Un euro vaudra désormais au moins 1,20 franc suisse
La Banque nationale suisse (BNS) a pris mardi une mesure historique contre l’appréciation du franc, qui pèse tant sur les entreprises exportatrices. Elle a décidé de fixer un taux plancher de 1,20 franc pour un euro. Une décision unanimement saluée par la classe politique et les experts.
La Banque nationale suisse (BNS) ne tolérera plus un cours inférieur sur le marché, a-t-elle annoncé mardi dans un communiqué. Elle fera prévaloir ce plancher «avec toute la détermination requise» et est prête à acheter des devises en quantité illimitée. La BNS recourt ainsi à une mesure extrêmement rare, qu’elle n’avait utilisé qu’une seule fois en 1978 pour enrayer l’appréciation du franc contre le Deutsche Mark.
L’institut d’émission monétaire juge que la surévaluation actuelle du franc est extrême et constitue une grave menace pour l’économie suisse. Le phénomène recèle même le risque de développements déflationnistes.
L’effet de cette annonce n’a pas tardé à se traduire sur les marchés: l’euro a grimpé en un éclair jusqu’à 1,2161 franc, alors que lundi encore il valait à peine plus de 1,10 franc. Peu avant midi, il s’échangeait à 1,2027 franc.
Montée en puissance
La BNS, qui vise un affaiblissement «substantiel et durable» de la monnaie helvétique, concède qu’à 1,20 franc pour un euro, son niveau reste élevé. Elle prévient donc d’ores et déjà qu’elle prendra des mesures supplémentaires si les perspectives économiques et les risques de déflation l’exigent.
Il s’agit donc d’une montée en puissance dans la stratégie de la BNS, qui avait annoncé en août plusieurs injections de liquidités dans le circuit économique. Ces actions devaient mettre la pression à la baisse sur les taux d’intérêt, afin d’affaiblir le franc.
Elles semblaient porter leurs fruits dans un premier temps. Après avoir frôlé la parité avec l’euro le 9 août, le franc s’était ensuite régulièrement affaibli, abandonnant près de 20% face à l’euro. Mais depuis mardi passé, il se renforçait à nouveau.
A bout de souffle
De quoi décourager les entreprises suisses dont la rentabilité est affectée par l’impact des devises et qui luttent depuis des mois pour résister. Les exportations et le produit intérieur brut (PIB) ont maintenu une tendance à la hausse jusqu’en juin, mais l’essoufflement était devenu évident à partir de juillet et août.
L’industrie et le tourisme souffrent particulièrement, avec le spectre de chiffres rouges qui se dessine pour certains. L’inquiétude est d’autant plus grande que les perspectives de la conjoncture mondiale sont sombre, tant du côté de l’économie américaine que de la crise de la dette européenne.
Les économistes prévoient que la croissance s’effritera ces prochains trimestres jusqu’à devenir nulle, et l’hypothèse d’une possible récession en Suisse l’an prochain n’est plus un tabou. Les syndicats ont, quant à eux, de grandes craintes pour l’emploi.
Mesure réclamée et saluée
Comme les précédentes mesures de la BNS – pourtant drastiques – n’avaient pas suffi à enrayer la spirale infernale, la fixation d’un taux plancher est de nature à contenter les acteurs économiques et politiques qui étaient nombreux à la réclamer. Le niveau choisi, à 1,20 franc pour un euro, est certes inférieur au taux de change dont rêveraient les entreprises suisses. Selon les experts, le cours idéal s’inscrirait aux alentours de 1,30 franc, mais 1,20 franc est déjà moins désastreux que la parité.
L’intervention de la BNS a été saluée unanimement par la classe politique. «Je suis satisfait que le pas ait été franchi», a déclaré le ministre de l’Economie Johann Schneider-Ammann, soulignant que cette décision apportait sécurité et allégement.
Pour le Parti socialiste (PS), le fait que la BNS est prête à acheter des devises en quantité illimitée est un signal sans équivoque contre les spéculations sur un franc «absurdement surévalué». L’Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice) attend de la banque centrale qu’elle poursuive de manière conséquente l’objectif qu’elle s’est fixé.
Le Parti démocrate-chrétien (PDC / centre-droit) apporte aussi son soutien à la BNS, estimant qu’il s’agit de soigner davantage les relations avec des pays qui connaissent des problèmes similaires à la Suisse, comme la Chine, le Canada, l’Australie ou le Brésil. Quant au Parti libéral-radical (PLR / droite), il était sceptique face à la fixation d’un cours plancher, rappelle le porte-parole Noé Blancpain. Mais le parti du ministre de l’Economie Johann Schneider-Ammann fait confiance à la décision de la BNS, institut indépendant.
«Une arme atomique»
Thomas Flury, spécialiste de la banque UBS, estime que la déclaration de la BNS devrait produire davantage d’effets que simplement inonder le marché de francs suisses. «Dessiner une ligne claire dans le sable est une décision plus facile à défendre que de vagues commentaires sans points de référence», a-t-il dit à swissinfo.ch.
Se référant aux pertes enregistrées par la BNS en 2009 et 2010 avec l’achat massif d’euros, Thomas Flury dit s’attendre à ce que la banque centrale mette à nouveau la main à la poche dans un proche avenir. «La BNS devra très probablement accompagner ses paroles d’argent afin de démontrer que lorsque l’euro s’affaiblit en raison de changements politiques, le franc peut également s’affaiblir».
Quant à Bernard Lambert, économiste à la banque Pictet, il a déclaré à l’AFP: «C’est l’arme atomique. La BNS peut imprimer autant de francs suisses qu’elle veut pour acheter de l’euro. C’est une mesure très forte.» Fixer un taux de change fait pourtant craindre à certains que les spéculateurs parient désormais contre la BNS. David Kohl, de la banque Julius Bär, dit avoir averti ses clients contre les dangers d’un tel jeu. «La BNS peut se défendre victorieusement contre une appréciation car elle peut imprimer autant d’argent qu’elle le désire», a-t-il affirmé.
De janvier à début août, le franc suisse a grimpé d’environ 26% face au dollar. Sur cette période, le franc s’est plus renforcé contre le dollar que contre l’euro.
Selon l’agence de presse financière Bloomberg, le franc a augmenté cette année de 19% contre un panier composé des monnaies de 9 autres pays développés.
L’envol du franc a commencé en 2010.
En temps de crise économique, le franc suisse est généralement considéré comme une valeur refuge par les investisseurs, à l’instar de l’or.
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