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Dérives policières, une affaire bien genevoise

A Genève, la police traverse une zone de turbulences Keystone

Depuis de nombreux mois, la police genevoise traverse une crise profonde, ponctuées de dérapages parfois très graves. Une situation inédite en Suisse et propre à Genève, selon Martin Killias.

Le professeur de criminologie souligne le surprenant laissé faire des autorités genevoises et les faiblesses de la formation des policiers. Interview.

La publication la semaine dernière d’un rapport sur la prison de Champ-Dollon où 30% des détenus interrogés affirme avoir été maltraité par la police est la dernière affaire en date qui secouent les forces de l’ordre du Canton de Genève.

Ce rapport accablant qui ne comporte toutefois pas la version des policiers incriminés constitue le point culminant d’une série de dérapage. Dans le même temps, la police genevoise traverse une crise aiguë de direction où les syndicats de police et la hiérarchie règlent leur compte par médias interposés.

Criminologue et professeur à l’Université de Zurich, Martin Killias juge sévèrement les responsables de cette dérive.

swissinfo: La police genevoise s’est rendue coupable d’une série de dérapages ces dernières années. Cette situation est-elle exceptionnelle en Suisse?

Martin Killias : Il y a partout des dérapages, ce qui n’étonne pas vu que la police a dû opérer dans un climat nettement plus tendu ces dernières années. La détérioration de la sécurité publique et l’avènement de nouveaux défis n’est pas reprochable à la police, mais conditionne évidemment le cadre de son action.

Ceci dit, on a quand même l’impression que d’autres corps de police arrivent bien mieux à endiguer les débordements et les violences. Bien sûr, les statistiques manquent pour démontrer une fréquence plus élevée de telles situations à Genève. Ce qui est particulier dans cette ville, c’est la façon dont les problèmes sont abordés par la hiérarchie politique.

swissinfo: Ces manquements sont-ils imputables, même partiellement, au problème de leadership qui affecte la direction politique et exécutive de la police cantonale genevoise?

MK : Je connais des cas dans d’autres corps où des agents ont été mis à la porte pour des comportements bien moins graves et moins liés à leur fonction que les faits divers dont tout Genève parle.

Les faits relatés par la presse, à savoir qu’un agent ait pu brutaliser une personne arrêtée, totalement maîtrisée et couchée par terre en lui donnant de violents coups de pied contre la tête qui ont nécessité une hospitalisation, me laissent perplexes.

D’après ce que l’on a pu lire dans la presse, l’intéressé à failli perdre un œil – il est donc permis de soupçonner l’agent de lésions corporelles graves, peut-être sous forme de tentative par dol éventuel. Qu’un tel cas soit apparu plusieurs mois après les faits est difficilement imaginable dans d’autres corps de police. Même si les informations parues dans la presse étaient incomplètes ou inexactes, on aurait jamais dû arriver à une telle omerta.

swissinfo: Le poids pris par les syndicats de police est-il une autre particularité genevoise?

MK : Disons que je n’ai jamais entendu parler de syndicats d’autres corps qui auraient demandé la tête du commandant à la suite de la suspension d’un fonctionnaire soupçonné d’une infraction aussi grave.

De telles sanctions sont d’ailleurs régulièrement prises dès que les faits sont élucidés dans les grandes lignes et longtemps avant l’aboutissement des instructions pénales.

swissinfo: D’autres cantons suisses ont-ils connu une telle crise au sein de leurs polices? Ont-ils trouvé des solutions qui pourraient inspirer les autorités genevoises?

MK : Une telle crise est inédite. Il n’y a notamment jamais eu de cas où le syndicat aurait défié à ce point la hiérarchie et l’autorité politique pour obtenir le maintien d’un fonctionnaire soupçonné d’une infraction aussi grave.

On peut craindre que ces abus nuisent à l’image de l’ensemble des corps de police et bien au-delà des frontières genevoises.

swissinfo: La formation des policiers genevois est-elle insuffisante?

MK : Je ne sais pas s’il s’agit d’un problème de formation. C’est peut-être plutôt un problème culturel, favorisé par un recrutement trop systématiquement interne et une entente bien trop cordiale entre la hiérarchie politique des législatures précédentes et certains milieux internes de la police. Comment un commandant peut-il avoir de l’autorité si toute décision qu’il prend est immédiatement dénoncée à son supérieur politique ?

La police genevoise est également connue pour refuser systématiquement tout engagement de diplômés universitaires. Il y a quelques années, nous avions à notre institut à Lausanne un assistant spécialisé dans le domaine des gangs et des skins. Il disposait de grands talents pour faire passer certains messages à des jeunes en difficulté.

Lorsqu’il a fait part de son intérêt de suivre l’Ecole de police, on lui a signalé qu’un universitaire n’avait rien à chercher au sein de la police genevoise.

D’autres corps ont cependant fait le pas, avec grand succès d’ailleurs car cela leur permet de former les futurs cadres dans leurs propres rangs, plutôt que d’engager des personnes venant d’autres carrières. En outre, dans un canton où plus d’un tiers des jeunes obtiennent une maturité, il est malheureux que les policiers aient un niveau de culture générale systématiquement inférieur au reste de la population. Cela ne peut qu’engendrer des frustrations mutuelles.

Ceci dit, je trouve également judicieux de recruter des fonctionnaires avec un CFC, mais le mélange donnera sans doute de meilleurs résultats.

Inteview swissinfo, Frédéric Burnand à Genève.

Novembre 2006. Les déclarations sexistes du président de l’Union du personnel du corps de police pousse le gouvernement du canton de Genève à ouvrir une enquête pour protéger la personnalité de Monica Bonfanti, cheffe de la police.

Février 2007. Les 3 syndicats policiers genevois exigent le départ de la cheffe de la police Monica Bonfanti, critiquée pour son «absence de communication et sa gestion inacceptable des cas disciplinaires».

Mars 2007. Le chef de la police judiciaire genevoise, Mario Chevalier, est démis de ses fonctions suite à un audit montrant qu’il avait minimisé certaines affaires disciplinaires.

Jean-R. WARYNSKI : de 1975 à 1989
Laurent WALPEN : de 1989 à 2000
Christian COQUOZ : de 2000 à 2003
Christian CUDRE-MAUROUX (ad interim) 2003
Urs RECHSTEINER : de 2003 à 2006
Monica BONFANTI : depuis 2006

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