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Ce passé que la Suisse ne veut pas voir

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La Suisse peine à se pencher sur ses relations avec l'Afrique du Sud au temps de l'apartheid. Le Parlement ne veut pas d'une commission d'enquête(CEP).

«La Suisse a collaboré avec un régime criminel, sur des armes chimiques et bactériologiques, qui sont interdites par le droit international». Pour Jean-Nils de Dardel, les faits sont graves. Ils justifieraient amplement la création d’une Commission d’enquête parlementaire (CEP).

Le conseiller national socialiste est sans illusions après le rejet lundi par la Chambre du peuple de son initiative – par 94 voix contre 60 – qui demandait la mise sur pied de cette CEP.

«Il n’y a pas de volonté sérieuse, ni du Conseil fédéral, ni du Parlement, d’envoyer des enquêteurs en Afrique du Sud, constate le député genevois. Le couvercle se referme donc sur la marmite pour quelque mois. Heureusement qu’il y a des journalistes qui font leur travail, et qui vont certainement apporter de nouvelles révélations».

Vérités tronquées et rapports secrets

A l’époque où ils étaient dirigés par Peter Regli, les services de renseignements helvétiques ont été en contact régulier avec leurs homologues sud-africains.

Les sbires du régime de Pretoria travaillaient alors sur un vaste programme d’armes chimiques et bactériologiques, sous la responsabilité du sinistre Wouter Basson, jugé dans son pays sous 61 chefs d’accusation, dont 16 meurtres.

C’est sur cet aspect des relations entre la Suisse et l’Afrique du Sud que Jean-Nils de Dardel – et les 39 députés qui ont cosigné son initiative – aimerait que la lumière soit faite.

A vrai dire, une délégation parlementaire s’était déjà penchée sur la question en 1999. Mais son rapport, qui blanchissait totalement Peter Regli et le Laboratoire AC de Spiez, n’avait pas convaincu grand monde.

A l’époque, la presse n’avait pas manqué d’étaler son incrédulité et le CICR – infiltré en son temps par les services secrets – qualifiait le texte d’«horriblement léger» et de «pêle-mêle total».

Le fin mot de l’affaire se trouve peut-être dans le rapport commandé début 1999 par Adolf Ogi, alors chef du Département de la défense. Mais ce document – probablement rédigé en partie par Peter Regli lui-même – est encore classé «secret» et même le Ministère public de la Confédération n’a pu que le consulter, sans avoir le droit d’en faire une copie.

L’axe Berne-Pretoria

La collaboration entre Berne et Pretoria au niveau des services secrets peut paraître choquante. Mais, elle n’est qu’un aspect des bonnes relations que la Suisse a entretenues avec le régime de l’apartheid jusqu’à sa chute en 1994.

Dès ses débuts, le régime blanc d’Afrique du Sud a pu compter sur le soutien massif des barons de la finance et de l’industrie helvétiques. Fondée en 1956, la «Swiss-South African Association» devient rapidement l’un des plus puissants lobbies de la Suisse de l’après-guerre.

Dans ses bulletins internes, l’Association justifie l’apartheid en des termes ouvertement racistes. Ainsi, un directeur de l’UBS à Johannesburg écrit en 1960 que les Noirs d’Afrique du Sud sont des hommes «moitié enfants, moitié animaux».

Berne a toujours refusé de s’associer aux sanctions des Nations Unies contre l’Afrique du Sud. Ce qui n’empêche pas les banques suisses d’y faire de florissantes affaires.

Depuis 1980, elles ont prêté entre 5 et 10 milliards de francs aux entreprises sud-africaines, alors qu’une ordonnance du Conseil fédéral ne leur donnait droit qu’à 300 millions. Entre 1985 et 1993, ces prêts ont rapporté aux banques 2,7 milliards de francs d’intérêts et de dividendes.

Et lorsque les banques américaines quittent l’Afrique du Sud en 1985, ce sont les Suisses qui les remplacent et sauvent le régime de la faillite en lui permettant de rééchelonner sa dette. Zurich devient alors le premier marché mondial de l’or et des diamants sud-africains.

Une deuxième Commission Bergier?

Le 1er octobre 1999, la Suisse officielle fait pour la première fois son mea culpa sur ses relations avec le régime d’apartheid. Un rapport interdépartemental, approuvé par le Conseil fédéral, admet qu’à partir de 1985, l’attitude de la Suisse n’était plus défendable, tant du point de vue moral que politique.

Il faudra toutefois cinq ans pour que Berne fasse ajouter un volet «Afrique du Sud» au Programme national de recherche 42, «Fondements et possibilités de la politique extérieure suisse».

Mais les premiers résultats ne sont pas encore disponibles et les chercheurs ne s’intéresseront de toute façon pas à l’affaire des services secrets, les sources ne leur étant pas accessibles.

Ces faits ne laissent évidemment pas Jean-Nils de Dardel indifférent. «Il faudrait une seconde Commission Bergier, sur l’ensemble des relations Suisse-Afrique du Sud», juge le conseiller national genevois. Mais dans un premier temps, l’affaire des services secrets lui semble prioritaire.

Ce qui n’est apparemment pas l’avis de tout le monde.

swissinfo/Marc-André Miserez

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