Célébrations et critiques après la décision de Pristina
Convoqué en session extraordinaire, le parlement du Kosovo a proclamé dimanche l'indépendance de la province serbe à majorité albanaise.
Cette décision a suscité de l’enthousiasme au sein de la communauté albanaise de Suisse. Les autorités suisses, qui s’étaient souvent prononcées en faveur d’une «indépendance formelle», ne reconnaîtront pas tout de suite le nouvel Etat.
Le Kosovo est «un Etat indépendant, souverain et démocratique», a déclaré le président du Parlement, Jakup Krasniqi, à l’issue de l’adoption, par l’ensemble des 109 députés présents, de la proclamation d’indépendance. Onze membres de minorités ethniques, notamment des Serbes, étaient absents.
La déclaration a été lue par le Premier ministre du Kosovo, Hashim Thaçi. «Nous, les dirigeants démocratiquement élus de notre peuple, proclamons par cette déclaration que le Kosovo est un Etat indépendant et souverain», a-t-il lancé à la tribune, sous les applaudissements des députés.
«Cette déclaration reflète la volonté du peuple», a-t-il ajouté. Hashim Thaçi, comme le président Fatmir Sejdiu, ont promis que le nouvel Etat serait multiethnique et respecterait les minorités.
Réactions contrastées
Cette déclaration unilatérale d’indépendance a provoqué des réactions contrasté à travers le monde. Le Premier ministre serbe, Vojislav Kostunica, a aussitôt condamné dans une allocution télévisée «un faux Etat» promu illégalement par les Etats-Unis «prêts à violer l’ordre international dans leur propre intérêt militaire».
De son côté, la Russie, alliée de la Serbie et détentrice d’un droit de veto au Conseil de sécurité, a demandé des consultations à huis clos du Conseil de sécurité des Nations Unies. Moscou a fait savoir qu’il «soutient entièrement les revendications justifiées de la Serbie» concernant le rétablissement de l’intégrité territoriale du pays.
Quant aux 27 pays de l’Union européenne, ils restaient divisés dimanche sur l’opportunité de reconnaître cette indépendance.
Selon des diplomates, une vingtaine d’Etats-membres, au premier rang desquels la Grande-Bretagne, la France, l’Allemagne et l’Italie, y sont prêts. Mais Chypre, la Grèce, l’Espagne et la Roumanie sont fermement contre.
Lundi à Bruxelles
Les chefs de la diplomatie de l’UE se retrouvent lundi à Bruxelles pour discuter du rôle de l’Union dans la stabilisation des Balkans et plusieurs pays devraient reconnaître officiellement le nouvel Etat dès après cette rencontre, précisait-on de sources diplomatiques.
Enfin à Washington, les Etats-Unis ont pris acte de la proclamation d’indépendance du Kosovo et salué l’engagement de son gouvernement à protéger les minorités ethniques en application des dispositions des Nations unies.
La Suisse prend acte
La Suisse – où vit une très importante communauté kosovare – a aussi pris acte de la proclamation d’indépendance. «La déclaration d’indépendance du Kosovo était attendue. La politique extérieure suisse devra tenir compte de ce fait», indique le ministère suisse des Affaires étrangères (DFAE).
Berne ne se prononce pour l’heure pas officiellement sur une reconnaissance du nouvel Etat. «La décision sur la reconnaissance du Kosovo relève de la compétence du Conseil fédéral, après consultations des commissions de politique étrangère», note le DFAE.
De bonnes relations avec la Serbie
Rappelons que la Suisse est l’un des premiers pays à s’être engagé en faveur de l’indépendance du Kosovo.
L’ambassadeur de Suisse à l’ONU, Peter Maurer, avait affirmé en mai 2005 que Berne soutenait «l’indépendance formelle» de la province serbe. Une position réitérée à plusieurs reprises par le ministre des Affaires étrangères Micheline Calmy-Rey.
Pour l’heure, sans se prononcer sur le fond, Berne appelle Pristina à protéger les droits de toutes ses minorités. Par ailleurs, la Suisse n’oublie pas la Serbie avec laquelle elle est «décidée à maintenir de bonnes relations», comme l’écrit le DFAE.
Critiques de Thomas Fleiner
La déclaration unilatérale d’indépendance du Kosovo est une violation du droit international encouragée par des Etats de droit, dénonce en revanche le directeur de l’Institut du fédéralisme de l’Université de Fribourg Thomas Fleiner.
Dans une interview parue samedi dans les quotidiens 24 Heures et la Tribune de Genève, il rappelle que dans la résolution 1244 de l’ONU (qui a mis un terme à la guerre du Kosovo en 1999), il est écrit «noir sur blanc» que la souveraineté et l’intégrité du territoire de la Serbie seront préservées.
«On s’apprête à légitimer l’amputation illégale de 15% de ce territoire. Cela va créer un précédent, qui pourrait avoir de graves conséquences», prédit Thomas Fleiner, qui a été le conseiller juridique de la délégation serbe lors des négociations sur le statut du Kosovo.
Fausse route
La Suisse, qui a soutenu l’indépendance par la voix de Micheline Calmy-Rey, «fait fausse route», note encore Thomas Fleiner qui rappelle que «nous avons toujours eu pour principe de fonder notre attitude sur le respect du droit international».
Dans une interview parue jeudi dans le quotidien La Liberté, le juriste dit toutefois qu’il n’est pas certain que la Suisse va reconnaître le Kosovo. «Notre code pénal punit celui qui tente de détacher une partie du territoire suisse. Ce qui est considéré comme un crime dans notre pays doit aussi être respecté vis-à-vis d’un autre Etat», souligne-t-il.
Scènes de joie
L’annonce faite à Pristina a provoqué une grande joie au sein de l’importante communauté albanaise de Suisse.
Ainsi, à Neuchâtel, près de 400 Kosovars enthousiastes ont par exemple célébré la proclamation d’indépendance. Des cris de joie ont accueilli l’annonce dans la foule réunie dès le début de l’après-midi sur la Place du Marché.
Les responsables de la communauté avaient installé un stand de boisson et de nourriture. Les passants étaient conviés à partager l’enthousiasme ambiant. Placée sous discrète surveillance policière, la manifestation s’est déroulée dans une atmosphère bruyante mais pacifique.
Simultanément, des colonnes de véhicules pavoisés aux couleurs du Kosovo – un aigle noir sur fond rouge – défilaient au centre-ville, en jouant du klaxon. Sur une partie des voitures, un drapeau suisse flottait à côté de l’aigle.
Des scènes similaires ont eu lieu dans plusieurs villes du pays, notamment à Berne et à Zurich. Aucun incident n’est à déplorer.
swissinfo et les agences
De 170’000 à 190’000 expatriés Kosovars vivent en Suisse, soit pratiquement 10% de la population résidente au Kosovo. Il s’agit de la plus grosse communauté d’expatriés kosovars après celle d’Allemagne.
La Suisse participe depuis 1999 à la mission de paix des troupes internationales de la KFOR (Kosovo Force), placées sous le commandement de l’OTAN. Environ 200 soldats suisses de la Swisscoy sont stationnés au Kosovo.
La Suisse fait partie des principaux pays donateurs au Kosovo. La Direction de la coopération et du développement (DDC) ainsi que le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO) ont prévu d’injecter 13,9 millions de francs pour les projets qu’ils réaliseront au Kovoso en 2008.
Après la Seconde Guerre mondiale, la province du Kosovo a bénéficié d’un statut d’autonomie. Ce statut a été ancré en 1974 dans la Constitution de la Fédération yougoslave.
En 1989, le président serbe Slobodan Milosevic annule le statut d’autonomie et envoie l’armée au Kosovo pour faire cesser les protestations.
En 1998, des dizaines de milliers de Kosovars abandonnent leur maison suite à une offensive menée par Belgrade contre l’Armée de libération du Kosovo (UCK).
En 1999, l’OTAN lance une série de bombardements aériens contre la Serbie pour mettre fin au conflit entre les forces serbes et les indépendantistes albanophones. Après deux mois et demi de bombardements, 50’000 soldats de l’OTAN sont stationnés au Kosovo. La province est placée sous l’administration des Nations Unies.
En 2007, le leader séparatiste Hashim Thaci remporte les élections parlementaires et annonce que l’indépendance du Kosovo sera prochainement proclamée.
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