Addictions chez les jeunes: faut-il plus de prévention ou plus de sanctions?
Les addictions traditionnelles - alcool, tabac et drogues illégales - n’ont pas disparu. Mais à côté de cela, jeunes et moins jeunes affrontent aujourd’hui une multitude de nouvelles sources de dépendance: snus et «puffs», jeux de hasard et jeux vidéo, réseaux sociaux et autres activités en ligne. La prévention est-elle la solution ou faut-il davantage de sanctions ou d’interdictions?
En Suisse, la plupart des jeunes se portent bien, relève Addiction Suisse. Mais la santé psychique des adolescents et des jeunes adultes s’est globalement détériorée ces dernières années, déplore la fondation. «Davantage de jeunes sont vulnérables et présentent ainsi un risque accru de consommer des substances psychoactives ou de se réfugier sur les réseaux sociaux», écrit-elle dans son Panorama des addictions 2024 publié jeudi.
Addiction Suisse réclame donc une meilleure application des interdictions de vente ainsi qu’une offensive publique de réduction de la demande (limitation de la publicité et relèvement des prix). L’organisation milite aussi pour une amélioration des efforts de prévention et exige un renforcement de la détection précoce des personnes vulnérables à l’école ou durant l’apprentissage, via notamment un accès plus facile et plus rapide à un soutien psychologique.
Publicité pour le tabac: la volonté du peuple en fumée?
Le 13 février 2022, l’initiative «Enfants et jeunes sans publicité pour le tabac» était acceptée par le peuple et les cantons. Son objectif: interdire toute publicité pour le tabac là où des enfants ou des adolescents peuvent la voir. Deux ans plus tard, la mise en oeuvre de ce texte est dans l’impasse. Au Conseil national, les assauts de la droite pour une application «light» de l’initiative ont eu raison du projet, qui a été renvoyé au Conseil des Etats.
Pour la gauche et les milieux de la prévention, la droite ne respecte pas la volonté populaire. UDC et PLR, de leur côté, se défendent d’agir sous l’influence de l’industrie du tabac. Une chose est sûre: en comparaison internationale, la Suisse reste un cancre de la lutte contre le tabagisme. Dans le «Global Tobacco IndexLien externe», un classement mondial mesurant l’ingérence des lobbies du tabac dans la politique, la Suisse pointait en 2023 à la 89e et avant-dernière place, juste devant la République dominicaine, souligne RSILien externe.
>> Voir le sujet de RSI:
La lutte contre les «puffs» s’organise dans le monde
En janvier, le gouvernement britannique a annoncé sa volonté de bannir à partir de 2025 la vente de cigarettes électroniques jetables, plus communément appelées «puffs». Le Royaume-Uni rejoint ainsi plusieurs dizaines de pays qui ont déjà interdit ces produits aux goûts fruités et aux emballages colorés. Très prisées des jeunes, les «puffs» sont souvent vues par les professionnels de la santé comme une porte d’entrée vers une dépendance à la nicotine.
En revanche, en Suisse, où se trouvent les sièges des leaders mondiaux de l’industrie du tabac, une telle décision semble peu probable pour l’instant, comme nous l’écrivions dans cet article. Même si la Confédération n’envisage pas d’interdire les «puffs», elle ne reste cependant pas immobile face à l’essor du vapotage. A partir de juin 2024, les cigarettes électroniques ne pourront plus être vendues aux mineurs. Une telle mesure est déjà en vigueur dans de nombreux cantons, dont la quasi-totalité des cantons romands.
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Le snus de plus en plus populaire en Suisse
Autre exemple de la stratégie de diversification de l’industrie du tabac: le snus. Autorisés à la vente en Suisse depuis 2019 seulement, ces petits sachets blancs remplis de tabac, qu’on place entre la lèvre et la gencive, ont vu leur popularité exploser ces dernières années. Selon les chiffres de l’Office fédéral de la douane, les détaillants suisses ont vendu l’an dernier pour 200 millions de francs de tabac à chiquer, de snus et de sachets de nicotine.
Interrogé par SRFLien externe, Cyril Meyer, le co-directeur de l’entreprise Snushus, estime que le succès de ces produits s’explique par une sensibilité croissante à la santé: «Les fumeurs recherchent des alternatives moins nocives comme le tabac chauffé, la cigarette électronique ou le snus.» Les professionnels de la santé, quant à eux, s’inquiètent plutôt de cette évolution et regrettent le manque de régulation. Pour eux, ce boom est la conséquence du marketing agressif de l’industrie du tabac.
Quid de l’usage problématique des réseaux sociaux?
A côté des vieilles addictions que sont l’alcool et le tabac, de nouvelles addictions apparaissent avec l’ère numérique. C’est notamment le cas des réseaux sociaux. Huit garçons sur dix et neuf filles sur dix âgés de 15 ans vont tous les jours sur les réseaux sociaux comme WhatsApp, Snapchat, TikTok ou Instagram, révèle le volet suisse de l’étude internationale HSBCLien externe, publié au printemps 2023.
Une minorité non négligeable d’entre eux en font un usage «problématique». En Suisse en 2022, cela concernait 9,7% des filles de 15 ans et 4,4% des garçons, selon l’étude qui se fonde sur le Social Media Disorder Scale (SMDS, l’échelle de trouble lié aux médias sociaux). Cet usage problématique est plus répandu qu’en 2018, date des précédents relevés, ce qui pourrait être lié aux habitudes prises durant la pandémie de Covid-19.
>> Ecouter le sujet de La Matinale de RTS:Lien externe
Les «loot boxes», des jeux de hasard dans des jeux vidéo
Pour la première fois, cette étude portait aussi sur l’usage des jeux vidéoLien externe. Il apparaît que 31% des garçons de 15 ans et 5% des filles y jouent tous les jours. Addiction Suisse estime que bon nombre des jeux comportent des mécanismes qui poussent à y consacrer le plus de temps possible ou à dépenser un maximum d’argent. Dans le viseur, on trouve en particulier les «loot boxes», des petits coffres virtuels au contenu aléatoire que les joueurs peuvent acquérir grâce à des microtransactions.
«C’est une technique de l’industrie du jeu vidéo qui consiste à utiliser les mécanismes du jeu d’argent qui fonctionnent extrêmement bien – casinos, loteries, etc. – dans l’univers des jeux vidéo, à la différence qu’on s’adresse ici à des mineurs et qu’il n’y a pas d’encadrement», affirme Camille Robert, co-secrétaire générale du Groupement romand d’étude des addictions (GREA), dans l’émission On en parle de la RTS. En Suisse, le Parlement a cependant exclu les microtransactions de la législation sur la protection des mineurs dans les jeux vidéo.
>> Voir le reportage de Mise au Point:
Achats compulsifs et addiction au shopping
Bien qu’ancienne, une autre forme d’addiction connaît un nouvel essor grâce au commerce en ligne: les achats compulsifs. Les plateformes de vente en ligne utilisent en effet de plus en plus souvent des techniques de neuromarketing pour nous pousser à l’achat. Parmi ces stratégies figurent les rabais canons à durée limitée ou la création artificielle de rareté, qui suscitent un sentiment d’urgence chez les acheteurs potentiels.
Jessica Hofstetter, elle, n’a pas eu besoin de telles manipulations pour tomber dans l’addiction au shopping. Son obsession, c’est les livres. Elle possède plus d’un millier d’ouvrages, qu’elle n’a, pour la plupart, jamais lus. En parallèle, cette jeune femme lutte également contre un trouble alimentaire. «Mes addictions ont beaucoup à voir avec mon estime de moi», témoigne-t-elle dans l’émission Puls de SRFLien externe. L’addiction aux achats toucherait environ 5% de la population suisse.
>>Voir un extrait de l’émission Puls de SRF:
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