Du sexe contre un logement
En France, un site Internet hébergé en Suisse offre des dizaines d'annonces de logements contre services sexuels ou des emplois pour secrétaires prêtes à passer sous le bureau.
«Propose à jeune fille libertine une colocation contre services (massage, câlins, cuisine)». «Recherche assistante-secrétaire, toujours en jupe et talons. Très coquine. Contrat à durée indéterminée. Très bon salaire.» «Homme délicat, discret, apporte aide financière régulière à jolie jeune étudiante sans tabous pour des soirées régulières.»
Voilà quelques-unes des petites annonces que l’on trouve aux rubriques «emploi», «job étudiants» ou encore «à louer» des pages françaises de Missive, un site international de petites annonces gratuites en ligne.
Ce type d’offres est interdit en France: il expose les sites ou les publications à des poursuites pour proxénétisme. Les concurrents de Missive en France s’efforcent de les éliminer au fur et à mesure de leur apparition. Un laissez-faire qui a valu à Missive d’être dénoncé dans la presse française.
Des profiteurs
En effet, derrière la toile et ces petites annonces, des hommes profitent de la détresse de femmes pour assouvir leurs pulsions. A l’approche de la quarantaine, ce responsable de communication propose de partager son studio de 50 m² dans un quartier chic de Paris. Prix à payer: «un rapprochement physique par jour». Il trouve cela «ludique» et n’y voit aucun problème moral. «J’ai des copines qui vont et qui viennent, je ne suis pas un cas social. Mais les Parisiennes sont névrosées et casse-bonbons!», se justifie-t-il.
En général, celles qui répondent sont poussées par la détresse: «A 23 ans, j’étais au chômage et je cherchais un studio. Comme je ne pouvais même pas avancer la caution, le propriétaire m’a fait comprendre que je pouvais avoir ce studio contre arrangement», témoigne une jeune femme contactée par e-mail. Une mère célibataire de deux enfants, sans logement, s’est-elle aussi décidée à répondre à ces annonces. «Par trois fois, des propriétaires m’ont demandé de coucher après m’avoir fait visiter un appartement, mais ensuite ils ne me rappelaient pas.»
Une dérive propre à la France
Sur les pages suisses, belges et canadiennes de Missive, aucune annonce de ce type. «La France est beaucoup plus répressive que ses voisins en matière de prostitution. Ici, il n’y pas de maisons closes ou de quartiers rouges comme en Belgique. Ceux qui ont créé Missive ont sans doute voulu explorer ce marché d’une clientèle frustrée», analyse Me Emmanuel Pierrat, avocat spécialiste du droit d’Internet.
Le quotidien Libération a été le premier journal à dénoncer Missive – un site que le webmaster, Pierre Allain, reconnaît être suisse. L’information a depuis été reprise par les principales radios et télévisions françaises. Du côté de Missive, la seule réaction a été une mise en garde («attention aux annonceurs peu scrupuleux: refusez tout échange de logement contre services») apparue au-dessus des annonces qui continuent quand même de proposer ce genre de deal!
Contacté par e-mail, le webmaster prétend avoir réglé le problème de ces messages en éliminant la rubrique «colocation» de son site. Depuis que nous lui avons fait remarquer que c’était faux, il refuse de répondre à nos questions.
Des sites basés à l’étranger
Pourquoi la Suisse? Parce qu’en France, le proxénétisme est un délit grave, passible de 10 ans de prison. De plus, les lois concernant la prostitution sont interprétées de manière très large: «On a déjà jugé un coiffeur qui laissait les prostituées se réchauffer quelques minutes dans son salon. L’argument: il soutenait la prostitution, rappelle Emmanuel Pierrat. Souvent des individus sont persuadés de ne pas être proxénètes, mais la jurisprudence les condamne.»
Les sites Internet sont donc eux aussi dans la ligne de mire de la justice. En 1997 déjà, Le Nouvel Observateur a été condamné pour proxénétisme aggravé, parce qu’il gérait le Minitel rose 3615 Aline, où l’on trouvait des annonces de prostituées.
Du coup, comme la plupart des sites francophones d’escort girls ou de prostitution, Missive est basé à l’étranger. Une nationalité suisse bien dissimulée, car Missive est enregistré aux Etats Unis, via une entreprise américaine, Domains by Proxy, dont la spécialité est de servir de prête-nom pour cacher l’identité et la nationalité du fondateur.
Y mettre fin
Quant à des poursuites contre le webmaster, elles sont possibles en théorie, même lorsque le site est basé à l’étranger. Dans la pratique, c’est assez rare: les procédures sont longues et coûteuses.
En effet, il faut faire appel à Interpol et passer par une collaboration internationale, parfois refusée. Dernière éventualité: porter plainte pour pornographie, comme le propose Me Sébastien Fanti, avocat suisse spécialisé sur les questions Internet : «Tout internaute, en France ou en Suisse, peut se plaindre du contenu de ce site, accessible sans avertissement, même à des mineurs!».
swissinfo, Miyuki Droz Aramaki, Paris
La prostitution est officiellement légale en France, mais son activité est de plus en plus difficile.
Depuis le passage de Nicolas Sarkozy au ministère de l’Intérieur (de 2002 à 2004), la répression de la prostitution est très forte.
La notion de «racolage passif» a été créée, qui interdit à une prostituée d’attendre un client sur le trottoir. Ce délit, punissable de 2 mois d’emprisonnement et de 3750 euros d’amende, empêche en pratique les prostituées de travailler dans les centres-villes.
Par ailleurs, le proxénétisme, interdit par des accords internationaux, est interprété de manière très large en France. Toute forme d’aide apportée à une prostituée y est considérée comme du proxénétisme: un hôtelier qui loue des chambres à des prostituées ou un restaurateur qui les tolère à la terrasse de son établissement peuvent être condamnés.
Il s’agit de l’un des crimes les plus graves du code pénal français, passible de 10 ans de prison.
La Suisse n’a pas choisi la voie de l’abolition ou de l’interdiction, mais plutôt celle de la réglementation, comme l’Allemagne ou les Pays-Bas.
Il n’existe pas de loi fédérale sur la prostitution. La réglementation de ce secteur relève des compétences des cantons. Au niveau fédéral, l’article 199 du Code pénal stipule que «celui qui aura enfreint les dispositions cantonales réglementant les lieux, heures et modes de l’exercice de la prostitution et celles destinées à lutter contre ses manifestations secondaires fâcheuses, sera puni d’une amende».
Les dispositions cantonales ne sont pas partout les mêmes. Certains cantons se sont dotés d’une loi spécifique, comme Vaud avec sa Loi sur l’exercice de la prostitution. D’autres intègrent des règles dans d’autres législations. A Fribourg, par exemple, les dispositions concernant la prostitution sont incluses dans la Loi sur l’exercice du commerce.
De manière générale, la Suisse est assez libérale en matière de pratique de la prostitution. Les prostituées doivent simplement être déclarées auprès des autorités de surveillance du commerce. Le principal souci rencontré par les prostituées intervient lorsqu’elles pratiquent leur métier illégalement et, pour les étrangères, sans papiers de séjour.
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