Équipé d’une pince à épiler, d’une bonne lumière, d’une loupe et d’un instrument de mesure, le chercheur examine son butin. «Celui-là est bon: il va dans la pile des artefacts. Et celui-là? Probablement dans la pile des ‘peut-être’», dit-il en parcourant les pièces. 

Un homme trie des fragments de roche à la pince à épiler
Seule une fraction des fragments présentera un intérêt archéologique. swissinfo.ch / Susan Misicka

Tel un bijoutier évaluant une pierre précieuse, il scrute un fragment de quartz de la taille d’une dent. Il le tourne vers la lumière et murmure, pensivement. Selon lui, il s’agit d’une partie d’une lame ou peut-être d’un outil ressemblant à un foret.

L’archéologue mesure et étiquette l’objet avant de le sceller dans un sac en plastique de la taille d’une paume de main et de saisir les données dans son ordinateur portable. Les colonnes sont remplies de notes sur le matériau, la forme, l’état et d’autres caractéristiques de chaque pièce. Quant au fragment en question, Marcel Cornelissen le rangera dans une boîte en plastique scellée, généralement utilisée pour stocker des leurres de pêche.

Il a disposé certaines de ses meilleures découvertes sur une feuille de papier noir, qui met en valeur les contours formés par des mains habiles voici plusieurs milliers d’années. Alors que j’essaie de comprendre leur signification, je me souviens d’une remarque faite par Annina Krüttli lors du lavage de pierres à l’extérieur de l’entrepôt.

«D’origine, ces cristaux devaient être énormes pour que les chasseurs-cueilleurs puissent fabriquer suffisamment d’outils. Il faut beaucoup, beaucoup plus de temps que la période qui s’est écoulée entre leur présence et notre arrivée pour que les cristaux croissent, avait-elle souligné. J’ai donc cette image d’eux assis derrière un rocher se moquant de nous, parce que nous sommes arrivés juste un peu trop tard.»

Des millénaires à de simples mois et années: le travail des archéologues sur les traces de ces chasseurs de cristaux préhistoriques ne s’achèvera peut-être jamais. Mais, grâce à leurs fiches détaillées et à leurs artefacts soigneusement étiquetés, ces spécialistes ouvrent la voie à de futures recherches sur cette tranche de l’histoire humaine.

Des outils simples en cristal de roche
Outils en cristal de roche fabriqués sur place à l’Untere Stremlücke: (a) forets, (b) grattoir, (c) pointe de projectile, (d) possibles pointes de projectile. / F. X. Brun


Que faire en cas de découverte?

A la faveur de la fonte des glaces, des vestiges archéologiques sont découverts dans des sites auparavant gelés. Ils datent de toutes les époques, de l’âge de pierre au 20e siècle. Ces objets nous livrent un aperçu fascinant du passé. Ceux composés de matériaux organiques tels que le bois, le cuir, la fourrure, les textiles ou les bois d’animaux survivent rarement, hormis dans la glace et le pergélisol. Mais ils se décomposent rapidement après le dégel.

Si vous découvrez des objets dans de la glace ou aux alentours en Suisse, prenez-les en photo et soumettez les clichés aux autorités locales, lesquelles peuvent envoyer des archéologues pour sauver le matériel. Dessinez l’emplacement de la découverte sur une carte ou notez les coordonnées du site, puis marquez ce dernier. Ne ramassez les objets qu’en cas de menace immédiate de destruction ou si l’endroit ne peut être retrouvé. 

Pour plus d’informations sur l’archéologie glaciaire et les autorités locales, consultez le site https://alparch.chLien externe. 

Edité par Nerys Avery et Sabrina Weiss, traduit de l’anglais par Zélie Schaller

Zélie Schaller

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