La place financière helvétique attire les investissements et… les criminels
Après avoir dirigé pendant quatre ans l’antenne du Ministère public de la Confédération à Lugano, Dounia Rezzonico a récemment été nommée à la tête de la division Criminalité économique du MPC. Elle décrit les priorités, les difficultés et les perspectives de la lutte contre les crimes en lien avec le blanchiment d’argent et la corruption internationale.
swissinfo.ch: Quelles sont vos priorités dans la lutte contre la criminalité économique?
Dounia Rezzonico: La priorité est d’être efficace et réceptif. En outre, nous devrions toujours maintenir une législation adéquate et des technologies adaptées. Les conditions cadres exigent un changement constant dans la manière de travailler des autorités de poursuite pénale.
Je pense que pour lutter efficacement contre les diverses formes de criminalité internationale, il faut aussi travailler de manière interdisciplinaire. Pour les grandes enquêtes, comme celle qui concerne l’affaire Petrobras-Odebrecht, nous opérons sous la forme d’une task force, où convergent les différentes compétences présentes au sein du Ministère public de la Confédération (MPC).
Dans le cadre de l’enquête Petrobras-Odebrecht, nous avons trouvé à Genève un serveur contenant divers éléments de preuve. Afin de rendre accessible ce volume important de données et d’en tirer le meilleur parti, tant sur le plan technique qu’en termes de synergies, il était important d’utiliser les diverses connaissances des membres de la task force. L’interdisciplinarité est donc la voie à suivre, notamment pour faire face aux défis technologiques. En outre, la collaboration entre les autorités, tant au niveau national qu’international, est importante.
«Nous devrions toujours maintenir une législation adéquate et des technologies adaptées»
Dounia Rezzonico
Chaque fois qu’un scandale mondial éclate, on découvre l’implication de la place financière suisse. Soit le dispositif est bon mais mal appliqué, soit le dispositif est bien appliqué mais il n’est pas suffisant. Quelle est votre opinion?
Le fait que la législation ne soit pas toujours capable de suivre le rythme de la réalité est malheureusement bien connu. Cela se produit également dans le domaine de la criminalité économique.
La place financière suisse, en raison ou grâce à sa stabilité, est attrayante non seulement pour les investissements, mais aussi pour les intérêts criminels. Ce n’est pas une comparaison dont on peut être fier.
Il existe des outils pour lutter contre ce phénomène, mais à mon avis, il devrait être plus facile d’obtenir des condamnations pour blanchiment d’argent ou corruption. En comparant notre système à celui des pays étrangers, on se rend compte que, même en termes de sanctions, on pourrait être plus incisifs.
Dans l’affaire Petrobras-Odebrecht, après avoir d’abord traité avec les corrompus, puis avec les corrupteurs, dans ce que l’on a appelé «la troisième phase», vous vous chargez désormais d’établir une éventuelle responsabilité pénale des acteurs de la place financière helvétique. Quel est l’actuel bilan de cette troisième phase?
La troisième phase est actuellement en cours. Certains éléments importants, qui ont émergé de l’enquête menée jusqu’à présent dans le cadre de l’affaire Petrobras-Odebrecht, sont actuellement utilisés pour enquêter sur d’éventuelles poursuites contre des intermédiaires financiers en Suisse. Deux procédures contre deux établissements financiers en Suisse ont été lancées. On soupçonne que des lacunes dans leur organisation interne n’ont pas permis d’empêcher les infractions.
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L’article 102Lien externe du Code pénal permet de poursuivre une entreprise si elle peut être accusée de ne pas avoir pris toutes les mesures organisationnelles raisonnables et nécessaires pour prévenir des infractions telles que le blanchiment d’argent ou la corruption.
L’OCDE, à l’instar d’un certain nombre d’experts suisses, a émis des réserves quant au caractère peu dissuasif des amendes infligées jusqu’à présent dans les affaires de corruption internationale, principalement celles qui impliquent des entreprises. Êtes-vous aussi d’avis que la peine maximale doit être révisée à la hausse?
Le MPC est lié par les dispositions légales en matière de calcul des amendes. Comparées à celles des autres pays, elles sont certainement moindres. Cependant, ce n’est pas le seul domaine où cela se produit. L’ensemble du système juridique et la responsabilité des entreprises – comme il est d’usage en droit – évolue et l’avenir nous dira quels changements seront entrepris par le législateur.
Le travail du MPC s’intensifie dans le domaine de la criminalité économique. Cependant, les enquêtes sur ces crimes prennent de plus en plus de temps. Faut-il agir sur le délai de prescription ou existe-t-il d’autres moyens de régler le problème de la longueur des enquêtes?
Les enquêtes concernant la criminalité économique sont de plus en plus nombreuses et sont rendues spéciales non seulement en raison de leurs implications internationales, mais aussi en raison du volume des données qui sont recueillies. Je pense que nous pouvons et que nous devons encore optimiser notre efficacité pour affronter l’ère numérique. Nous sommes en train d’y travailler.
Il est également important que nos partenaires internationaux nous impliquent le plus tôt possible dans les enquêtes, afin de poursuivre ces crimes en direct et pas a posteriori.
L’un des problèmes est également le code de procédure pénale, qui n’est peut-être pas très orienté vers des procédures complexes et à grande échelle. Pensez-vous qu’il faille changer quelque chose?
Ce sont les règles que nous devons respecter. Il est vrai que certains aspects du code de procédure pénale actuel ne sont pas destinés à des affaires aussi complexes que celles que nous traitons, qu’ils ne facilitent pas les choses et qu’ils peuvent en prolonger la durée. Il faut en tenir compte dans la conduite des procédures.
(traduction de l’italien: Katy Romy)
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