Comment traquer l’innommable sur le Net
Balstahl accueille un congrès international contre la pornographie enfantine sur Internet. Une lutte dans laquelle la Suisse pourrait mieux faire.
«Derrière chaque image pornographique montrant un enfant, il y a un acte réel de violence commis sur une fille ou un garçon», rappelle la section suisse d’ECPAT, organisatrice de ce congrès avec le Lobby Enfants Suisse.
Fondée au départ pour lutter contre le tourisme sexuel dans certains pays d’Asie, ECPAT est aujourd’hui une ONG multinationale qui combat toute forme d’exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales.
Jeudi et vendredi, des spécialistes venus de toute l’Europe se retrouvent donc dans la petite ville soleuroise de Balstahl pour échanger leurs expériences, leurs doutes et leurs espoirs. Une résolution sera adoptée au terme du congrès.
La réunion s’adresse aux autorités judiciaires, aux fournisseurs d’accès à Internet et à toutes les associations ou personnes intéressées.
Un mauvais élève
Les autorités doivent faire face à un double défi: traquer les producteurs de pornographie enfantine bien sûr, mais également empêcher la «consommation» de tels documents.
D’entrée de jeu, la secrétaire générale d’ECPAT Suisse annonce la couleur. «Notre pays n’en fait pas assez pour lutter contre la cybercriminalité touchant les enfants», affirme Katherin Hartmann.
Et de citer la motion de Regine Aeppli, dont le Conseil des Etats a rejeté le premier point la semaine dernière. La conseillère nationale zurichoise y demandait que les compétences judiciaires dans ce domaine soient transférées des cantons à la Confédération.
Dès 1997, Berne avait pourtant institué une cellule de surveillance d’Internet. Prudemment, on n’avait doté ce projet-pilote que de deux fonctionnaires à temps partiel. Et leurs écrans se sont éteints après deux ans d’activité.
Aujourd’hui, après d’âpres discussions, l’Office fédéral de la police peut annoncer l’ouverture pour janvier 2003 d’une nouvelle structure, au sein de laquelle travailleront cette fois neuf personnes à plein temps.
En attendant, les cantons – dont certains se font tirer l’oreille pour participer financièrement à la future structure fédérale – ont instauré leur propre police d’Internet. Pour les plus grands tout au moins.
Une traque difficile
A Lausanne, l’inspecteur Arnold Poot ne peut pas se permettre de passer son temps derrière son écran. Ce spécialiste de la brigade des mœurs n’en est pas moins une des références suisses en matière de cybercriminalité et c’est à ce titre qu’il exprimera jeudi devant le congrès de Balstahl.
Contrairement à une idée encore trop répandue, l’internet n’est pas le royaume de l’anonymat absolu. Pour créer un site, particuliers ou entreprises doivent forcément laisser une trace quelque part.
«La Suisse n’héberge pratiquement pas de sites de pornographie enfantine», constate Arnold Poot. Pas de chance. Car, si tout ce qui se termine par «.ch» est relativement facile à localiser, il n’en va pas de même des «.com», enregistrés aux Etats-Unis, où l’on est moins regardant sur l’exactitude des données fournies par le client.
Quant aux pages personnelles, hébergées par les gros fournisseurs de services, leur localisation dépend justement du bon vouloir de ces fournisseurs. Et dans ce domaine, Arnold Poot ne peut que souligner des différences considérables d’une firme à l’autre.
«Certaines ne collaborent pas du tout, et j’aimerais bien avoir le droit de dire publiquement lesquelles», regrette l’inspecteur vaudois.
Criminalité sans frontières
Et bien sûr, le réseau des réseaux se joue des frontières. Lorsqu’ils repèrent un site criminel, Arnold Poot et ses collègues doivent le plus souvent transmettre leur dossier, via Interpol, à l’étranger.
«Tant que l’on reste en Europe, la collaboration fonctionne très bien, se plaît à relever Arnold Poot. Par contre, les choses se compliquent dès que l’on arrive dans les Pays de l’Est. Quant aux Américains, ils ne nous tiennent jamais au courant des résultats de leurs enquêtes.»
Car cette traque sur Internet finit par porter ses fruits. «Il nous arrive de pouvoir remonter jusqu’aux victimes», explique Arnold Poot, qui garde en tête toutes ces images parfois difficilement supportables.
«Et c’est tant mieux, conclut l’inspecteur vaudois. Car sinon, il serait difficile de trouver une motivation dans notre travail.»
swissinfo/Marc-André Miserez
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