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Asile: la faute à l’insécurité, aux difficultés…

Une employée de l'Office suisse d'aide aux réfugiés contemple d'un air songeur les résultats. Keystone

Les autorités doivent davantage tenir compte des peurs des gens. Dimanche, un million de citoyens ont cédé aux sirènes de la droite nationaliste sur l'asile.

L’«échec victorieux» de l’Union démocratique du centre (UDC) est un message directement adressé aux autorités.

La Suisse s’est réveillée perplexe, voire choquée, au lendemain de ce vote massif, beaucoup plus que lors des initiatives xénophobes des années 70.

C’est un fait. Mais il est aussi difficile à expliquer que la problématique de l’asile elle-même.

Pour Uli Windisch, le message des citoyens suisses est clair. «Quand vous avez plus d’un million de personnes qui votent ainsi, explique le sociologue genevois, on ne peut plus continuer à affirmer que les gens réagissent émotionnellement et que l’on se trouve face à un mouvement de xénophobie ou de racisme.»

Un vote de protestation

De son côté, le président de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA) ne cache pas sa surprise. «J’expliquerais ce scrutin, dit Alexandre Mariéthoz, comme un vote de protestation vis-à-vis de la politique actuelle.»

Le terrain est donc d’abord politique. Pour le président de la LICRA, «le gouvernement et les partis de droite n’ont pas osé affronter l’UDC, ce qui a donné aux gens l’impression que leurs craintes n’étaient pas prises au sérieux».

«S’il avait mieux fait son travail d’information, dit Alexandre Mariéthoz, le gouvernement aurait pu convaincre plus d’indécis. Quant à la gauche, qui n’a aucune proposition concrète en matière d’asile, elle s’est cachée derrière une sorte d »angélisme’ de mauvais aloi.»

La peur de l’étranger

Mais, dimanche, beaucoup ont aussi voté avec leurs tripes. Pour autant, les Suisses sont-ils xénophobes voire racistes?

En 1994, par 54% des suffrages exprimés, ils approuvaient l’article antiraciste du code pénal. Mais force est de constater qu’on est loin du compte.

En effet, entre 1993 et 2001, selon un rapport de la Fondation contre le racisme et l’antisémitisme, les incidents de nature raciste ont notablement augmenté en Suisse.

Si familière des Suisses, la peur de l’autre est bien présente. Elle grandit en même temps que l’insécurité économique.

Plus inquiétant, comme la montré une récente étude, cette intolérance semble plus grande chez les jeunes.

Enseignant et concepteur d’Intralik, une plate-forme nationale de dialogue interethnique à Soleure, Rudolf Erzer ne cache pas son inquiétude.

«Les personnes issues de milieux sociaux défavorisés sont confrontées plus directement au problème des réfugiés, constate-t-il. Cette proximité alimente leur rejet.»

Et d’ajouter: «Tous mes collègues sont frappés par cette peur ‘massive’, une xénophobie primaire et violente. Si on ne fait rien, ce problème pourrait nous exploser à la figure».

La peur, c’est aussi l’argument du secrétaire général de la Fondation Education et Développement. «L’asile renvoie aux gens toutes sortes d’insatisfactions, de peurs et de difficultés économiques», dit Richard Helbling.

Et de poursuivre: «Tout cela est jeté dans le même panier et n’a plus rien à voir avec la problématique de l’asile».

Alors que faire? Uli Windisch se veut pragmatique: «Il faut maintenant réellement écouter ces citoyens qui réagissent à des situations vécues dans la vie de tous les jours».

Alexandre Mariéthoz abonde dans le même sens: «Il ne faut pas diaboliser l’UDC mais entamer la discussion. Surtout, il faut bien distinguer entre réfugiés et immigrés, ce qui n’est pas pareil».

99% des étrangers n’ont rien à se reprocher

Les chiffres leur donnent en partie raison. 80% des condamnations pour trafic de drogue sanctionnent des étrangers. Et la population étrangère est sur-représentée dans les statistiques de la criminalité.

Selon la police fédérale, on y trouve 50% d’étrangers, alors qu’ils ne représentent que 20% de la population.

Mais si l’on fait abstraction des «peccadilles» (loi sur la circulation, sur le séjour des étrangers), les chiffres nous disent également que ces mêmes étrangers ne sont que 0,6% (pour 0,3% de Suisses) à être condamnés.

«Autrement dit, conclut Alexandre Mariéthoz, 99% des étrangers n’ont rien à se reprocher.»

Les statistiques montrent en outre que la criminalité des demandeurs d’asile augmente avec la durée de leur séjour en Suisse. Les raisons sont multiples. Et elles posent la question de l’intégration

Il faut les chercher dans l’exclusion sociale et économique (un réfugié touche entre 8 et 14 francs par jour selon les cantons), l’isolement, le traumatisme lié à la guerre, etc.

Et puis les procédures durent beaucoup trop longtemps: de deux à trois ans avant que les autorités rendent leur verdict. «C’est beaucoup trop», estime Peter Frei, avocat zurichois spécialisé dans ces questions.

De son côté, Francis Matthey, président de la Commission fédérale des étrangers, s’est souvent insurgé contre le fait qu’«on exige des gens qu’ils s’intègrent, alors que nos lois les confinent dans la précarité».

Un phénomène global

En matière d’asile, l’évolution relève des flux migratoires qui touchent la planète entière. Impossible, dans ce cas, de faire cavalier seul. La ministre Ruth Metzler l’a rappelé à maintes reprises durant sa campagne contre l’initiative de l’UDC.

Il est vrai, souligne le sociologue Uli Windisch, que la nature des réfugiés a profondément changé.

«Dans les années 50-60, rappelle-t-il, nous recevions des ressortissants d’Europe de l’Est. Souvent dotés de diplômes supérieurs, ils fuyaient le communisme et le totalitarisme.»

«Ces réfugiés étaient attirés par la liberté et la démocratie, poursuit Uli Windisch, A ce moment-là, en Suisse, l’image de ces gens – et de l’asile – était très positive.»

Aujourd’hui, l’image même de l’asile est devenue très négative. Elle est associée à des «miséreux» de toutes sortes, et non plus à des personnes menacées dans leur vie pour leurs idées ou leur religion.

Verdict du sociologue Uli Windisch: «Il faut redéfinir la notion d’asile et traiter différemment la misère économique.» Autrement dit, il faut que les autorités écoutent les citoyens.

Echec de la politique d’intégration

Mais il faut aussi améliorer l’intégration des demandeurs d’asile. «Il est frappant de constater, dit Alexandre Mariéthoz, que ce sont les cantons qui comptent le plus d’étrangers, et donc qui prennent le plus de mesures pour favoriser l’intégration et lutter contre le racisme, qui ont rejeté l’initiative avec le plus de vigueur.»

Cela démontre que là où les autorités prennent les choses en main la population réussit mieux à surmonter ses peurs. En d’autres termes, la médiation et le dialogue favorisent largement l’émergence d’une vision pluriculturelle des choses chez les Suisses eux-mêmes.

Un élargissement qui pourrait contribuer à donner le coup de grâce aux préjugés. Après tout, conclut Peter Frei, «sur 100 000 demandes d’asile, 90% sont rejetées, mais il faut l’expliquer».

swissinfo/Isabelle Eichenberger

20 000 demandeurs d’asile se sont présentés en Suisse en 2001: 283 demandes pour 10 000 habitants, ce qui place la Suisse au 2e rang européen, derrière l’Autriche et la Norvège.
10% des demandes sont finalement acceptées

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