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«Diaboliser le populisme ne mène nulle part»

Les micros des orateurs au Conseil national. Le tribun du peuple n'est pas forcément homme du peuple - ni défenseur de celui-ci. Keystone

La diabolisation des populistes ne mène nulle part. Dans une démocratie, c’est en principe la majorité qui décide. Il est donc risqué de se fier uniquement à des pare-feu.

Cet article est publié dans le cadre de #DearDemocracy, la plateforme pour la démocratie directe de swissinfo.ch.

Le populisme n’est pas un phénomène nouveau. Le concept remonte à la République romaine et il en va de même pour la connotation péjorative qui l’accompagne. À l’époque, les représentants de l’élite détenant le pouvoir qualifiaient de populistes (populares ou populaires) les politiciens qui en appelaient directement au peuple – alors qu’eux-mêmes se disaient des optimates – les meilleurs. Cicéron, avocat, écrivain et homme d’État, méprisait les «hommes de la plèbe», leur reprochant de dire oui à tout, de manquer de caractère et d’être des hypocrites parce qu’ils prétendaient défendre le peuple tout en mettant en péril ses intérêts et même sa sécurité.

Tribuns du peuple

Flatter l’auditoire et faire appel à ses plus bas instincts sont aujourd’hui encore des traits caractéristiques des politiciens populistes: après avoir affirmé que le président Obama avait créé l’Etat islamique, Donald Trump s’est justifié en déclarant tout simplement que ses auditeurs avaient apprécié et que, depuis, tout le monde en parlait. Les populistes font aussi volontiers valoir qu’en tant que tribuns du peuple, ils se battent à ses côtés contre les élites (dont ils sont d’ailleurs souvent issus). C’est un parallèle supplémentaire avec la Rome antique: un patricien qui voulait être élu tribun de la plèbe devait auparavant formellement en devenir membre.

Aucune définition du populisme ne fait l’unanimité, mais les sciences politiques ont mis en évidence d’autres composantes. Ainsi, les mouvements populistes prétendent être les seuls à représenter les intérêts de la majorité (silencieuse) d’un «corps social» considéré comme monolithique et homogène. Ils s’opposent aussi à un processus de dépolitisation qui retire à la majorité du peuple le pouvoir de décider de certaines questions. C’est particulièrement évident pour la situation des minorités, qu’elles soient ethniques, religieuses, culturelles ou autres. Les droits fondamentaux sont largement à l’abri des aléas du processus politique grâce à leur inscription dans les constitutions nationales et les traités internationaux sur des droits de l’homme. Ce sont les tribunaux, et non des plébiscites, qui déterminent leur ampleur. Ils ne sont donc plus à la merci des états d’âme de la majorité.

Certains droits ne sont pas négociables

En Suisse, la tension résultant de l’opposition entre nos processus de décisions largement démocratiques et la dépolitisation de questions fondamentales pour notre société est de plus en plus difficile à gérer. 

Ce qui explique non seulement l’aversion des populistes à l’égard des juges (étrangers ou indigènes) et d’autres instances relevant d’une expertise particulière, mais aussi pourquoi les prises de position populistes pourraient relever de la justice. Le fait de reconnaître que certaines prérogatives sont des droits de l’homme est un élément central de l’État de droit: il constitue un pare-feu qui doit aussi offrir une protection lorsque les esprits s’enflamment. Mais en même temps, la majorité perd son pouvoir de décision.

En Suisse, la tension résultant de l’opposition entre nos processus de décisions largement démocratiques et la dépolitisation de questions fondamentales pour notre société est de plus en plus difficile à gérer. Malgré ce qu’on entend régulièrement, elle ne peut pas être résolue, ni dans un sens ni dans l’autre et il faut la supporter. La diabolisation des populistes ne mène nulle part. Dans une démocratie, c’est en principe la majorité qui décide. Il est donc risqué de se fier uniquement à des pare-feu.

En revanche, dans l’arène politique, il est nécessaire d’expliquer de manière convaincante que certains droits ne sont pas négociables – pour empêcher si possible tout début d’incendie. Et, au lieu de restreindre encore le champ des décisions démocratiques en affirmant que le peuple souverain est dépassé, il faut accomplir un travail d’information et de persuasion pour le convaincre des avantages de l’État de droit. Parce qu’il est indiscutable que certains mouvements populistes visent directement des éléments centraux de l’État de droit moderne.

Ne pas sous-estimer le conflit

L’optimat Cicéron était d’ailleurs lui aussi convaincu que, même composée d’hommes inexpérimentés, l’assemblée du peuple était capable de faire la différence entre un populiste et des «citoyens dignes et sérieux, au caractère bien trempé». Et, même si cette assemblée offrait un terrain des plus favorables à la tromperie et à la dissimulation, la vérité y triomphait si on la présentait ouvertement et sous le bon éclairage.

Le succès n’est toutefois pas garanti. À Rome, le conflit entre populares et optimates a finalement entraîné la chute de la République. Dès lors, c’est un empereur qui dirigera l’État et ce tribun de la plèbe au mandat de durée illimitée aura certainement toujours été le meilleur ami du peuple. Nous sommes par chance encore bien loin d’une situation analogue, mais l’histoire montre qu’il ne faut pas sous-estimer le conflit entre les structures établies et les courants populistes.

 

La version originale de cet article est parue le 8 septembre 2016 dans la Neue Zürcher ZeitungLien externe.

(Traduction de l’allemand: Olivier Hüther)

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