Le trafic illicite de cigarettes est en plein essor
En Europe, tout comme en Suisse, les gardes-frontière interceptent de plus en plus de personnes qui voyagent avec des valises chargées de tabac, surtout à l’aéroport de Genève. Le pôle enquête de la RTS a décortiqué ce marché parmi les plus lucratifs, apanage de la petite et de la grande criminalité.
L’année en cours pourrait bien être une année record en termes de cigarettes illicites saisies par les gardes-frontière suisses. À ce jour, 600’000 pièces ont été interceptées et 26 personnes interpellées, principalement à l’aéroport de Genève. C’était 28 arrestations en 2023, contre 10 en 2021.
Dans les valises de ces individus, «nous avons découvert en moyenne 125 cartouches, ce qui représente environ 25’000 cigarettes à chaque fois, a indiqué à la RTS Donatella Del Vecchio, porte-parole de l’Office fédéral de la douane et de la sécurité des frontières (OFDF). Dans ces cas-là, on peut dire qu’il s’agit de mules. Elles arrivent principalement de Turquie, de République démocratique du Congo, d’Egypte et aussi de Bulgarie».
Autant de pays où les produits du tabac coûtent moins cher qu’en Europe de l’Ouest. Toujours selon l’OFDF, les personnes interpellées prévoyaient de se rendre en France, où il faut débourser environ 11 euros pour un paquet.
Un trafic de «fourmis»
Côté français, les douanes observent aussi ce phénomène. «Ce sont des individus qui voyagent à l’étranger, en Turquie ou même, pour le tabac à narguilé, au Qatar ou aux Émirats arabes unis, et qui passent par l’aéroport de Genève», a constaté Bruno Rayne, chef du pôle action économique à la Direction régionale des douanes d’Annecy.
«Ces personnes rentrent ensuite en France pour procéder à de la revente illégale, soit auprès de leurs proches, soit auprès d’un réseau clandestin, a précisé Bruno Rayne dans la Matinale de la RTS. Pour le moment, nous sommes sur un trafic de fourmis, un flux régulier de petites quantités. Il n’y a pas de saisies exceptionnelles».
Le trafic illicite de cigarettes à une échelle quasi industrielle est plutôt l’apanage de la grande criminalité. Elle brasse des tonnes de tabac. Bruno Rayne détaille: « Il y a la cigarette de contrebande; elle est produite en surplus et récupérée par les criminels dans des usines officielles situées en Europe de l’Est, notamment en Bulgarie, en Pologne, en Roumanie ou en Moldavie. Et puis il y a la cigarette de contrefaçon produite dans des usines clandestines, notamment en Belgique et aux Pays-Bas».
Il s’agit principalement de réseaux criminels d’Europe de l’Est. Ces derniers sont également actifs dans les produits stupéfiants. Le trafic de cigarettes représente pour ces mafias une activité bien moins risquée en comparaison par exemple à la vente et à la production de cocaïne.
Contrairement à cette drogue, la matière première (le tabac) se trouve dans de nombreux pays. En outre, fabriquer des cigarettes peut se faire localement et massivement.
«En 2019, Europol a démantelé une usine en Bulgarie où une machine pouvait produire jusqu’à 2000 cigarettes par minute. De quoi générer de très gros revenus», relève Daniel Brombacher du GI-TOC.
Production locale
Ces différents réseaux criminels privilégient surtout les grands axes autoroutiers pour transporter leur marchandise. Et là, quand les douanes les interceptent, les saisies sont colossales.
«Au début de l’année, nous avons intercepté du côté de Bourg-en-Bresse un camion transportant six tonnes de tabac, plus tous les éléments en kit d’une usine clandestine prête à être montée dans un hangar pour fabriquer des cigarettes de contrefaçon», se souvient Bruno Rayne.
C’est en effet la méthode privilégiée actuellement par les criminels: produire localement pour se rapprocher du client final. «Cette tendance a commencé durant le Covid suite aux restrictions de voyage et elle s’est renforcée suite à l’invasion russe de l’Ukraine, a expliqué Daniel Brombacher, directeur d’un nouvel observatoire européen du crime organisé (GI-TOC). En effet, l’Ukraine et la Biélorussie étaient les fournisseurs principaux de cigarettes de contrebande. Comme cela n’est plus le cas, il a fallu rapprocher le produit des clients européens».
À ce jour, aucune usine clandestine n’a été découverte en Suisse. Il n’y a pas d’indications que les camions des criminels utilisent les autoroutes du pays pour rejoindre la France ou d’autres États. Mais cela n’est pas exclu, vu la situation géographique de la Suisse.
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