Argent de la guerre, comptes libériens gelés
La Suisse a fait bloquer des comptes qui pourraient appartenir au président du Liberia Charles Taylor et à des membres de son entourage.
Elle répond à une demande d’entraide judiciaire présentée par le Tribunal spécial indépendant pour la Sierra Leone.
Le 4 juin, ce tribunal créé par l’ONU a inculpé le chef de l’Etat libérien de crimes de guerre et crimes contre l’humanité pour le rôle qu’il a joué dans la guerre civile en Sierra Leone.
Suite à sa requête qui date de jeudi passé, l’Office fédéral de la justice (OFJ) a ordonné à plusieurs banques de Genève et de Zurich de geler à titre provisionnel tous les comptes de Charles Taylor, des membres de son entourage et de plusieurs hommes d’affaires et entreprises.
Les faits reprochés à Charles Taylor
Le procureur (américain) de la cour spéciale a salué la rapidité avec laquelle la Suisse avait réagi.
Selon David Crane, cette étroite coopération devrait permettre de «démêler l’écheveau financier monté par le président Taylor».
Elle devrait également «mettre à jour les profits qu’il a tirés de ses activités criminelles».
Et servir de preuves supplémentaires contre l’organisation criminelle que le président libérien a mise en place.
Concrètement, le Tribunal spécial de Freetown accuse le président libérien d’avoir aidé financièrement et militairement des groupes de rebelles durant la guerre civile en Sierra Leone.
Plus grave, il aurait soutenu ces mêmes rebelles lors des attaques meurtrières qu’ils menaient contre la population civile.
En contrepartie, Charles Taylor aurait été payé en diamants bruts. Et il aurait placé le produit de la vente de ces pierres précieuses dans des banques de plusieurs pays, dont la Suisse justement.
Une OGN britannique dénonce
Selon le Tages Anzeiger, l’Office fédéral de la justice s’intéresse de près à cette affaire depuis que Global Witness a demandé à la Commission fédérale des banques d’examiner à la loupe les fonds libériens.
Selon cette ONG, l’attribution de pavillons de complaisance et le commerce des bois tropicaux libériens rapporterait gros.
Cet argent, poursuit l’organisation britannique, serait versé sur des comptes helvétiques. Il serait ensuite utilisé pour l’organisation et le financement de trafics d’armes.
«Le rapport de Global Witness est consulté de près et il est pris aux sérieux par nos services juridiques», confirme Tanja Kocher, porte-parole de la Commission fédérale des banques (CFB).
Global Witness a bel et bien retrouvé la trace d’un versement de 500 000 dollars effectué le 20 août 2002 au bénéfice d’un compte à Genève.
Ce compte ouvert dans une banque belge serait contrôlé par un certain Sanjivan Ruprah, considéré comme un proche de Charles Taylor.
Et l’ONG britannique d’ajouter que Ruprah serait l’un des plus gros trafiquants d’armes d’Afrique.
Plus de 2 milliards de francs
Plus de 2 milliards de francs suisses, appartenant à des intérêts libériens, seraient déposés sur des comptes bancaires suisses.
Tiré des dernières statistiques de la Banque nationale suisse, ce montant ne donne toutefois pas de précision, notamment sur les détenteurs de ces fonds.
Certes, les banques doivent respecter leur devoir de diligence et donc s’informer de la provenance de l’argent.
Mais, précise Tanja Kocher à swissinfo, «il n’y a rien qui interdise à un ressortissant libérien d’ouvrir un compte en Suisse».
D’autant plus, rappelle la porte-parole de la CFB, que ce pays «n’est pas sous le coup d’un embargo financier».
N’empêche les chefs du gouvernement et de l’armée ainsi que leurs épouses sont sous le coup de la résolution 1343 de l’ONU.
Datant de mars 2001, ce texte interdit aux dirigeants libériens l’entrée dans un pays tiers.
En fait, cette résolution vise à empêcher que le trafic de diamants ne finance la guerre.
swissinfo et les agences
– La Suisse a répondu très rapidement à une demande du Tribunal spécial de l’ONU jugeant les crimes de guerre en Sierra Leone.
– Des banques genevoises et zurichoises ont reçu l’ordre de geler provisoirement des comptes appartenant au président libérien Charles Taylor et à son entourage.
– En Suisse, les avoirs libériens atteindraient 2,372 milliards de francs.
– Inculpé le 4 juin de crimes de guerre et crimes contre l’humanité par le tribunal onusien, le chef de l’état libérien aurait soutenu des groupes de rebelles armés de 1996 à 2001.
– En échange, il aurait reçu des diamants bruts. Et le produit de leur vente serait déposé en partie dans des banques suisses.
– Selon l’ONG britannique Global Witness, l’argent provenant de l’attribution de pavillons de complaisance et du commerce des bois tropicaux libériens serait déposé en Suisse et il servirait au financement de trafics d’armes.
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