Comment cicatriser les plaies du passé?
En marge du Conseil des droits de l'homme, la Suisse a organisé une table ronde consacrée au rôle des archives au sortir des conflits et des dictatures.
Cette initiative témoigne de l’engagement suisse en faveur de la justice transitionnelle qui lie justice et réconciliation nationale. Explications de Mô Bleeker, organisatrice de la table ronde.
Concilier l’exigence de justice pour les victimes d’une guerre civile ou d’une dictature, tout en favorisant le processus de réconciliation nationale et de rétablissement de l’Etat de droit, c’est tout l’enjeu de ce que les spécialistes nomment la justice transitionnelle.
Un thème que le ministère suisse des affaires étrangères (DFAE) a empoigné en 2004, suite aux recommandations du Centre pour la promotion de la paix (KOFF), un programme de «swisspeace », la fondation suisse pour la paix.
Traditionnellement active dans la promotion de la paix et du droit humanitaire international, la Suisse trouve là un développement naturel de sa politique extérieure, comme l’explique Mô Bleeker, en charge du thème «traitement du passé et justice transitionnelle» au sein DFAE. Interview.
swissinfo : Comment se traduit l’implication de la Suisse dans ce dossier?
Mô Bleeker: Dans le cadre du Conseil des droits de l’homme, la Suisse a initié deux résolutions qui ont encouragé le Haut commissariat aux droits de l’homme à publier des manuels pratiques et immédiatement utilisables sur les différents aspects de la justice transitionnelle. Ces guides expliquent, par exemple, comment mettre en place une commission de justice et vérité, comme celle mise en place en Afrique du Sud après la chute de l’apartheid, comment procéder aux exhumations des corps de victimes de crimes de guerre ou procéder aux réparations en faveur de leurs familles.
De fait, l’importance de la justice en période de transition est aujourd’hui largement partagée sur la scène internationale. Mais il reste encore à traduire sur le terrain le travail théorique, les normes et les standards déjà établis.
Raison pour laquelle la Suisse soutient aussi des initiatives dans ce domaine dans les Balkans, en Colombie et au Guatemala. En Colombie par exemple, la Suisse soutient – entre autres – un projet qui vise à renforcer les compétences des groupes de victimes de la guerre civile afin qu’elles puissent faire valoir leurs demandes auprès du gouvernement.
swissinfo : Vous avez organisé le débat «archives et droits humains » en marge du Conseil des droits de l’homme. Quel est l’importance des archives dans ce dossier?
M.B.: De manière générale, les archives sont un élément essentiel pour la lutte contre l’impunité, l’établissement des responsabilités et la préservation de la mémoire.
J’étais au Guatemala où les archives de la police nationale civile – 8 kilomètres de dossiers – viennent d’être découvertes en 2005. Mais elles sont dans un état catastrophique et leur préservation est une urgence. Le triage de ces archives permettra aussi de clarifier certains cas de violations des droits humains pendant la guerre au Guatemala. Mais nous devons stimuler la volonté politique des gouvernements, afin que le rôle crucial des archives en relation avec les droits humains soit reconnu et mieux soutenu.
Peu de norme et de standard existent dans ce domaine. Par exemple, beaucoup de pays détruisent ce genre d’archives. Or un tel acte n’est toujours pas considéré comme une violation des droits de l’homme.
Cela dit, cette question des archives peut aussi concerner un Etat démocratique comme la Suisse comme l’ont montré les travaux de la commission Bergier ou l’affaire des fiches.
swissinfo : Mais cette attention accrue aux archives ne va-t-elle pas pousser les régimes policiers à ne plus laisser de trace écrite de leurs exactions?
M.B.: Nous observons quelque chose de paradoxal: pour réprimer, il faut s’organiser. Les systèmes répressifs administrent la répression, consignent leurs actions, établissent des rapports, des fiches. En quelque sorte, ils produisent des archives de leurs propres violations.
Par ailleurs, les organisations de défense des droits humains produisent aussi des archives, lorsqu’elles documentent les violations. L’ensemble de ces documents appartient à la mémoire d’une société et peut être utile non seulement pour des procédures juridiques, mais aussi pour renforcer tout ce que pourraient générer des garanties de non-répétition.
Des normes et standards en la matière devraient donc contribuer à protéger les archives et permettre de condamner leur destruction.
Interview swissinfo, Frédéric Burnand à Genève
Le traitement systématique du passé constitue une des étapes importantes du passage de l’état de guerre à une paix durable. Ses objectifs sont les suivants:
Reconnaître officiellement les faits et les diffuser largement. Il s’agit, en particulier, de reconnaître les dommages subis par les victimes.
Rétablir la confiance entre les anciennes parties au conflit ainsi qu’entre la société civile et les institutions étatiques.
Introduire un processus de réconciliation qui soit largement soutenu et implique toute la population afin de prévenir de nouveaux conflits.
Instaurer de nouvelles normes sociales et empêcher les violations des droits humains et du droit international humanitaire par une sensibilisation de la population et un travail de relations publiques.
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