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Une collection suisse décriée aux USA

«J'aime la couleur» de Cheri Samba, 2003, Collection Jean Pigozzi. caacart.com

De Houston à Washington, une exposition de la collection Jean Pigozzi, consacrée à l'art contemporain africain, suscite enthousiasme et critiques.

Saluée par certains, elle est qualifiée de «néo-colonialiste» par d’autres.

L’exposition, intitulée «L’art africain aujourd’hui: chefs d’œuvre de la collection Jean Pigozzi», est un florilège de la collection de l’homme d’affaires suisse, héritier du fondateur de Simca.

Elle se conclut le 26 février au Musée National d’Art Africain à Washington, après être également passée par le Musée des Beaux-Arts de Houston, au Texas. Applaudie par certains, décriée par d’autres, elle n’a laissé personne indifférent.

Arty et people

«Une étourdissante explosion d’art», écrit notamment le quotidien le ‘Washington Times’. «Les nationalités des artistes, les thèmes et les médias qu’ils utilisent sont aussi variés que le continent africain lui-même, ce qui fait de cette exposition une exposition importante», explique le magazine le ‘Washingtonian’.

Avant l’arrivée de l’exposition à Washington, l’hebdomadaire anglais ‘The Economist’ avait même dépêché à Houston un critique qui évoquait «un régal pour les yeux». «Cette collection est une révélation», ajoutait The Economist.

Lors du vernissage à Washington, Michael Douglas et Catherine Zeta-Jones, amis de Jean Pigozzi, ont apporté une touche glamour à l’évènement. «Les pièces sont uniques et amusantes aussi», relevait Michael Douglas.

Voix critiques

Mais le vernissage à Houston avait été moins tranquille, à cause de la manifestation d’un groupe de militants noirs. Emanation du collectif d’artistes baptisé Otabenga Joanes & Associates, d’après le nom d’un pygmée exhibé au zoo du Bronx en 1906, le groupe brandissait des pancartes où l’on pouvait lire: «Vous ne pouvez pas contenir ma négritude dans votre boîte blanche» ou «L’Afrique n’est pas un pays».

Dans le ‘New York Times’, le critique Holland Cotter écrit: «Monsieur Pigozzi maintient qu’il est seulement intéressé par l’art africain ‘authentique’, qu’il définit comme de l’art fait par des artistes autodidactes qui quittent rarement, voire jamais, l’Afrique; cette idée est idiote au mieux, raciste au pire».

Une collection dénuée de stéréotype

Sollicité par swissinfo, Jean Pigozzi n’a pu répondre à ces critiques. «Il est dans la jungle panaméenne en train de travailler sur un projet lié à la protection de l’environnement», explique André Magnin.

Pour le directeur artistique, la collection Pigozzi ne donne pas dans le stéréotype. «Les Africains qui font du Pollock, du Mondrian ou du cubisme, on voit ça dans les hôtels de luxe et les banques en Afrique. Ils font ça parce qu’ils pensent que ça plaît, et que les Occidentaux ne seront pas dépaysés. Mais pour moi, le cliché, il est là, et c’est pathétique», indique André Magnin.

«Quand les Africains font de la peinture abstraite, qu’est-ce qu’ils font, sauf singer l’art occidental avec des concepts qui ne sont pas opérants en Afrique?» interroge le conservateur.

Le conseiller de Jean Pigozzi, un franco-suisse qui sillonne le continent africain depuis 20 ans, affirme qu’il «utilise les mêmes critères de choix des œuvres» que ceux qu’il utilise en Occident.

L’image du ‘bon sauvage’

Le critique du ‘Washington Post’, Blake Gopnik, reproche pour sa part à Jean Pigozzi d’appliquer «une sorte d’image du ‘bon sauvage’ à l’art africain récent», évoquant «le collectionneur Grand Bwana typique des années 20».

Dans un entretien accordé à swissinfo, un détracteur de longue date de Jean Pigozzi, l’universitaire d’origine nigériane Dele Jegede, directeur du département d’art de l’Université Miami d’Ohio, estime que la collection du Suisse participe d’une «attitude coloniale ou néocoloniale» qui projette «une image très exotique, voyeuriste et néo-primitive de l’Afrique et des Africains».

Le professeur Jegede, comme les autres détracteurs, déplore au fond que deux Occidentaux, Jean Pigozzi et son conseiller artistique André Magnin, définissent ce qu’est l’art africain contemporain, particulièrement quand il s’agit d’art dit figuratif.

«Une œuvre qui exprime un rapport au monde»

«Ce que je recherche, c’est une œuvre qui produise du sens, une œuvre qui jaillisse de l’histoire de l’art ou de l’histoire tout court, qui exprime un rapport au monde», réplique André Magnin.

André Magnin discerne chez certains détracteurs de la collection Pigozzi «un sentiment de culpabilité et de colère peut-être dû à la colonisation qui, c’est vrai, a fait des ravages».

Mais il soupçonne aussi que «ces intellectuels africains sont peut-être jaloux» du succès rencontré par plusieurs artistes de la collection Pigozzi hors d’Afrique.

André Magnin revendique la liberté de choix de la collection Pigozzi. «Notre collection est une collection privée, on n’a pas de compte à rendre, pas de nécessité à être exhaustifs. Personne ne va m’obliger à acheter un peintre cubiste de Kinshasa!», lance-t-il.

swissinfo, Marie-Christine Bonzom à Washington

– Né à Paris, d’origine italienne, le Suisse Jean Pigozzi est le fils du fondateur de l’entreprise automobile Simca.

– Jean Pigozzi a commencé à réunir des œuvres africaines d’art contemporain en 1989. Aujourd’hui, sa collection compte quelques 6000 œuvres, représentant 93 artistes de 20 pays d’Afrique sub-saharienne.

– A part lors d’expositions temporaires, sa collection (la plus grande collection privée d’art contemporain africain) n’est pas ouverte au public. Elle est conservée dans des hangars à Genève.

– Jean Pigozzi souhaite créer une fondation qui montrerait sa collection de façon permanente. Il veut que ce musée soit situé à Paris, et non en Suisse. Pour «plus de visibilité», selon André Magnin.

Depuis 15 ans, Jean Pigozzi a prêté des œuvres à 220 musées dans le monde.
L’exposition de Washington présente 100 œuvres de 27 artistes de la collection.

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