Christian Constantin, le Bernard Tapie des Alpes
Personnage incontournable du football suisse, Christian Constantin ambitionne de remporter une 12e Coupe de Suisse le 28 mai prochain avec son club du FC Sion. Rencontre dans les entrailles du stade de Tourbillon avec le bouillonnant président et promoteur valaisan.
«T’es allé mangé une raclette?» Pas le temps d’expliquer que le réseau téléphonique était saturé aux abords du stade, d’où le quiproquo sur le lieu du rendez-vous et le retard de quelques minutes. Expéditif et sans détour, le tutoiement en signe de domination de l’adversaire, Christian Constantin nous emmène manu militari dans son bureau.
A moins d’une heure du coup d’envoi de la demi-finale de Coupe de Suisse qui oppose son club au FC Bienne, formation de deuxième division, Christian Constantin paraît étonnamment calme et serein – le FC Sion s’imposera 2-1 ce soir-là, se qualifiant ainsi pour la 12e finale de Coupe suisse de son histoire.
«Assieds-toi là et pose moi les questions que tu veux», ordonne-t-il avant de fermer la porte. Dans le huis clos de Tourbillon, le Valaisan est fidèle à l’image médiatique qui l’a fait connaître bien au-delà de son canton natal: sûr de lui et de ses méthodes, déstabilisateur et adepte des petites phrases cultes qui font le bonheur des humoristes suisses. «CC», son surnom, mais aussi le sigle à succès de son entreprise d’architecture, répond aux critiques sur la gestion atypique de son club de football et sur ses visées immobilières au Moyen-Orient.
swissinfo.ch: Christian Constantin, quel attachement vous lie au FC Sion?
C.C.: Je suis convaincu que les gens défendent la terre sur laquelle ils sont nés. Moi, je suis né en Valais. Le FC Sion fait la liaison entre deux régions linguistiques, le Haut-Valais germanophone et le Bas-Valais francophone. Ce canton connaît également des courants de pensée différents. Le football est le seul élément rassembleur, les spectateurs peuvent se sentir unis derrière une barrière et un drapeau à 13 étoiles. Tout ça fait que le club est aimé et respecté des Valaisans.
swissinfo.ch: Vous avez longtemps rêvé de construire un grand stade en Valais. Ce projet est-il encore d’actualité?
C.C.: Le projet de stade à Riddes est définitivement enterré puisque nous n’avons pas obtenu les autorisations. Le grand stade en Valais ne se fera pas sous ma présidence. La ville de Sion a décidé d’investir 13 millions pour rénover Tourbillon. Nous allons jouer la Coupe d’Europe à Genève et le championnat à Sion. Si on se qualifie pour la Ligue des Champions, ce ne seront plus nous les demandeurs, mais l’autorité politique, qui sera sous pression car elle n’aura pas construit le stade.
swissinfo.ch: Vos méthodes atypiques ont suscité la curiosité des médias étrangers. N’avez-vous pas parfois eu l’impression de dépasser les bornes, notamment lorsque vous avez décidé de coacher vous-même l’équipe?
C.C.: Si je remplace l’entraîneur et que je perds, ça signifie que j’ai mal fait mon truc. Mais si je gagne, j’ai bien fait. Comme c’est la deuxième variante qui s’est produite, je suis assez content d’avoir remplacer les entraîneurs à ces moments-là.
swissinfo.ch: Au mois de février, vous avez viré votre 26e entraîneur en douze ans de présidence. Un club n’a-t-il pas besoin de davantage de stabilité pour progresser à long terme?
C.C.: Un club a besoin d’un entraîneur qui gagne. Mon entraîneur précédent était sur une moyenne d’1,4 point par match, ce qui allait m’amener à la 5e place du championnat, donc me fermer les portes de la Coupe d’Europe. L’entraîneur actuel a une moyenne d’1,7 point par match, ce qui fait que je récupère une place européenne. Si on finit dans les quatre premiers, l’équipe touche une prime de 850’000 francs. Et si je suis qualifié en finale de Coupe suisse, je peux décrocher un nouveau trophée majeur. A un certain moment, il faut faire avancer la machine. Le sherpa est sacrifié, mais ce qui compte, c’est que le sac soit au sommet de la montagne à la fin de la compétition.
swissinfo.ch: Avec ces changements incessants d’entraîneur, ne créez-vous pas du stress dans l’équipe ?
C.C.: Chez moi, les joueurs sont très bien traités. Etrangement, quand je change d’entraîneur, les joueurs se prennent en charge. Les changements d’entraîneur donnent parfois un coup de fouet et permettent d’évacuer l’oisiveté, c’est ce qui a permis de construire le palmarès du club.
swissinfo.ch: Vos attaques frontales à l’égard du corps arbitral vous ont valu pas mal d’inimitié ces derniers mois. Regrettez-vous vos manières?
C.C.: La seule chose que je constate, c’est que depuis ces campagnes, je n’ai plus eu d’erreur d’arbitrage majeure. On a ouvert un dialogue, une relation, et ça a amélioré les choses.
swissinfo.ch: Vous retrouvez-vous dans l’image de président dur et impitoyable que l’on fait souvent de vous?
C.C.: Dans la compétition, oui, parce que j’ai horreur de perdre. De manière générale, je peux être quelqu’un de pondéré, qui peut analyser une situation et prendre les décisions qui correspondent à cette situation. Je ne suis pas dur, mais juste. Je peux accepter la défaite, pourvu que mes joueurs sortent la tête haute du terrain.
swissinfo.ch: On vous compare volontiers à Bernard Tapie, homme d’affaires et ancien président de club ambitieux et intransigeant. Souscrivez-vous?
C.C.: J’aime bien Tapie, il a d’ailleurs fait son dernier match de Coupe d’Europe contre Sion. Tapie a été le seul et unique président français à avoir ramené une Ligue des Champions. Il a dépoussiéré le foot français. A l’époque, il me disait que les types comme nous étions comme des grands bestiaux sur qui les gens aimaient bien taper. Mais ce sont finalement ces bestiaux qui font avancer le traîneau.
swissinfo.ch: Vous êtes un promoteur immobilier à succès. Le football vous aide-t-il dans vos affaires?
C.C.: Le football me fait connaître. Il ne m’aide pas directement mais permet de créer des relations. Ce qui vous aide dans les affaires, c’est d’être un type sérieux, de tenir sa parole et de faire les choses honnêtement et rapidement.
swissinfo.ch: Où en est actuellement votre projet de mégacomplexe sportif et commercial dans les Emirats?
C.C.: C’est un sujet de réflexion. Le Qatar ne va pas forcément organiser les Mondiaux de 2022 durant l’été, ce qui va modifier la donne. Un stade climatisé ne se justifie pas forcément en hiver. Dans ce genre de pays, tout n’est pas simple. Comme tous les projets qui prennent du temps, il fait son bonhomme de chemin.
swissinfo.ch: C’est un projet pharaonique, devisé à 2,7 milliards de francs. N’êtes-vous pas un peu mégalomane?
C.C.: Ce qui est pharaonique, c’est ce que les êtres humains ne peuvent pas réaliser. Tout ce que les êtres humains peuvent faire de bien et de manière intelligente n’est pas pharaonique.
Président. Entrepreneur de Martigny, dans le canton du Valais, Christian Constantin est, depuis fin 2003, président du FC Sion. Il avait déjà présidé aux destinées du club valaisan entre 1992 et 1997. Durant ses jeunes années, il a notamment gardé les buts de Neuchâtel Xamax en première division.
Méthodes atypiques. En tant que président, il a remporté cinq fois la Coupe et une fois le championnat de Suisse. Il s’est surtout fait connaître pour avoir licencié un très grand nombre d’entraîneurs. En 2008, après le limogeage d’Ueli Stielike, il a repris l’équipe en main lui-même, une première en Europe. Il a ensuite dirigé son équipe lors de la demi-finale de Coupe face à Lucerne en avril 2009. Il s’est également illustré à de nombreuses reprises par ses pressions verbales exercées sur le corps arbitral.
Grand stade. Il a lancé plusieurs projets de construction de grand stade dans le canton de Valais. Le dernier en date, qui prévoyait la construction d’un stade de 40’000 places et de surfaces commerciales à Riddes, a échoué en raison de l’opposition de la congrégation d’Ecône et des associations de défense de l’environnement. Il a également envisagé à plusieurs reprises de bâtir un grand club romand capable de disputer la Ligue des Champions.
Affaires. Selon le journal Le Temps, Christian Constantin réaliserait près de 200 millions de francs de chiffre d’affaires annuel en construisant des centres commerciaux et des résidences de luxe. Son bureau d’architecture, qui emploie près de 130 personnes à Martigny, prévoit de construire une réplique du Cervin dans les Emirats en vue de la Coupe du monde 2022. Devisé à 2,7 milliards de francs, le complexe comprendrait notamment un stade de football, une patinoire, des surfaces commerciales, des cinémas et un hôtel cinq étoiles.
Fondé en 1909, le FC Sion a été sacré champion de Suisse en 1992 et 1997
Le club valaisan a surtout remporté onze fois la Coupe de Suisse: 1965, 1974, 1980, 1982, 1986, 1991, 1995, 1996, 1997, 2006 et 2009. En 2006, il est devenu le premier club de division inférieur à remporter le trophée.
Le FC Sion a la particularité de n’avoir jamais perdu une finale de Coupe en onze participations, un record mondial.
Le 29 mai prochain, il affrontera Neuchâtel Xamax, l’autre club francophone de la première division suisse, en finale à Bâle.
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