A Engelberg, le sorcier volant défie les anges
Depuis près de 30 ans, Engelberg – littéralement la «montagne des anges» - est une étape incontournable de la Coupe du monde de saut à skis. Trois jours durant, la station de Suisse centrale vit au rythme des bonds effrénés de Simon Ammann & Co. Reportage.
«Pas trop froid?», s’enquiert aimablement le préposé au service des saucisses grillées. «Vivement le réchauffement climatique», rigole son vis-à-vis, les joues rougies par l’air vivifiant des cimes et les trop nombreux gobelets de vin chaud déjà absorbés dans la matinée. En face, 110 mètres plus haut, assis sur la barre de départ du tremplin, les Jane Ahonen, Gregor Schlierenzauer et autre Simon Ammann n’ont pas le temps de disserter sur l’état de la planète. Ni de gamberger.
Un à un, les 51 coureurs qualifiés pour le concours de vendredi, première des trois épreuves du week-end, s’élancent du haut du tremplin du Titlis, du nom de la fameuse montagne qui surplombe le village d’Engelberg. Enveloppées dans de drôles de combinaisons, bien trop grandes pour accueillir ces frêles silhouettes, les fous volants tentent comme par acharnement de défier cette satané loi de la gravité. Le miracle ne dure que quelques secondes et, aux alentours du point «K», la distance de référence située à 120 mètres de la table d’élan, les skis retrouvent immanquablement le contact avec la neige.
Dans un remake du «mano à mano» qu’ils s’étaient livrés tout au long de la saison dernière, Simon Ammann et Gregor Schlierenzauer se montrent les plus habiles dans les aires, avec des bonds à respectivement 137,5 et 136,5 mètres. Andreas Küttel, auteur d’un très bon premier saut, doit, lui, remettre l’ouvrage sur le métier. Comme les 30 premiers concurrents, le Schwytzois doit une nouvelle fois embarquer dans le petit téléphérique jouxtant la piste et qui remonte – lentement – les sauteurs au point de départ. Au vu du vent favorable qui pourrait amener les meilleurs sauteurs trop loin, le jury a décidé de descendre la barre d’élan de quelques mètres. Les sauts déjà effectués sont donc annulés.
Les deux meilleurs sauts
Quatorzième au final, Andreas Küttel paiera les efforts consentis tout au long de la journée. «Je ne m’attendais pas à devoir sauter 5 fois aujourd’hui (ndlr: en comptant l’entraînement et la qualification). Il m’a manqué de l’énergie sur le dernier saut». Pas de quoi faire perdre toutefois le sourire légendaire à notre «Andy» national, papa d’un petit garçon depuis le 6 décembre dernier.
Et si papa Küttel n’a pas réussi à rééditer sa victoire de 2007 à Engelberg – il était alors devenu le premier Suisse à s’imposer sur ce tremplin -, c’est le parrain «Simi» qui s’est chargé de faire la leçon aux Autrichiens, rivaux ancestraux sur les pistes de ski. Auteur des deux meilleurs sauts de la journée, Simon Ammann s’impose pour la deuxième fois après 2008 sur les hauteurs de la station obwaldienne. Devant un public clairsemé – le concours de vendredi remplaçait celui annulé la semaine dernière à Harrachov – le Saint-Gallois n’a pas perdu l’occasion de laisser éclater sa joie et de faire le pitre face à la caméra.
Déjà vainqueur de la tournée d’été, Simon Ammann endosse désormais le maillot de leader de la Coupe du monde. Quoi de mieux pour lancer cette saison qui trouvera son apothéose au mois de février à Vancouver? Depuis plus d’une année déjà, l’objectif est en ligne de mire. Sans toutefois être une obsession, les Jeux olympiques sont omniprésents dans l’esprit du Saint-Gallois.
La sérénité incarnée
Débarrassé de son costume lourd à porter du «Harry Potter» volant endossé lors ses deux sacres olympiques à Salt Lake City en 2002, Simon Ammann respire la sérénité du sportif trentenaire qui a n’a plus rien à prouver. L’analyse réfléchie, le verbe posé, mais ce regard espiègle et cette spontanéité toujours inchangés, le «Simi» cuvée 2009 paraît inébranlable.
«C’est vrai que je me sens très bien. Les réglages sont bons et les sensations en vol optimales. Aujourd’hui, j’ai parfaitement réussi à me concentrer sur mon objecrif. Même si la concurrence est relevée, ces bons résultats sont très importants pour la confiance en vue de Vancouver», a-t-il commenté devant la cinquantaine de journalistes présents en salle de presse.
Les interviews individuelles, elles, ont été réduites au minimum. L’année passée, après sa victoire initiale à Engelberg, les nombreuses sollicitations lui avaient coûté trop de forces pour le concours du dimanche. Simon Ammann sait qu’il a besoin de plus longues phases de récupération pour réussir de bons sauts. Comme il sait exactement quels exercices lui sont nécessaires pour améliorer encore sa préparation technique et physique.
Un peu de style
Sauteur hors pair, perfectionniste dans l’âme, Simon Ammann a ajouté cette saison une corde supplémentaire à son arc. Souvent pénalisé par les juges, il n’a perdu vendredi qu’un demi-point (57 contre 56,5) dans les notes de style face à Gregor Schlierenzauer, expert en matière d’atterrissage élégant. «J’ai pratiqué de nombreux exercices dans ce domaine», explique simplement «Simi». On le croit.
Samedi et dimanche, Simon Ammann aura encore deux belles occasions de s’illustrer sur un tremplin qu’il dit apprécier énormément. «C’est très différent de Lillehammer ou d’autres tremplins artificiels. J’adore sauter dans ce site naturel, au beau milieu des arbres. C’est juste incroyable». Incroyable et naturel, voilà bien deux adjectifs de circonstance.
Samuel Jaberg, Engelberg, swissinfo.ch
Tourisme. La commune d’Engelberg est une station de moyenne altitude située dans le canton d’Obwald, en Suisse centrale. Le village est situé au pied du Titlis, une montagne qui culmine à 3238 mètres et qui offre un panorama sur le lac des Quatre-Cantons et les Alpes bernoises.
Saut. Engelberg est l’unique étape de la Coupe du monde de saut à skis qui se dispute sur territoire suisse. La première compétition recensée dans les archives du ski-club local date de 1904.
Naturel. Rénové entièrement en 2000 et 2001, le tremplin du Titlis est le plus grand de Suisse et également le plus grand tremplin naturel du monde. Sa hauteur totale atteint 110 mètres. La distance qui sépare le haut de la rampe de lancement de l’aire d’arrivée est de 323 mètres.
Record. Le record du tremplin est détenu par le Norvégien Sigurd Petterson, qui a effectué un bond de 142 mètres le 28 novembre 2008.
St-Gall. Né le 25 juin 1981 à Grabs, dans le Toggenburg st-gallois, Simon Ammann fait ses débuts en Coupe du monde en 1998 à l’âge de 16 ans seulement. Il participe à ses premiers Jeux olympiques à Nagano la même année.
Salt Lake City. Aux JO de 2002 à Salt Lake City, il crée la sensation en remportant les médailles d’or des deux épreuves individuelles. Surnommé «Harry Potter» en raison notamment de la forme de ses lunettes et de l’allure de son manteau, il est soudainement propulsé sur le devant de la scène médiatique.
Retour. Les 4 années qui suivent sont très difficiles pour Simon Ammann, qui n’arrive pas à confirmer son double exploit olympique. En 2007, il fait son retour au premier plan en remportant deux victoires en Coupe du monde et la médaille d’or aux Mondiaux de Sapporo.
2008/2009. La saison dernière, il a remporté 5 victoires en Coupe du monde et une médaille de bronze aux Mondiaux de Liberec. Il a terminé 2e du général de la Coupe du monde.
2009/2010. Vainqueur de la tournée d’été, il a remporté les concours de Lillehammer et d’Engelberg et occupe la tête du classement du général de la Coupe du monde.
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