Au Bénin, le Dr Rochat opère et soigne par passion
Chaque année depuis 1996, le docteur Charles-Henry Rochat, urologue à Genève, se rend à Tanguiéta au nord du Bénin pour opérer des femmes porteuses de fistules. Grâce à son action, une stratégie nationale a été mise en place pour prendre en charge cette pathologie. Reportage.
A l’hôpital Saint Jean de Dieu de Tanguiéta, un hôpital privé confessionnel, le docteur Rochat est comme chez lui. Cela fait 15 ans que ce
quinquagénaire élégant vient réparer des fistules. La fistule? C’est un trou entre la vessie (parfois le rectum) et le vagin, trou causé par la pression du bébé lors d’accouchements longs et non assistés.
Dans cette région de petites montagnes et de pistes poussiéreuses, où l’on enregistre 10’000 accouchements par an, 40% des femmes enfantent chez elles. Par tradition, parce que les centres de santé sont loin.
Conséquence: les cas sont nombreux. Mais impossible de les chiffrer, les fistuleuses vivent cachées, dans la honte. Elles perdent constamment l’urine, les selles, sentent mauvais, sont rejetées par leurs maris et la communauté. D’après l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), deux millions de femmes seraient touchées. La fistule est un indicateur de la qualité du système sanitaire.
Une pathologie disparue
Fin mars, Charles-Henry Rochat, son équipe et une dizaine de praticiens béninois, ont opéré 38 patientes originaires du Bénin et du Burkina Faso voisin. 38 opérations en 10 jours, c’est beaucoup, mais la mission est bien préparée: l’ONG Essor côté béninois, et l’ONG suisse Sentinelles pour le Burkina, dépistent, recrutent et rassemblent les femmes, que le personnel local examine et programme à l’avance.
Le docteur Rochat a découvert cette pathologie, disparue dans les pays développés, en 1993, au Togo, où il était venu enseigner la chirurgie de la prostate à frère Florent, un médecin religieux. «On m’a envoyé au bloc, et j’ai fait comme j’ai pu, confie-t-il. Ensuite en autodidacte, j’ai appris». La réparation de fistules est devenue une chirurgie passion. L’urologue genevois en est devenu un des experts mondiaux.
Quand Frère Florent quitte le Togo pour le Bénin, il fait appel à son ami suisse. Première mission en 1996. Pendant plusieurs années, il vient seul, opère seul et paye tout de sa poche. Peu à peu, le nombre de patientes augmentent et il s’entoure d’une équipe (deux confrères, une anesthésiste et une instrumentiste). Il reçoit aussi le soutien financier de la Fondation Genevoise pour la Formation et la Recherche Médicale (GFMER).
Un sentiment d’inachevé
Soigner à l’étranger, ce n’est pas nouveau: ce «vieux routard de l’humanitaire», comme il se définit lui-même, a bien roulé sa bosse dans des pays en guerre, Afghanistan, Pakistan, Cambodge, Irak. Avec un sentiment d’inachevé: «C’est une médecine d’urgence, il n’y a pas de développement, pas de formation». La transmission de compétences, voilà aussi ce qui le motive à venir au Bénin tous les ans.
«L’objectif, c’est de former des confrères béninois à la réparation des fistules simples, explique le médecin suisse. Et qu’il forme le personnel qui les entoure. Il y a des femmes qui souffrent une vie entière alors qu’une opération efficace est possible, même dans des hôpitaux modestes».
Le docteur Fanny Hounkponou fait partie de ces praticiens formés pour devenir formateur. Elle est gynécologue à Parakou, au nord du Bénin. «Dans mon hôpital, on a commencé à prendre en charge localement les fistules. J’ai même organisé un forum pour sensibiliser la population et dépister les femmes».
Une cinquantaine de médecins formés
Grâce à l’engagement du docteur Rochat, c’est une stratégie nationale qui a été mise en place, avec le ministère de la Santé et le Fonds des Nations Unies pour la Population (FNUAP).
Il y a quatre missions par an, deux européennes, et deux africaines. A l’issue de ce cycle, les stagiaires, du Bénin et de la sous-région, valident leurs acquis avec un Diplôme d’Etudes Supérieures de «chirurgie vaginale et fistulologie» de la faculté de médecine de Cotonou. A ce titre, le docteur Rochat y enseigne. Il estime qu’«une cinquantaine de médecins a été formé depuis le début des missions».
C’est un modèle qui a été créé à Tanguiéta: traitement, formation, prévention et amélioration du système de soins, réinsertion par des ONG et recherche sur les techniques. «L’intérêt, c’est qu’il fonctionne toute l’année, s’enthousiasme le docteur Rochat. Il faut maintenant le dupliquer ailleurs au Bénin et dans d’autres pays».
La volonté est là, pas de doute, mais il faut aussi les moyens. A Tanguiéta, les frais d’hospitalisation sont de 20’000 Francs CFA (soit 500 francs suisses). Tout est pris en charge, conjointement par GFMER et le FNUAP.
«Ces femmes sont les plus pauvres des pauvres. Notre but est de leur faire savoir que la fistule n’est pas une fatalité, que cela peut être réparé, pas loin de chez elles et gratuitement», souligne le docteur Rochat, habitué à la chirurgie de pointe en Suisse. «Ici, c’est un privilège de faire une médecine qui n’a pas de prix»!
Le docteur Charles-Henry Rochat, 58 ans, est urologue à la clinique générale Beaulieu à Genève, dont il est administrateur.
Depuis 30 ans, il est engagé dans la médecine humanitaire.
Au Bénin, son action s’inscrit dans la durée, avec des investissements conséquents. C’est la Fondation Genevoise pour la Formation et la Recherche Médicale (GFMER) qui les finance.
Deux missions d’environ 40 patientes par an, des primes pour les médecins cadres de l’hôpital de Tanguiéta, une bourse de formation en chirurgie, d’autres dépenses (achat d’un minibus pour l’hôpital par exemple), le budget annuel s’élève à 105’000 francs suisses..
En tant que directeur du programme fistules de GFMER, le docteur Rochat collecte lui-même des fonds. « Un travail délicat, qui demande du tact et un bon carnet d’adresses », explique son assistante.
Les besoins vont augmenter car de plus en plus de femmes sont informées et veulent venir à Tanguiéta pour être opérées.
Ex Dahomey. Après avoir accédé à l’indépendance en 1960, l’ancienne colonie française du Dahomey (aujourd’hui Bénin) a traversé douze années d’insécurité politique, puis une période marxiste-léniniste (de 1972 à 1989).
Ouverture. Depuis le début des années 90, le pays connaît une double ouverture: orientation vers la démocratie sur le plan politique et vers l’économie de marché dans le domaine économique. La vie politique respecte des règles largement reconnues, les finances publiques ont été assainies, la privatisation des entreprises nationales va bon train et tout le secteur économique, de même que la société civile, ont été renforcés.
Agriculture. Le Bénin reste dominé par le secteur agricole, surtout agropastoral, et présente toutes les caractéristiques d’un pays peu développé: la majeure partie de la population (70%) travaille dans le secteur agricole et l’industrie est presque inexistante.
Social. Malgré la relative stabilité de la croissance économique depuis la dévaluation de 94, le niveau de pauvreté générale n’a pas baissé. Il aurait même augmenté dans les zones rurales et dans les périphéries urbaines ; un tiers de la population vit sous le seuil de la pauvreté et les inégalités sociales et de genre persistent
Source : Direction du développement et de la coopération (DDC)
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