Dogu Perinçek condamné pour négation d’un génocide
Le président du petit Parti des travailleurs turcs écope d'une peine financière avec sursis. Le Tribunal de police de Lausanne l'a reconnu coupable de violation de la norme antiraciste.
Dogu Perinçek est ainsi la première personne condamnée en justice pour négation du génocide arménien. Dans son jugement, le Tribunal a pleinement suivi les réquisitions du parquet.
90 jours-amende (à 100 francs par jour), avec sursis, et une amende de 3000 francs: tel est le verdict du Tribunal de police de Lausanne, qui a reconnu Dogu Perinçek coupable de discrimination raciale pour avoir nié le génocide arménien.
La Cour demande en outre au nationaliste turc de verser 1000 francs « symboliques » à l’Association Suisse-Arménie, qui s’était constituée partie civile. Dogu Perinçek, 65 ans, devra également s’acquitter de 10’000 francs de dépens et de 5800 francs de frais de justice.
«Provocateur, arrogant et raciste»
Le leader turc est «un provocateur arrogant» qui connaissait la loi helvétique sanctionnant les propos négationnistes, a affirmé le juge Pierre-Henri Winzap. Sa venue en Suisse en 2005 pour déclarer que le génocide arménien est «un mensonge international» est «un acte intentionnel».
Dogu Perinçek est «un raciste». Sa démarche «s’apparente à l’évidence à des motifs racistes et nationalistes», a poursuivi le juge. Il ne mérite «aucune circonstance atténuante».
Le génocide arménien est «un fait historique avéré selon l’opinion publique suisse». Le fait que cette tragédie ne figure pas dans la liste des génocides officiellement reconnus par une Cour internationale n’empêche pas d’affirmer que c’est une réalité indubitable, a encore dit le juge.
Une première
La Cour a donc suivi entièrement le réquisitoire le procureur du canton de Vaud Eric Cottier. Son verdict est une première, que l’Association Suisse-Arménie attendait depuis longtemps. Si des instances politiques ont déjà reconnu le génocide des Arméniens, la justice ne s’était pas encore prononcée dans ce sens jusqu’à aujourd’hui.
Pour le procureur, ce jugement est «entièrement satisfaisant». Entouré de deux gardes du corps, Eric Cottier a bien précisé qu’il n’avait pas été menacé, mais juge néanmoins qu’il est utile de prendre certaines précautions.
Recours annoncé
Quant au condamné, il a exprimé sa colère à la sortie du Tribunal. Le leader turc estime que le juge «n’était pas neutre» et que sa décision est à la fois «raciste et impérialiste».
Dogu Perinçek, qui voit dans sa condamnation une marque du «complot mené par les Etats-Unis contre la Turquie», s’est à nouveau écrié qu’il n’y avait pas eu de génocide arménien et s’est promis de «faire changer cette décision».
Son avocat a déjà laissé entendre qu’il est prêt à aller jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme pour contester la sentence.
Soulagement arménien
Côté arménien, c’est «un grand soulagement» qui domine, a déclaré le co-président de l’Association Suisse-Arménie Sarkis Shahinian. «Mais il n’y a pas de place pour la joie parce que personne ne peut se réjouir de ce qui s’est passé en 1915», a-t-il ajouté.
Le responsable déplore que l’Etat turc se laisse entraîner par des ultra-nationalistes comme Dogu Perinçek. «C’est un gros problème, il faut que la Turquie avance et reconnaisse le génocide», ajoute Sarkis Shahinian.
Un verdict correct
Contacté par swissinfo, le président de la Commission fédérale contre le racisme estime la sentence correcte.
Le juge ne s’est penché sur l’existence ou non d’un génocide affirme Georg Kreis, il s’est contenté de considérer l’infraction à la norme antiraciste.
«Nous espérons que les effets de cette sentence se fassent sentir jusqu’au Conseil fédéral», poursuit Georg Kreis. Selon lui, la norme antiraciste doit être prise au sérieux plutôt que provoquer un ‘mal de ventre’, en référence aux propos du ministre suisse de la Justice Christoph Blocher lors de son récent voyage en Turquie.
Liberté d’expression ?
Contacté par swissinfo, Ferai Tinç, chroniqueuse de la rubrique étrangère du quotidien turc Hurriyet, considère par contre que ce procès, le premier de ce genre contre un Turc à l’étranger, est «un procès de liberté de pensée, de liberté d’opinion».
Pour la journaliste, cette affaire «va créer un problème de confiance dans les relations entre la Suisse et la Turquie».
«Que nous soyons ou non d’accord avec Perinçek, nous trouvons que ce type d’articles pénaux contre la liberté d’opinion sont dangereux, parce que dans notre pays, nous nous battons justement pour instaurer cette liberté», ajoute Ferai Tinç.
swissinfo et les agences
Dogu Perincek, président du petit Parti des travailleurs turc (moins de 1% des voix aux dernières élections), répondait d’atteinte à la norme pénale antiraciste. En été 2005, il avait prononcé des discours dans les cantons de Vaud, Zurich et Berne sur la question arménienne et déclaré que le génocide arménien de 1915 était un «mensonge international».
En Suisse, la Chambre basse du Parlement ainsi que les parlements genevois et vaudois ont reconnu le génocide arménien, ce qui a provoqué des tensions diplomatiques entre la Suisse et la Turquie.
La norme pénale antiraciste a été approuvée à 54,7% des voix lors d’une votation populaire en 1994.
Depuis le 1er janvier 1995, l’article 261bis CP interdit la discrimination et l’atteinte à la dignité d’une personne ou d’un groupe de personnes en raison de leur appartenance raciale, ethnique ou religieuse. L’article rend notamment punissable le négationnisme.
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